Entre 18 et 25% seulement des poissons capturés par le kiss ont une valeur commerciale et pourraient être vendus sur le marché, alors que le reste, plus de 75%, sont des poissons de 1 cm ou même de quelques millimètres. Ces espèces, non désirées et pêchées accidentellement, sont en général rejetées, souvent mortes, en mer ou sur les côtes
La technique du kiss existe depuis des lustres. Le kiss, c’est cet engin qui racle les fonds marins avec des chaînes lourdes, détruisant les habitats et ramassant les petits poissons dénués de valeur commerciale. Cette forme de pêche, presque partout dans le monde, est strictement interdite également par la loi tunisienne depuis 1942. Et comme rien ne reste parfaitement semblable à ce qu’il était, depuis quelques dizaines d’années, les temps ont changé et la violation de la loi est devenue presque à la mode en Tunisie. Un phénomène en recrudescence qui a pris de l’ampleur, notamment après la révolution. Résultat, aujourd’hui nos ressources maritimes sont sérieusement menacées. Un danger qui devrait être dénoncé et combattu pour protéger la faune et la flore, ainsi que les milliers de familles tunisiennes qui vivent de la mer.
Un bilan lourd et onéreux
De l’avis de Abdelmajid Dabbar, président de l’Association Tunisie écologie, la Tunisie risque de perdre ses ressources maritimes, à l’heure où 28% des poissons de la Méditerranée se reproduisent dans notre pays. La biodiversité du milieu maritime national est donc directement menacée. D’autant qu’après 2011, on ne respecte plus le repos biologique de trois mois (juillet, août, septembre). Une pratique permettant la préservation et le renouvellement des ressources halieutiques. A titre d’exemple, le golfe de Gabès, région fragile et peu profonde, se caractérise par l’étendue de son plateau continental et recèle des plantes qui sont les sources de nourriture des poissons ainsi que des coraux. Les poissons des profondeurs qui se multiplient dans ce golfe dont des espèces très prisées comme la sole, le merlan, le rouget, et sont victimes de la surpêche avec un taux dépassant les 30% !
Au cours des dernières années, le golfe de Gabès a connu une perte de plus de 20% de ses richesses halieutiques, passant de 43,5% en 1990 à 31,8% en 2000, puis à 21,23% en 2008. Malgré cette situation alarmante, la pêche au kiss, ni éprouvante ni dangereuse pour ceux qui la pratiquent, se perpétue pour ne pas dire se généralise. De plus, argument de taille, pour ces « transgresseurs des mers », cette pratique nécessite un investissement 10 fois inférieur à celui nécessaire pour armer un bateau de pêche côtière aux filets. Argument massue, malgré l’illégalité, le nombre d’adeptes de cette pêche agressive est en nette croissance ces dernières années.
«Cette technique est interdite dans notre pays depuis des années. Mais les bandits et les propriétaires des bateaux du kiss ne respectent ni la loi, ni la réglementation, et ce, au vu et au su de tous, et, plus grave, devant la Garde nationale marine. En août 2020, ils sont pas moins de 479 bateaux à utiliser le kiss. Face à une telle situation, le bilan est alarmant, catastrophique même dans les aires dites protégées, car entre 18 et 25% seulement des poissons capturés par le kiss ont une valeur commerciale et pourraient être vendus sur le marché, alors que le reste, plus de 75%, sont des poissons de 1 cm ou même de quelques millimètres. Ces espèces, non désirées et pêchées accidentellement, sont en général rejetées, souvent mortes, en mer ou sur les côtes », regrette-t-il.
Des mesures qui feront mal aux requins sanguinaires
Dabbar ajoute que la protection du milieu marin en Tunisie réside dans l’interdiction de toutes les techniques de pêche dangereuses pour la faune ichtyologique et pour l’écosystème en général, la délimitation des zones de pêche, la limitation de l’effort et des tailles de capture, la fixation du maillage des filets… « Ce combat ne date pas d’hier, mais durant les dernières années, on n’a pas senti une baisse de cette activité illégale malgré les messages et les campagnes de lutte contre le braconnage en mer et pour préserver la biodiversité lancés à maintes reprises. Malheureusement, ces appels ne sont pas pris au sérieux par nos décideurs… Aujourd’hui, il est temps de passer à l’action pour assurer un avenir durable à notre mer.
Il faut absolument que le nouveau gouvernement établisse une vraie stratégie (à court, moyen et long termes) pour protéger nos ressources maritimes et promouvoir le secteur de la pêche dont dépendent des milliers de familles tunisiennes qui sont, aujourd’hui, en situation de précarité… Pour notre part, le dossier de la pêche interdite est fin prêt et n’attend plus que le nouveau gouvernement pour le présenter aux décideurs et stopper cette hémorragie. Evidemment, cela va faire mal aux « requins sanguinaires » assoiffés de gain facile et destructeurs de nos ressources halieutiques… Ce n’est que le début », souligne-t-il.