La critique et la créativité, pour moi, sont deux pôles opposés, et je ne peux que mal juger la critique. Je me baserais sur la critique littéraire. Nombreuses sont les raisons qui expliqueraient ce refus. Les artistes, non ceux qui prétendent l’être mais ceux qui le sont malgré eux, comprendront ce sentiment de répulsion, envers la critique qui, de son ton rationnel, logique, réaliste, analytique, fait redescendre une œuvre de son Olympe, coupe court à sa discussion avec Apollon, et son idylle naissante avec Aphrodite, la tire par la main et l’oblige à causer avec des terriens. En d’autres termes, la critique déforme les propos de l’art. Car, j’estime, non, plutôt je ressens, que l’art ne doit nullement se comprendre, et celui qui cherche à le faire, n’a rien compris. L’art, comme diraient les autres à propos de foi, s’éprouve mais ne se prouve pas. Et si on essaye de le démontrer, de l’expliquer, nous lui ôterons toute sensibilité et nous déformerons sa forme et son fond, car la créativité, quand elle tend vers l’art, ne vise qu’un sentiment. La critique naît de l’œuvre et non le contraire, c’est une branche qui s’arc-boute sur le tronc qu’elle objurgue. Un livre sans critique demeure un livre intrinsèque, or une critique sur un livre inexistant est tout autant imaginaire. Donc, on pourrait répondre à la question, critique et créativité, le rapport? Dans un premier temps par : Dépendance. Admettons cela, la critique n’est jamais satisfaite, chose paradoxale, vous me diriez, ça dépend, certes, tout dépend, mais comment expliquer la vague de remontrances qu’a fait couler Madame Bovary au début; impie, profane, l’opprobre, indécent, mondaine…Des mots tels un glaive enfoncé dans le ventre de l’écrivain. Sur quoi se base donc la critique? Je vais faire appel à Maupassant, et à ses mots, dans sa propre préface sur Pierre et Jean. Ce dernier écrit : ‘ Au milieu des phrases élogieuses, je trouve régulièrement celle-ci sous les mêmes plumes : «Le plus grand défaut de cette œuvre, c’est qu’elle n’est pas un roman à proprement parler.» On pourrait répondre par le même argument : «Le plus grand défaut de l’écrivain qui me fait l’honneur de me juger, c’est qu’il n’est pas un critique». C’est tout à votre honneur Maupassant, avant qu’on se hâte de vous traiter d’arrogant de savoir vous démêler de ces soi-disant connaisseurs, car comment prétendre connaître l’œuvre et mieux la juger que son propre créateur ? Par ailleurs, si l’art se suffit à lui même, jaillit de ses propres fantaisies, quels seraient les ingrédients qui concocteraient une bonne critique, parce qu’il y en a, celle qui loue l’auteur, lui jette des fleurs et félicite son génie, puis essaye de vous expliquer, et de vous convaincre en quoi il est ingénieux, mais la meilleure manière de le découvrir, ne serait-ce pas de le lire? Par ailleurs, je ne puis dissocier l’interprétation de la critique, même si cette dernière rajoute des éléments historiques, personnels et tout ce « charabia » pour mieux vendre, ma lecture transperce toutes ces couches vaines, emphatiques, pour intercepter un simple : j’aime ou je n’aime pas. Quel rapport entre critique et création? Permettez-moi de vous dire, aucun ! Je suis de ceux qui sacralisent les livres, et les mots, quand merveilleusement brodés, je suis de ceux qui se révèrent et s’inclinent face à une page d’Albertine disparue plus qu’Albertine elle-même si je la voyais un jour. Car peu importe l’objet d’inspiration, la muse en question, c’est la verve qui suit, qui m’atterre le plus. Imaginez donc, après ce temps, tout ce temps, passé devant une page blanche, les nuits, les jours, réservés à l’écriture de ce monument littéraire, Proust se trouverait face à une vile critique, d’un lettré jobard ou perspicace, n’importe, mais qui ose s’élever au niveau de Proust pour le rapetisser à son tour par un brouillon prolixe et grandiloquent car attention cet homme est savant : lubies, frénétique, fou. Non, mais vous êtes trop réaliste pour comprendre. La critique ne frémit pas, elle dissèque un passage pour en extirper le beau et vous le servir, chers lecteurs, tout enlaidi.
Cyrine SOUSSI