Dans cet entretien, le distributeur et exploitant Lassâad Gobantini nous expose les raisons qui, selon lui, empêchent nos films de réaliser des chiffres importants mais aussi de l’immobilisme de l’administration face au volet de l’exploitation des salles.
Après la crise de la Covid, comment se présente la reprise aujourd’hui pour les salles de cinéma. Le public est-il de retour ?
Ce n’est pas tout à fait comme avant mais c’est légèrement mieux… La crise a aussi touché le pouvoir d’achat des Tunisiens et tout cela se répercute sur le nombre d’entrées. Je dirais que c’est une reprise timide en la comparant à celle de 2019 par exemple.
Quels sont les films les plus visionnés par les Tunisiens ?
Les films qui tiennent la tête de liste sont les blockbusters américains. Ils font les meilleurs chiffres. Par contre, les films tunisiens ont perdu de leurs spectateurs et je dirais de leur attrait.
Pourquoi ne font-ils plus recette ?
A mon sens parce qu’il y a un problème de choix des sujets. Nous avons besoin de thématiques qui intéressent le public tunisien et lui permettent de s’identifier. Il y a un problème de qualité d’écriture également. Il y a des films tunisiens qui ne contiennent même pas une «âme» tunisienne. D’autre part, les films tunisiens commencent à avoir la réputation qu’ils ne sont pas faits pour le grand public, ce qui leur a fait perdre de leur audience. Quelques films réussissent à se distinguer du lot mais ce n’est plus comme avant. En termes de chiffres, ils sont très loin des films étrangers. Un film tunisien est censé avoir au moins 35% de la part du marché. Or, nous n’en sommes qu’à 12% en 2021. Il y a le film égyptien qui revient et il enregistre de meilleures performances que le film tunisien.
Quelles sont les plus grandes difficultés aujourd’hui pour un distributeur de films ?
C’est essentiellement le parc de salles qui est très réduit, le coût de la communication qui ne cesse d’augmenter, la fiscalité de la distribution et la lourdeur administrative ce qui fait qu’on a du mal à travailler. Il y a aussi un problème de visa d’exploitation qu’on ne délivre pas pour le moment. C’est en statu quo! Et ce, depuis «Mort sur le Nil».
Vous saviez que l’actrice Gal Gadot était sujette à polémique à cause de sa nationalité et vous avez distribué le film…
Le premier «Wonder woman» avec Gal Gadot a été interdit, par contre son «Wonder woman 2» a eu le visa d’exploitation et il est passé sur nos écrans. On a cru que le problème était résolu d’autant plus que d’autres films avec la même actrice Gal Gadot ont eu le visa comme «Fast and Furious». Mais, personnellement, avant de lancer «Mort sur le Nil», j’ai demandé l’avis de la direction du cinéma et on m’a fait savoir qu’il n’y avait pas de problème. Ils n’ont manifesté aucune intention de l’interdire. J’ai alors signé le contrat avec les producteurs et j’ai financé toute la compagne d’affichage. C’était de l’argent perdu et il n’y a aucune partie pour me rembourser. J’ajouterais que le ministère de tutelle détourne complètement son regard de la question d’exploitation et de distribution. Un bon décideur doit enfin comprendre qu’il faut miser sur l’exploitation. C’est le parc de salles qui crée le mouvement et la billetterie et encourage les producteurs de films à se lancer dans de nouvelles aventures et on peut ainsi créer un vrai marché pour le cinéma qui soulagerait les subventions de l’État. Pour le moment on investit dans des films qui ne trouvent pas de parc pour être diffusés. Ce modèle est éculé et personne ne veut le moderniser.