Accueil A la une Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques à Genève (CARAPS) à La Presse : « Un régime présidentiel, sinon un régime parlementaire à la suisse, pourrait faire marcher la Tunisie »

Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques à Genève (CARAPS) à La Presse : « Un régime présidentiel, sinon un régime parlementaire à la suisse, pourrait faire marcher la Tunisie »

En Tunisie, le statu quo perdure. En pâtissent l’économie, l’emploi, le vécu des gens et la santé psychique des Tunisiens. Pis encore, les répercussions de la crise sur le plan interne ne sont pas sans conséquences sur le plan externe. Dans une région maghrébine minée par les divisions et faisant aujourd’hui l’objet de mille et une convoitises, on n’a qu’à accorder les marches afin de se prémunir contre les dangers qui guettent l’Afrique du Nord, de l’avis du directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques à Genève (Caraps), Riadh Sidaoui. Interview.

Sur le plan national, la crise politique a mis le pays aux arrêts : l’économie est en berne, les mouvements sociaux se succèdent, le gouvernement tâtonne, les jeunes s’avèrent en proie au désespoir et le Parlement semble être en déphasage avec les vrais maux de la population. Sur les plans régional et international, quelles seraient, selon vous, les conséquences de ce blocage politique ?

On ne peut pas aborder un tel sujet sans se référer à une règle générale : « Un État affaibli sur le plan interne ne peut être que davantage affaibli sur le plan externe ». En Tunisie, il faut le reconnaître après en avoir fait l’expérience, le régime parlementaire n’a pas fonctionné et le pays n’a pas avancé d’un iota et sur le plan politico-économique et sur le plan social. Les caractéristiques de la scène politiques tunisienne étant déstabilisation et discrédit. Même en France, le parlementarisme pratiqué depuis 1958 était souvent qualifié de « négatif », vu qu’il a rarement pesé de manière positive sur la conduite de la politique nationale française.

S’il y a une conséquence à tirer, c’est que le régime parlementaire fonctionne beaucoup plus avec les monarchies qu’avec les républiques. Tout constat fait, le régime présidentiel s’est avéré le plus adéquat pour les systèmes républicains. Car au bout d’un quinquennat, on peut facilement faire le bilan du Président et lui demander des comptes, alors que la tâche devient plus ardue avec un Parlement multipartite et surtout miné par les divisions.

La plus grave des conséquences de cette crise politique sur les plans régional et international est plutôt d’ordre économique. L’instabilité politique, les remous sociaux et la bureaucratie persistante ne font que dissuader les investisseurs et les promoteurs internationaux. D’ailleurs, plusieurs investisseurs suisses ont rebroussé chemin, dissuadés par la lourdeur des démarches caduques de l’administration tunisienne.

Toujours sur le plan géopolitique, comment la Tunisie doit-elle agir en réalisant que les grandes puissances se montrent déterminées à redessiner la carte géopolitique du Maghreb, de l’avis de nombreux spécialistes des relations internationales ?

La Tunisie nouvelle, qui s’est frayé un chemin sur la voie de la démocratie, n’a qu’à aller de l’avant, en préservant ses intérêts et sa souveraineté. Elle doit repenser ses priorités, ses orientations et choix stratégiques en fonction du nouvel ordre mondial. Or, le pays est tombé dans le giron américain, du fait de l’influnece de Londres qui a, hier, convaincu Obama et, par ricochet, aujourd’hui Biden, de soutenir les islamistes au pouvoir. Le clan de Londres, notamment les dirigeants du parti Ennahdha, ne cesse de faire les yeux doux à Washington et alliés, en faisant preuve de souplesse, d’ouverture et de loyauté. Cette ouverture est encore plus perceptible à travers les relations qu’ils cherchent à nouer avec la France, en acceptant de maintenir inchangé le statut de la langue française en Tunisie. C’est pourquoi Ghannouchi a écarté les « faucons » du parti, connus pour leurs positions radicales. 

En relations internationales, le facteur économique prime sur le reste des paramètres et les islamistes de la Tunisie ne sont ni pro-Chinois ni pro-Russes. Voilà pourquoi les Américains les soutiennent.

Par-delà, l’intérêt supérieur de la patrie impose aujourd’hui une nouvelle vision et d’autres choix stratégiques. J’entends dire par cela nouer des partenariats gagnant-gagnant avec la Chine qui deviendra la première puissance économique en 2030, selon plusieurs économistes britanniques et autres. Si bien que l’Empire du Milieu reste le premier créancier des USA représentant, à lui seul, 17% de la dette souveraine américaine.

Volet européen, la Tunisie a bien fait de miser sur les Allemands pour développer sa coopération bilatérale. Surtout que ces derniers ont fait preuve de résilience en pleine crise économique européenne et mondiale, grâce à leur politique socioéconomique initiée par l’économiste allemand Alfred Müller-Armack.

Et le continent africain dans tout cela ?

Il suffit de rappeler que l’Afrique est l’avenir de l’économie mondiale pour en saisir l’importance et l’impératif qu’il y a à se tourner vers le continent du XXIe siècle. Le premier des critères à retenir est que la population africaine passera de 1,3 milliard d’habitants en 2019 à 2,5 milliards en 2050. Le rythme d’urbanisation y est sans précédent. D’ailleurs, dans les 30 prochaines années, les villes africaines devraient accueillir 950 millions de personnes supplémentaires. En sachant que le nombre des populations urbaines africaines était de l’ordre de 27 millions de personnes en 1950 avant de passer à 567 millions en 2015, il est clair que la croissance de cette urbanisation n’a d’égale que l’explosion démographique marquant ce continent.

La Tunisie n’a qu’à élaborer une politique africaine à la fois réaliste et prospective afin de développer ses échanges commerciaux avec le continent auquel elle appartient. Cela doit commencer par un vrai travail de préparation, d’investigation et surtout par le biais de bons systèmes d’information et d’une presse spécialisée.

Et qu’en est-il de notre espace maghrébin ? Quelle lecture feriez-vous de l’actualité nord-africaine ?

On ne peut pas aborder l’actualité maghrébine sans commencer par la crise libyenne. Pour moi, les menaces réelles pour la Tunisie et l’Algérie en découlent et les conséquences pourraient être fatales.

Ce qui s’est récemment passé à Genève serait une solution en trompe-l’œil. Car sur le terrain, ça va se passer autrement, j’en suis sûr. Le gouvernement intérimaire élu et chargé de conduire la Libye vers des élections en décembre, sous la présidence du Premier ministre Abdelhamid Dubeibah, se heurtera à la réalité d’un terrain complexe et très épineux.

Terrain de jeux américain, russo-turc et de bien d’autres puissances, La Libye risque encore la partition.

En effet, le plan développé par un conseiller de Trumpet visant à diviser la Libye selon les trois provinces ottomanes : la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan semble être toujours de mise dans les coulisses des grandes puissances. Le discours officiel ne reflète pas forcément les velléités inavouées, à mon sens. Il suffit de se demander qui a choisi les délégués libyens dépêchés à Genève pour se rendre compte de la complexité de la question libyenne.

Tout cela m’amène à dire que la Libye avec l’appui de ses voisins directs, notamment la Tunisie et l’Algérie, n’a qu’à consolider son unité nationale pour faire face à toutes les convoitises d’où qu’elles proviennent.

Revenons à notre jardin ! Quel plan d’action pour la Tunisie afin de se protéger contre les dangers qui la guettent et sur le plan interne et sur le plan externe ?

Contrairement à la Libye où la crise est structurelle, en Tunisie, la crise est plutôt conjoncturelle. Elle est purement politique. Il suffit de faire les bons choix pour que le pays se remette sur pied et tienne la route. Le bilan de 10 années est très maigre, mais la période de vaches maigres ou encore le statu quo risquent de s’étendre en l’absence de vraies réformes politiques et économiques.

À mon sens, le régime présidentiel serait le plus adéquat dans le cas d’une République comme la Tunisie. Dans une moindre mesure, un régime parlementaire adoptant la formule magique suisse peut marcher. Cette formule magique désigne une règle tacite qui sous-tend la répartition des sièges au Conseil fédéral entre les principaux partis politiques du pays. La même règle régit également le système de concordance, qui est l’un des principes de base du système politique suisse, caractérisé par la composition des organes de l’État de façon proportionnelle aux différents partis en présence. Ce qui épargne au pays les conflits et favorise la recherche de solutions négociées aux problèmes.  Force est de constater, ici, que le gouvernement suisse compte sept membres, qui forment ensemble le Conseil fédéral.

Volet économique, le pays n’a qu’à opérer des réformes pour éviter la lourdeur administrative et la bureaucratie assassine dont il souffre depuis des décennies.

Sur un autre plan, les économies tunisienne, algérienne et libyenne peuvent, à bien des égards, être complémentaires, ce qui n’est pas le cas avec les économies marocaine et turque basées sur le tourisme et les services.

Par les temps qui courent, et compte tenu de la pandémie mondiale, il s’est avéré que le tourisme est un secteur fragile et vulnérable. D’où la nécessité de miser sur l’agriculture, les industries et d’autres secteurs vitaux. Les trois pays maghrébins que j’ai précités n’ont qu’à accorder leurs marches pour non seulement se prémunir contre tout danger interne et externe, mais aussi pour relever les défis économiques et sociaux qui leur sont posés.

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