Tribune: L’éducation nationale en péril 

Par Jamila HACHED *|

Cri d’alarme lancé par les éducateurs, les enseignants, les pédagogues …

L’élément déclencheur de cet article  est un événement  malheureux  survenu dans une famille tunisienne.

Je décris les faits : une jeune maman d’une trentaine d’années donne une tannée  à son fils de 6 ans première année primaire parce que ses notes varient entre 12 et 14. Elle lui a ouvert le menton, lui  causant un cratère  béant …. Cette violence en attendant le fameux « carnet », cette hystérie m’a fait sortir de mes gonds et j’ai tout de suite pointé du doigt cette situation pathologique vécue par la famille tunisienne en attendant la moyenne générale de ses enfants.

Pourquoi cette course effrénée vers l’élitisme, qui conditionne la société à  fabriquer des têtes bien pleines et non bien faites » ? Qui pousse vers l’exclusion de la masse des « passables » désignée à la vindicte publique. Pour satisfaire leur ego, les parents exigent 17 et 18 de moyenne générale  pour rivaliser avec la voisine, la sœur et le beau-frère. Pour la parade, ils sacrifient le bien-être de leur enfant et la stabilité de leur couple !

Ce gosse de 6 ans qui vient de mettre son pied à l’école, dont les larmes se mêlent au sang qui coule de son menton, agenouillé par terre , en criant et en sanglotant va détester l’école à vie, car elle sera synonyme de souffrances et de maltraitance.

Ce cartable que ces bouts de chou trainent pèsent plus lourd qu’eux… Pourquoi tous ces livres  qui visent la quantité et non la qualité, que gardent-ils en fin de journée des connaissances qui leur ont été déversées ?  Ce sont les parents qui font les devoirs, qui préparent les examens et qui stressent leurs enfants parce qu’ils sont eux-mêmes stressés et poussés à l’extrême.

Depuis Montaigne, nous enseignants avons  la réputation de savoir remplir les têtes sans pour autant les former. Régulièrement, on explique que l’Ecole devrait contribuer à former des élèves intelligents plutôt que des magnétophones enregistreurs et qu’elle devrait permettre aux élèves de généraliser leurs connaissances, de les transférer, voire d’apprendre à apprendre.

Mon propos dans cet article ne concerne pas uniquement le primaire mais le secondaire et le supérieur.

Comprendre. Apprendre. Comprendre. Apprendre ….

Nicolas Wapler  écrit dans son livre « Le  droit  de  comprendre  et  d’apprendre », que ces deux verbes évoquent l’effort, les obstacles à franchir, la compétition, les heures qu’il faut passer à essayer de mémoriser des cours, des jours entiers de lecture dans des bibliothèques et les devoirs que l’on doit faire à la maison, le soir, la tête penchée sur des livres qui donnent rarement les réponses aux questions que l’on se pose. Ils évoquent enfin l’échec, toujours menaçant et si souvent rencontré ».

L’apprentissage doit-il passer le plus souvent par  les larmes de l’enfant, les soupirs de l’étudiant, la frustration du stagiaire et l’angoisse du professionnel qui se « recycle » ?

« Pourquoi, avons-nous capitulé en admettant que réussir n’est pas à la portée de tout le monde et que l’échec d’un grand nombre, sinon du plus grand nombre, est normal ?

L’enjeu est de taille. Il concerne l’épanouissement personnel de chacun et, par là même, celui de la société tout entière. Pourquoi ne pas parler en premier lieu de découverte, de créativité, de progrès, de réussite, de plaisir, et de liberté ?»

« L’apprentissage n’est-il pas le droit de tous ? Et non le privilège d’une élite (quel que soit le sens attribué à ce mot), nous devons nous demander : Qu’est-ce qui ne va pas ? A qui incombe la faute ?

Est-ce la faute des programmes qui seraient inadaptés ? Des systèmes d’enseignement et de formation qui seraient gelés  dans des traditions annihilées ? Des professeurs dépassés, des méthodes pédagogiques pratiquées  et qui seraient archaïques ? D’une volonté collective défaillante ? De moyens financiers insuffisants ? Ou d’un système éducatif en difficulté? »

Nous pouvons certes imaginer des solutions, proposer des réformes mais nous nous limiterons dans  cet article à nous interroger sur le rôle de l’éducateur, de l’apprenant, du système éducatif, de la pédagogie…

« Les apprenants ont besoin qu’on s’intéresse à eux, qu’on les apprécie, qu’on se soucie d’eux, qu’on les sorte de l’anonymat, qu’on éprouve pour eux de l’amitié. Lorsque ces sentiments viennent à manquer, aucune technique, si professionnel que l’on puisse être, ne peut les remplacer. Je comprends que ce soit difficile à appliquer pour des classes surchargées….L’éducateur doit travailler en partant des besoins des apprenants tels que ces derniers les perçoivent et les expriment ». (Nicolas Wapler) 

Il ne suffit pas de dispenser un cours, de démontrer au tableau des théorèmes, ou de donner informations et explications, pour laisser les élèves se débrouiller tout seuls,  et  régurgiter ce qu’ils ont appris.

C’est   ainsi que nous comprenons que le rôle de l’éducateur consiste à aider les apprenants à s’engager dans ce processus personnel qui leur permettra de comprendre et d’apprendre, à les aider à le conduire jusqu’à son terme, qu’il consiste à leur faciliter la tâche, à faire en sorte qu’ils ne rencontrent pas de fausses difficultés et qu’ils puissent accomplir toutes les démarches intellectuelles qu’ils jugeront nécessaires.

Bref, c’est ainsi que  nous pourrons nous poser correctement la question, la seule question, dont découle sans doute toute la pédagogie : Que faut-il faire pour aider efficacement les apprenants à comprendre et à apprendre ?

Dans l’école d’ingénieurs où j’ai enseigné pendant un certain nombre d’années, et occupé le poste de chef du département langues et communication, nous avons appliqué la pédagogie active à toutes les matières et notamment aux soft skills. Cette révolution pédagogique mise en place n’a pas suscité à ses débuts  l’adhésion de tous les enseignants, parce que le nouveau, l’inconnu  intrigue, fait peur, et nous pousse à quitter notre zone de confort…

Mais nous n’avions pas le choix, la décision de la direction était irrévocable et sans  recours.

Chaque chef de département a pris les rênes, expliqué  le concept  aux enseignants  et  supervisé sa mise en pratique, animation de plusieurs workshops : l’innovation pédagogique et sa classe  inversée  « flipped classroom » virent le jour, avec pour défenseurs  inébranlables les plus réfractaires ! Année  2010(déjà !)

Il fallait répondre à nos apprenants qui posaient cette question : «  Devrons-nous marcher sur la tête » ? –  Oui, en quelque sorte.

Inversion de la classe selon la taxonomie de Bloom, ou comment formuler ses objectifs en termes de savoir : « La taxonomie de Bloom est un outil qui permet de distinguer différents niveaux d’activités intellectuelles dans toutes activités d’évaluation ».

Les 6 niveaux de la taxonomie sont :

1) Connaissance: mémoriser, réciter par cœur

– Savoir répéter l’information apprise : mémoriser des informations et puiser dans sa mémoire à long terme des données factuelles pour les restituer sur une feuille de DS, d’examen ou oralement. C’est le tableau classique de notre système éducatif, hormis quelques exceptions.

2) Compréhension: dire dans ses propres termes.

– Réexpliquer  la leçon avec ses propres termes, démontrer sa compréhension en établissant des liens significatifs entre ce que l’on se rappelle et une nouvelle tâche. Cela nous demande d’interpréter l’information en fonction de ce qui a été appris.

**C’est déjà un pas en avant !

3) Application: appliquer ses connaissances.

– Savoir  appliquer ses connaissances ou sa compréhension à un exercice pratique en transférant une procédure apprise à une tâche familière ou non.

Cela nécessite de sélectionner des données pour réaliser une tâche ou pour résoudre un problème.

**Travaux pratiques, travaux dirigés, expérimentation et application de la théorie.

4) Analyse: interpréter : hypothèses, conclusions, faits.

– Analyser est le fait de mettre en relation des faits et des énoncés ou questions. Cela demande de fractionner ses connaissances sur un sujet en différentes composantes et de démontrer les liens unissant les parties entre elles et avec leur ensemble, et de savoir déterminer des hypothèses, des conclusions, des faits, des interprétations concernant l’information. Si on enseignait la taxonomie de Bloom aux étudiants, ils pourraient développer leur autonomie d’auto-apprentissage pour développer leur capacité d’apprentissage. On peut même enseigner la taxonomie de Bloom à des enfants à l’école maternelle.

On peut tout à fait expliquer à un enfant /adulte qu’il retiendra mieux s’il explique ce qu’il a compris que s’il répète par cœur,

5) Synthèse: réaliser une œuvre personnelle.

– Synthétiser des idées = construire des exercices d’évaluation en se servant de la taxonomie de Bloom en exerçant  son jugement : détecter les éléments inappropriés et manquants de logique, en démontrant son esprit critique, en proposant de nouvelles idées, et en définissant  un nouveau produit.

6) Evaluation: porter un jugement de valeur argumenté.

– Juger /évaluer: c’est le niveau le plus complexe et le plus stimulant sur le plan intellectuel puisque nous estimons et critiquons en fonction de critères que nous avons construits.

Après cette présentation des six fonctions de la Taxonomie de Bloom, venons-en,  mais de manière succincte, aux  différentes méthodes d’apprentissage : –plus de détails dans des publications ultérieures

1/Méthode affirmative ou expositive : le formateur est au centre du processus d’apprentissage ; c’est lui qui a le pouvoir et les apprenants sont là pour apprendre, le formateur est face au groupe. Cours classique, cours magistral. « L’important, c’est de transmettre le savoir à des étudiants. La mission de l’Université, c’est de diffuser le savoir, de le proposer au plus grand nombre, et de le valider par un diplôme.

2/Méthode interrogative : dialogue entre le formateur et l’apprenant, qui est incité à formuler ce qu’il sait, ce qu’il pense ou ce qu’il  se représente. Le formateur teste la compréhension de l’apprenant à l’aide de questions bien ciblées sur le contenu appris.   

3/Méthode démonstrative : le formateur détermine le chemin pédagogique, il montre puis fait faire : reformulations, séances de TP et travaux dirigés.

4/Méthode active : le formateur adopte la posture « former », il   est plus un accompagnateur qu’un instructeur, il fait découvrir, on part de la pratique vers le théorique. Nous sommes dans le co-construire.

« L’important, c’est de construire une relation d’échange et de débattre autour des concepts et des courants d’idées scientifiques, afin que chacun construise son opinion, ses valeurs ».

Le formateur, tuteur / accompagnateur construit une relation pédagogique forte avec ses élèves : animation, accompagnement, médiation, rapports  en distanciel….

-L’étudiant est au centre de la formation, il en est l’acteur, il échange avec l’enseignant ou son tuteur et avec ses camarades des idées, des productions… Il va utiliser les listes de diffusions, forums, téléphone, plateformes, visioconférences, etc. pour échanger avec les autres.

Nous pénétrons dans l’acte de communiquer, « communicare », en latin rentrer en relation avec l’autre, découvrir l’autre, l’écouter pour construire ensemble, apprendre à travailler en groupe, former une équipe, le profil qui se dessine dans ce microcosme est celui du citoyen de demain, acteur dans son environnement social et professionnel. L’Université qui s’humanise  formera des citoyens aptes à argumenter leurs opinions dans les règles de la démocratie en se référant à des corpus de savoirs constitués ou à des écoles de pensées ».

La mission de l’Université sera de fournir à la société des hommes qui ont de la méthodologie, du savoir-faire, du savoir-être et du savoir-devenir.

« L’important, c’est que l’étudiant puisse utiliser avec profit les ressources de son environnement, exprimer ses besoins et devenir autonome dans son approche des savoirs. Il doit savoir s’autoévaluer, gérer ses compétences et se former « tout au long de la vie » — formation professionnelle, formation continue.

Il doit être capable de travailler avec les autres, avec des moyens variés et nouveaux, il sait changer, évoluer, s’adapter.

Savoir/ savoir-faire/ savoir-être, nous y reviendrons avec plus de détails….

Le savoir : ensemble des connaissances acquises

Le savoir-faire : l’expérience pratique (TP, TD) qui témoigne de la maîtrise technique d’un domaine et qui permet l’application d’une connaissance, d’un savoir. C’est donc l’habileté à mettre en œuvre son expérience et ses connaissances acquises dans un art ou un métier quelconque.

Le savoir-être est lié à votre attitude, à vos valeurs, les qualités personnelles et comportementales dont vous allez faire preuve dans le domaine professionnel: *courtoisie, *maîtrise de vos émotions, *bon relationnel, *capacité à travailler en équipe…

Savoir devenir : dans un monde où l’incertain et le non-prévisible font partie du quotidien, les notions traditionnelles de savoirs ne suffisent plus pour définir la compétence. Il faut se tourner vers le savoir-devenir qui exprime la capacité à savoir évoluer. C’est un état d’esprit qui permet d’élargir et d’actualiser ses points de repère selon les situations. Nous parlons d’adaptabilité.

Ces deux volets ont pris beaucoup d’importance actuellement, les recruteurs vous évaluent surtout  sur ces dernières compétences.

C’est pourquoi je revendique  et j’appuie l’apprentissage par problème ou par projet  APP, l’innovation pédagogique dont le succès n’est plus à démontrer.

Le formateur – facilitateur lance le problème, les apprenants travaillent  en binôme ou en groupe, pour tenter de le résoudre, le cours en classe leur donnera l’occasion d’en débattre, chacun donnant une solution, ainsi ils auront fourni des efforts pour chercher, se documenter, créer, en discuter avec les équipes….

Ils pourront choisir un thème et le présenter oralement en classe, c’est l’occasion de parfaire leur écrit et leur oral, en prêtant attention à leur para verbal et à leur posture.

L’enseignant novateur, en entreprenant une démarche de projet, accepte d’ouvrir l’école vers l’extérieur, de gérer tous les imprévus et d’être toujours disponible.

Dans cet article, je n’ai rien inventé, … j’ai essayé de récapituler, de résumer mes lectures, les témoignages de mes collègues pédagogues et des parents sur un sujet qui doit être pris au sérieux, rénover un  système éducatif figé afin de  fabriquer des hommes  créatifs, sachant travailler en équipe, ayant le sens du partage, dans le respect de l’autre, de vrais leaders et non des élites en exclusivité,  dont le seul but est  la note… le 19 au baccalauréat…

Je  suis partie de mon expérience en tant que pédagogue formée à l’école de l’innovation pédagogique, l’école humanisée   qui a porté ses fruits.

Il n’en demeure pas moins que c’est un choix de société et cette question est évidemment politique.

Nous avons la matière grise, les équipes, et nous sommes prêts à expérimenter cette approche dans les écoles étatiques et les centres de formation professionnelle.

« Le savoir ne se transmet pas, il se construit » (Bachelard)

(*)  Professeure
de techniques de communication

Evaluateure, examinateure du TCF, DALF, DELF, DILF – F.E.I-

Présidente et membre du jury Production orale TEF/TEFAQ- CCIP-île de France

Chef de projet enseignement par niveaux FLE du CECRL                                       

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• F.E.I : France éducation international/C.C.I.P : chambre de commerce et d’industrie de région Paris-Ile-de-France / C.E.C.R.L : Le Cadre européen commun de référence pour les langues 

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