Nefla Dhab, une nouvelliste tunisienne de grand talent, largement connue et reconnue. En attendant de lire le nouveau livre de nouvelles qu’elle est en train de terminer et qui paraîtrait au cours de cette année, nous lui avons demandé d’apporter ses réponses de connaisseuse à plusieurs de nos questions relatives à l’art «nouvellestique», à la traduction et à l’écriture dite féminine…
Juriste de formation et œuvrant dans le domaine de la culture, la Tunisienne Nefla Dhab est, depuis 1979, une nouvelliste de grand talent, largement connue et reconnue. Elle est aussi conteuse pour enfants et traductrice. Elle a à son palmarès pas moins de 6 recueils de nouvelles d’une grande qualité littéraire et 33 contes pour enfants, dont 6 sont édités en 2019. Elle a traduit aussi en langue arabe les poèmes que la feue Sophie El Golli avait composés en français pour les enfants. «Les Cahiers d’Elisabeth» est le roman de la journaliste et écrivaine québécoise, Sylvie Desrosiers, qu’elle a traduit aussi en arabe. Ses titres majeurs sont surtout «A’midà Min Dukhan» (Volutes de fumée), «Al-Samt» (Le silence), «Al-Chamsu Wa al-Ismant» (Soleil et ciment), «Haroun Ya’ khoudhou al-moun’ataf» ( Haroun prend le tournant), «Chourfa Ala Al-Bahr» (Un balcon sur la mer) et «Hikayet El leyl» (Les contes de la nuit) dont nous avons déjà rendu compte dans cette rubrique culturelle (La Presse de Tunisie, 30-1-2021). Plusieurs de ses textes ont été traduits en diverses langues et publiés dans différents pays.
En attendant de lire le nouveau livre de nouvelles qu’elle est en train de terminer et qui paraîtrait au cours de cette année, nous lui avons demandé d’apporter ses réponses de connaisseuse à plusieurs de nos questions relatives à l’art «nouvellestique», à la traduction et à l’écriture dite féminine.
En plus des 33 contes pour enfants, vous avez publié pas moins de 6 recueils de nouvelles en langue arabe. Ce genre littéraire semble être, avec le conte, votre spécialité majeure. Comment, d’après votre constante pratique de cet art, pourriez-vous définir la nouvelle ? Quelles sont ses techniques les plus importantes ? En quoi ce genre se distingue-t-il du roman ?
La nouvelle est une portion de vie, de mots et de temps. Elle dit tout à demi-mots et donne libre cours à l’imagination du lecteur. Elle ne doit pas l’impressionner par beaucoup de mots. Pour réussir une nouvelle, —je ne sais pas si après toutes ces années de pratique, je peux dire que je domine bien ce genre littéraire— il n’y a pas à mon avis une recette miracle, mais il y a à la base un amour de l’écrit et si on n’aime pas l’écriture, il faut faire autre chose. La nouvelle débarque dans mon esprit comme un rêve et me guide… A mon avis, il faut accentuer l’utilisation de l’image poétique et éviter les «parenthèses» qui peuvent alourdir le style parce qu’il est préférable qu’il soit direct et captivant. Dans la nouvelle, chaque mot a son importance et ceux-ci sont économisés comme le veut la technique. La nouvelle se distingue du roman par l’économie de la présence de personnages, elle peut être centrée, soit sur un personnage, soit sur une situation ou un lieu, et ce, contrairement au roman, même si parfois tout se mêle par la volonté des auteurs. Le rythme de la nouvelle n’est pas celui du roman, il est plus rapide car plus évocateur dans l’immédiat.
Plusieurs de vos nouvelles ont été traduites en différentes langues, dont le français, l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le russe, le roumain et le chinois. Qu’est-ce qui, d’après-vous, a décidé les traducteurs à traduire vos nouvelles écrites en arabe a tant de langues au moment même où la littérature tunisienne de langue arabe ne semble pas attirer beaucoup de lecteurs et de traducteurs étrangers ?
Je pense que la traduction est une démarche nécessaire aujourd’hui pour la littérature arabe qui est parfois ignorée et se confond avec un langage propice à beaucoup d’interprétations malheureuses issues d’idées arrêtées et non conformes à la réalité. Les premières traductions me concernant, ainsi que d’autres nouvellistes tunisiens, étaient faites par des traducteurs russes (dans le cadre des relations de «L’Union des écrivains tunisiens» et de leurs homologues russes), puis suivirent d’autres traductions dans d’autres langues. Qu’est-ce qui a décidé les traducteurs à traduire mes œuvres ? A mon humble avis, c’est le prix «Lo Stellato» que j’ai reçu pour ma nouvelle «Propos autour du silence» à Salerno (publiée dans le livre Silenzi, à Rome chez «Avagliano Editore» en 1999) qui a décidé de toutes ces traductions ayant foisonné par la suite. J’ai pu avoir les anthologies les concernant grâce aux traducteurs et grâce à mes amis libraires qui m’ont aidée à les acheminer à Tunis. Peut-être que le choix de mes nouvelles aurait-il été inspiré par les thèmes qui y sont traités et leur intérêt en rapport avec le lectorat !
Vous êtes juriste de formation, vous avez étudié souvent en français, vous avez bien pratiqué le français dans votre traduction en arabe des œuvres écrites en langue française. Pourquoi avez-vous pourtant préféré écrire vos propres livres en arabe ?
Grâce à ma formation en deux langues, l’arabe et le français, dès le primaire, je suis bilingue. La première fois que j’ai écrit un texte littéraire, c’était lors de ma participation à une émission radiophonique produite par notre grand poète disparu, Ahmed Loghmani (Houwett el Adeb), et, depuis, j’ai découvert ma vocation. Mon père qui était poète, m’a beaucoup encouragée à écrire en arabe. J’aimais et j’aime toujours la langue arabe, car je la trouve très riche et très proche de mes aspirations littéraires. Je suis aussi une grande lectrice dans les deux langues. Cependant, j’ai écrit et publié des textes en français (quelques nouvelles dans la page culturelle du journal L’Action en 1970) et j’ai contribué à un ouvrage collectif «Le Hammam» d’Othman Khadraoui avec un texte «figurines» ( publié par Cérès en 1992) et quelques études lors de mes participations à l’étranger.
Vous êtes une femme et vous produisez de la littérature. Pensez-vous que votre production littéraire est spécifiquement féminine. Serait-il juste de parler aujourd’hui en Tunisie de littérature féminine par opposition à une autre littérature tunisienne qui serait «masculine» ou en complémentarité avec celle-ci ?
Ma production littéraire s’inspire de mon amour pour le conte, dont mon oncle paternel nous a inculqué l’art. Il nous racontait tous les samedis soir des contes avec ferveur, sa voix était si envoûtante que je rêvais des jours après de ce qu’il nous a raconté. Je ne pense pas que ma production littéraire soit spécifiquement féminine, mais humaine ou humaniste et parle de la femme et de l’homme ! l’humanisme existe dans les écrits de femmes comme dans ceux des hommes, selon la conception personnelle de chacun, bien sûr.
Pour finir, quel est d’après-vous le genre littéraire (Poésie, Nouvelle, Roman, Mémoires, Autobiographie, Autofiction, etc.) qui a plus de chances d’être davantage pratiqué par les écrivaines tunisiennes lors des prochaines années ? Pourquoi ?
Le genre littéraire qui sera pratiqué davantage chez les écrivaines tunisiennes futures est le roman avec ses différents genres et sous-genres (le roman réaliste, le roman autobiographique, le roman historique, le roman d’analyse, le roman épistolaire, le roman d’apprentissage, le roman d’analyse, le roman d’aventure, etc.). C’est ce que je crois ! La Nouvelle comme genre littéraire n’est plus de mise déjà. C‘est ce que je constate surtout en visitant la «Foire du Livre tunisien» (2021). Pourquoi ? Parce que les jeunes veulent se mettre au diapason, et le roman, est un genre qui prime maintenant et où sont développés plusieurs styles d’écritures.