Djaïli Amadou Amal a été l’une des invitées très sollicitée du Congrès mondial des écrivains de langue française qui s’est tenu à Tunis les 25 et 26 septembre organisé par le Festival Étonnants voyageurs. Figure du militantisme féminin et écrivaine africaine célèbre, Amadou Amal accède à l’universalité par son roman aux accents autobiographiques, «Munyal, les larmes de la patience». Un ouvrage paru en France aux éditions Emmanuelle Collas, sous le titre «Les Impatientes» qui obtiendra le prix Goncourt des lycéens en 2020. Une histoire poignante qui relate, à travers la vie de trois héroïnes, la condition des femmes dans le Sud Sahel. Entre mariage forcé, viol conjugal, polygamie et précarité, les femmes africaines souffrent en silence. Surnommée par la presse camerounaise «la voix des sans voix», Djaïli Amadou a été elle-même mariée à l’âge de 17 ans avec un homme riche et âgé. Epouse parmi d’autres, la jeune femme brave les interdits, s’enfuie et se rebelle contre un destin tout tracé. Refusant tout et surtout de se taire, elle se raconte, cette fois-ci, à La Presse.
Comment vous-vous êtes mise à écrire ?
Enfant, j’étais passionnée de lecture. Mais j’étais très myope et je n’avais pas de lunettes adaptées. Lorsque le professeur lisait, je faisais des dessins et des formes pour retenir les idées. J’avais développé alors une mémoire auditive. L’écriture a été par la suite comme un acte naturel. Je me souviens très bien du moment précis où j’ai commencé à raconter ma vie. C’était après une nouvelle tentative de fugue. Après avoir subi un mariage précoce et forcé vers 17 ans, la seule voie que j’avais alors trouvée est l’écriture. C’était un exécutoire pour me guérir. Un jour, me sentant tellement mal que j’ai pris un agenda et me suis mise à écrire. Je me suis rendue compte que j’étais en train de me raconter. Ce manuscrit écrit dans un moment d’intense colère était trop intime, n’a pas été publié. J’ai par la suite écrit d’autres textes où je me racontais, mais à travers des fictions. Le dernier de ces écrits est «Munyal, les larmes de la patience» qui raconte les violences faites aux femmes. Je me suis inspirée de ma propre histoire et de celles des femmes de mon entourage.
Vous avez décidé de changer de vie. L’écriture a-t-elle été votre soutien pour vous libérer ?
A partir de mon premier roman «Walaade, l’art de partager un mari» publié en 2010, j’avais décidé de changer de vie et de me libérer par la littérature. D’être la voix de toutes ces femmes qui n’en ont pas. Avant de traiter la question de la polygamie, j’avais commencé à aborder le problème du mariage précoce qui représente la violence la plus pernicieuse qu’une jeune femme puisse subir. Une fille mariée avant ses 18 ans n’aura pas fini ses études, ni obtenu de diplôme et n’aura pas appris un métier. Elle subira toute sa vie la violence économique qui est synonyme de soumission totale. La femme non autonome financièrement n’aura jamais droit à la parole et subira par conséquence toutes les autres formes de violences: physique, morale, verbale.
Pour ce qui est de votre parcours personnel, vous avez acquis votre indépendance à partir du moment où vous avez acquis votre statut d’écrivaine ?
C’est tout à fait cela. Le mot patience revêt une importance et une pesanteur qu’on peut ressentir dans nos pays du Sud. Dans tous les pays où il y a cette influence des cultures musulmane et africaine. Si on demande à une femme d’être patiente, cela signifie également se résigner. La jeune femme mariée à 16 ans ne connaît que la maison de son père ensuite celle de l’époux. Partir, cela signifie faire machine arrière et rentrer chez les parents. Or, la réaction des parents est quasiment toujours la même: convaincre leur fille de rentrer chez elle, surtout de ne pas divorcer, de tout accepter pour sauver l’honneur de la famille, l’équilibre de ses enfants et ne pas heurter les codes sociaux. Une femme qui décide d’aller à l’encontre de ces considérations est perçue par la société comme une égoïste qui n’a pas su être patiente, qui n’a pas su se sacrifier pour le bonheur de sa famille.
Comment avez-vous décidé de partir ?
Il y a eu un déclic. Une des filles de mon mari, une demi-sœur de mes filles, a été envoyée à un mari de force, à l’âge de 15 ans ! C’était une élève brillante. Je voyais ce drame se dérouler sous mes yeux sans pouvoir agir. J’avais compris que c’était le sort qui attendait mes filles. Je serai alors dans l’incapacité de les protéger. J’ai décidé de m’enfuir en confiant mes filles à ma mère. Mon ex-conjoint les avait kidnappées pour me faire plier, mais je n’ai pas cédé. Je continuais à creuser mon sillon. Ce n’était pas une option pour moi, mais une obligation. Je n’avais pas d’autres choix que de réussir pour sauver mes filles et me sauver moi-même.
Votre premier emploi n’a pas été écrivaine. Racontez-nous vos débuts ?
A 17 ans, j’étais en troisième et j’avais réussi mon passage au lycée. La seule condition que j’avais réussi à imposer lors du mariage, c’est de poursuivre mes études. C’est ce qui m’a sauvée. J’ai eu mon bac et suivi une petite formation en gestion commerciale. J’ai été assistante, ensuite comptable. Ce n’était pas suffisant ni évident, j’ai vendu mes bijoux pour m’acheter un ordinateur, une table, une chaise, m’asseoir et écrire.
Aujourd’hui, vous êtes autrice célèbre mais également militante active, comment conciliez-vous les deux activités ?
Il y a toujours eu des associations qui militent pour le droit des femmes en Afrique. Mais le fait que ce soit une victime qui dénonce haut et fort ces injustices à travers des romans a eu une résonance particulière. En 2012, j’ai créé mon association «Femmes du Sahel». Avec des militantes et des militants, nous nous battons pour la scolarisation des petites filles. Je le répéterai encore et toujours ; le premier mari des jeunes filles devra être leur diplôme. Dans ma région, les femmes ne se révoltent pas. D’ailleurs, parler de polygamie, de mariage précoce, des femmes en général et de ce qu’elles ressentent représente des sujets tabous jusqu’à aujourd’hui. Après la publication du roman «Les impatientes» en France et face au déni que cela a suscité localement, certains m’accusant de raconter des mensonges, les femmes avaient alors réagi. La parole s’est comme libérée, mais le chemin est encore long.