Elle ne pouvait pas échapper à un destin qui semblait tout tracé pour elle. Fille de feu Abdelkader Achour considéré comme le père de la natation tunisienne et sœur du nageur Sami Achour, notre invitée a grandi naturellement au bord de la piscine qui fut, toute petite fille, son espace de jeu : « J’ai ouvert les yeux à la piscine d’El Menzah. Mon défunt père y était le directeur. Il y avait quatre piscines au fait : deux piscines couvertes où je pouvais nager l’hiver et deux autres non couvertes où je nageais l’été. Je ne faisais donc que nager. Enfant, c’était la seule façon pour m’amuser. A trois ans, je passais mes journées au bord de la piscine d’El Menzah et je côtoyais déjà les figures de proue de la discipline que je voyais s’entraîner à El Menzah. Je ne pouvais donc pas faire autrement que devenir nageuse. Pourtant, mon défunt père ne m’a jamais poussée à faire de la compétition. Il m’a toujours exhorté à prendre du plaisir à nager. Son mot d’ordre était de m’amuser avant tout en faisant de la natation. Je dois à mon défunt père, Abdelkader Achour, la femme que je suis devenue et la championne que j’étais, car, enfant, il m’a toujours poussée à prendre du plaisir et à être passionnée dans ce que j’entreprends. Il m’a toujours félicitée pour les efforts que j’ai faits sans jamais se soucier de mes résultats et de mon classement. Et c’est d’ailleurs le secret de ma réussite». C’est en ces termes que Samia Achour, l’ancienne championne d’Afrique et fille du légendaire et père de la natation à l’ASM et même à l’échelle nationale, feu Abdelkader Achour, a évoqué ses débuts dans le monde de la natation.
Chez les Achour, la natation est une affaire de famille : « Mon père a grandi à La Goulette. Avec feu Fraj Ben Saâd, il a intégré les rangs d’une équipe juive de natation. A l’époque, il n’y avait même pas de piscines et seuls les Français et quelques privilégiés pouvaient s’adonner à ce sport. Plus tard, mon père a fondé la section de la natation à La Marsa. Avec feu Fraj Ben Saâd, il a encouragé les Tunisiens à pratiquer la natation. Sous le régime de Bourguiba et aux premières années de l’indépendance, il faisait partie des 7 maîtres d’éducation physique, chacun dans sa spécialité, sélectionnés par l’Etat pour établir les principaux fondamentaux du sport en Tunisie. Lui, c’était dans la natation. Il y avait également Ahmed Aouadi, l’entraîneur de Mohamed Gammoudi. Pour l’histoire, mon défunt père a œuvré à la création de beaucoup de piscines à travers toute la République, et pas seulement à La Marsa ».
« A 13 ans, j’ai pris goût à la compétition »
Jusqu’à 12 ans, la natation était, pour elle, un simple loisir, un amusement auquel elle aimait s’adonner. La piscine est son milieu naturel : « La natation était pour moi un simple hobby jusqu’à 12 ans. Je n’imaginais même pas faire de la compétition. Je me classais souvent dernière et, dans les meilleurs des cas, je terminais quatrième. Toutefois, je côtoyais les membres de l’équipe nationale que je voyais s’entraîner tous les jours : Ali Gharbi, Meriem Mizouni, Saloua Obba et Habib Soukni. Puis, il y a eu la génération Faten Ghattas, Samir Bouchlaghem et mon frère Sami. J’étais attirée, voire impressionnée par leur mode de vie. Ils prenaient part à des compétitions, voyageaient à travers le monde et remportaient des médailles. Je me suis dit : « C’est cela ma vocation. Je vais faire comme eux ». Un beau jour, j’ai gagné une compétition nationale. Ce fut le déclic. Comme je savais nager et on ressentait que j’avais du potentiel, monsieur Ayari m’a fait intégrer en équipe nationale A par encouragement. Puis, il y a eu les Jeux panarabes organisés dans notre pays. Il y avait dans les tribunes feu Mohamed Mzali, alors ministre de la Jeunesse et des Sports. Il venait regarder les Tunisiens nager. Il y avait une course de 100 m, la plus longue distance d’ailleurs. Il n’y avait que Faten Ghattas et moi comme nageuses. Comme ils avaient besoin de deux nageuses, on m’a jeté dans le bain. J’ai terminé troisième. J’ai donc remporté une médaille de bronze et, à ce jour, je ne sais pas comment j’ai fait pour battre des nageuses plus expérimentées et plus âgées que moi. Cette médaille de bronze était ma première consécration à l’échelle internationale. J’ai fait une si bonne impression que Mohamed Mzali a demandé qu’on lui présente cette gamine de 13 ans qui a réussi à concurrencer plus grandes qu’elle et monter sur le podium ».
« Le titre africain, mon plus beau souvenir »
Après cette consécration, la jeune gamine insouciante est devenue une compétiteuse aguerrie enchaînant les médailles et les titres, notamment un record d’Afrique qu’elle a conservé durant 15 ans. Mais son plus beau souvenir est le titre africain qu’elle a remporté en 1990 lors du championnat africain organisé en Tunisie : « Comme la compétition est organisée en Tunisie, la tutelle a exigé de la Fédération de natation que le titre soit remporté par des Tunisiens lors de la première épreuve à laquelle le ministre devait assister. Vous savez comment ça fonctionnait du temps de Ben Ali. C’était la course du 400X4 nages, la plus difficile des épreuves. Je me suis préparée pour cette épreuve durant un long stage en Italie alors que ce n’était même pas ma spécialité. Mes efforts ont été récompensés et j’ai remporté le titre africain, mon plus beau souvenir du reste, car c’était en présence de mon père qui me regardait monter sur le podium les yeux pétillants, fier de sa fille. Rien que de me remémorer la fierté dans le regard de mon père, ce championnat d’Afrique a une considérable valeur sentimentale et pas seulement sportive. Au fait, je dois tout à mon père pour la femme que je suis devenue, cultivée et sportive de haut niveau avec un aussi riche palmarès. Pourtant, mon père ne m’a jamais imposé de faire de la natation de haut niveau. Il a toujours insisté pour que je prenne du plaisir à nager et c’est le secret de ma réussite sportive ».
Toutes ces choses à redéfinir
On ne peut pas être en présence d’une championne de la trempe de Samia Achour sans lui demander son avis quant à l’état des lieux de la natation tunisienne : « Tout est à refaire pour que la natation retrouve son aura d’antan. Il faut revoir le système éducatif de sorte à trouver un horaire scolaire compatible avec la vie d’un sportif de haut niveau. Il est impératif que nos sportifs de haut niveau puissent suivre leurs études sans que cela empiète sur leur carrière. Or, le système éducatif actuel où il y a beaucoup de bourrage de crâne fait pièce à toute ambition sportive. Il y a également une pénurie de piscines. Il faut en bâtir davantage, notamment à l’intérieur du pays. Enfin, les meilleurs entraîneurs doivent exercer dans le petit bassin où il y a le gros du travail à faire ».
Samia Achour que la Fédération tunisienne de natation vient de nommer entraîneur national pour les 13-14 ans aura l’occasion de transmettre son savoir-faire et sa passion de la natation à la jeune élite qui s’apprête à prendre la relève.