Huit principales lagunes s’échelonnent le long d’une portion littorale d’environ 1.000 km. Parmi les caractéristiques originales de ces lagunes, il convient de signaler leurs paysages remarquables et leur valeur écologique exceptionnelle. Si elles ont été longtemps sacrifiées sur l’autel de la vanité de l’homme, il est plus qu’urgent aujourd’hui de les protéger.
Dans le cadre de la célébration de la Journée mondiale des zones humides, le département des sciences de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts «Beït al-Hikma» a d’organisé mercredi 2 février une conférence autour du thème : «Les lagunes tunisiennes : des espaces naturels remarquables à protéger». Un thème d’une importance capitale en ces temps de réchauffement climatique. La conférence a été donnée par la professeure émérite des universités, Oum Kalthoum Ben Hassine.
Pêche excessive et pollution, les ennemis jurés des lagunes
Les lagunes en Tunisie sont très remarquables par leur diversité et leur variété paysagères et patrimoniales et constituent la plupart des masses d’eau naturelles permanentes des zones humides. Elles représentent une part importante du paysage côtier, d’après la spécialiste de biodiversité et des écosystèmes méditerranéens côtiers. Huit principales lagunes s’échelonnent le long d’une portion littorale d’environ 1.000 km. La plus petite est située à Monastir (173 hectare) et la plus grande est celle de Boughrara (50.000 hectares) située au Sud de l’île de Djerba, sur la bordure méridionale du golfe de Gabès. La plus profonde est celle de Bizerte avec 7 mètres et la moins profonde celle de Monastir (inférieure à 0,5 mètre).
Parmi les caractéristiques originales de ces lagunes, il convient de signaler leurs paysages remarquables et leurs valeurs écologiques exceptionnelles, à l’exemple de celle de l’Ichkeul, l’un des rares sites au monde inscrit dans trois conventions internationales. Ce sont d’importantes zones pour la conservation de zones humides d’importance capitale. Les lagunes tunisiennes sont remarquables par leur biodiversité et leur importance patrimoniale aussi bien naturelle que culturelle, mais ont longtemps souffert des effets néfastes de diverses activités anthropiques, comme la pêche excessive, le rejet des déchets domestiques, industriels, agricoles et aquacoles et la construction des barrages pour satisfaire les besoins en eau potable et pour l’irrigation, souligne la conférencière. Conséquemment, et suite à la construction de trois barrages (Joumine 1984, Ghezala 1988 et Sejnane 1994), l’Ichkeul a été privé de 46% des apports d’eau douce de son bassin versant.
La réduction d’eau douce a occasionné l’assèchement presque total des marais, la diminution permanente de la superficie de la lagune en question ainsi qu’une augmentation importante de la salinité qui a entraîné de graves changements écologiques. Des changements qualifiés de catastrophiques par l’experte. Ceci a causé un déséquilibre de l’écosystème avec une régression de la végétation clé de l’Ichkeul, la diminution significative du nombre d’oiseaux d’eau et de la richesse spécifique des poissons et en général de la biodiversité. Au cours de la décennie 1895-1905, la lagune de Bizerte fut l’une des plus poissonneuses du monde, regrette l’experte.
Il est clair que la construction des barrages a entraîné la salinisation de la lagune d’Ichkeul et la perte progressive de ses composantes lacustres. En 1996, l’Ichkeul a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial en péril mais en 2008 il a été fort heureusement retiré de cette liste.
Des travaux d’aménagement et de réhabilitation
A ce propos, la professeure Ben Hassine explique que dans le contexte du réchauffement climatique, l’augmentation de la sécheresse et la rareté de l’eau douce ne peuvent qu’exacerber les conflits entre les différentes utilisations humaines et environnementales et aboutir vraisemblablement à la dégradation permanente de l’Ichkeul.
La lagune d’El Bibane, située dans le gouvernorat de Médenine, a souffert de l’impacte de la surpêche. La production de poissons est passée de plus de 600 tonnes en 1964 à environ 163 tonnes en 2006 et à moins de 150 tonnes en 2016. A noter que la gestion de cette lagune a été confiée à un concessionnaire privé en 1998. L’absence de contrôle au niveau de l’exploitation durant plusieurs années n’a fait qu’accélérer la chute de la production halieutique. Le profit compte plus pour le privé. La pêche y est pratiquée malheureusement par des barques motorisées. Hormis la lagune d’El Bibane qui ne semble pas recevoir une pollution d’ampleur significative, toutes les autres lagunes ont subi ou subissent encore les effets de rejets polluants d’origines diverses. De ce fait, certaines lagunes ont été dégradées (Bizerte, Ghar El Melh, Tunis Nord et Tunis Sud avant leur réhabilitation, Monastir et Boughrara avant son aménagement).
Toutefois, diverses études ont été consacrées aux conséquences des perturbations engendrées par ces pressions anthropiques. La bonne nouvelle, c’est qu’elles ont mis en évidence des changements au niveau des caractéristiques écologiques des lagunes et de la composition de la biodiversité. Par ailleurs, les travaux d’aménagement et de réhabilitation opérés et les résultats des recherches menées durant la période ayant suivi la réalisation de ces travaux ont révélé la présence de signes évidents d’amélioration au niveau de l’ensemble des écosystèmes ciblés par les actions d’aménagement. De bon augure, mais il faut rester vigilant.
Des signes non trompeurs d’amélioration ont été observés, ainsi qu’une amélioration des conditions environnementales de l’écosystème pour certaines lagunes. La conférence se termine sur une note gaie, «une success story» relative notamment à la restauration du complexe lagunaire de Tunis.