Achraf Aouadi, 33 ans, jeune informaticien, a décidé de plaquer son poste de travail à l’étranger pour lancer, avec sa femme Rym Bourguiba (également ingénieure en informatique), une startup spécialisée en tourisme alternatif et durable «WildyNess». Blogueur et globe-trotteur passionné de photographie, Achraf, qui a voyagé dans plus de 40 pays à travers le monde, a pu détecter une nouvelle tendance qui gagne du terrain, celle du tourisme alternatif. Fin connaisseur des moindres recoins de la Tunisie, il s’est vite rendu compte du potentiel des régions tunisiennes en la matière. Il a alors décidé de créer « Wildyness » pour faire découvrir la Tunisie sous un autre regard. Il nous en parle plus. Entretien.
Parlez-nous un peu plus de la startup que vous dirigez, WildyNess. Comment l’idée de créer une startup dans le secteur du tourisme vous est-elle venue à l’esprit ?
J’ai lancé la startup « WildyNess » avec mon épouse Rym Bourguiba. Nous avons voyagé dans beaucoup de pays à travers le monde. On est chanceux parce qu’on a pu découvrir le potentiel du tourisme durable dans le monde. Et nous avons pu détecter une tendance qui gagne du terrain dans le domaine du tourisme : les voyageurs et les touristes sont de plus en plus attirés par les expériences locales. Ils sont en quête d’activités immersives et veulent se mettre en contact avec les habitants locaux. C’est le constat qu’on a pu tirer en visitant plus de 40 pays à travers le monde, notamment le Vietnam, le Myanmar, le Brésil… Ce genre de tourisme fait fureur, particulièrement dans les pays de l’Asie du Sud Est, l’Amérique latine et l’Afrique du Nord. Nous avons écrit beaucoup d’articles sur le sujet sur notre blog «Walk Beside me», où nous avons consigné nos voyages. Les articles ont cartonné et attiré l’attention de beaucoup de lecteurs qui se sont mis à nous contacter. Mais on s’est rendu compte qu’aucun article, parmi les 150 qu’on a publiés, ne parlait de la destination Tunisie qui est notre pays natal. C’est à ce moment-là que l’idée de créer une plateforme dédiée au tourisme durable en Tunisie a germé dans nos têtes. Personnellement, j’ai visité plusieurs régions extraordinaires, des lieux et des sites époustouflants en Tunisie. Et je me suis aperçu du potentiel de notre pays en matière de tourisme durable, lequel potentiel demeure très mal exploité, contrairement aux autres pays qui ont su mettre en valeur cette nouvelle offre touristique. C’est un véritable gâchis, vu les potentialités que recèlent les régions tunisiennes. C’était le déclic qui nous a poussés à créer «WildyNess», une plateforme qui propose des activités durables et immersives dans les régions tunisiennes.
Pouvez-vous nous en citer des exemples ?
Par exemple, nous proposons des tours culinaires à Tataouine. Parce que la région de Tataouine est très connue pour son patrimoine culinaire très riche. Il s’agit d’un tour guidé qui comprend des visites gourmandes chez les locaux. Cela permet de découvrir les plats authentiques de la région mais aussi son patrimoine culturel. Un autre exemple: une balade en felouque à Kerkennah avec des pêcheurs qui initient les visiteurs à la «charia», une technique de pêche traditionnelle inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Les touristes peuvent profiter de cette expérience unique tout en se délectant du spectacle fascinant du lever de soleil à Kerkenah. Nous proposons également des activités à Aïn Draham. En effet, la région est connue pour son paysage forestier mais elle est également réputée pour sa culture de plantes aromatiques et médicinales telles que le thym, le genévrier… Accompagnés de femmes artisanes, les touristes peuvent cueillir les plantes aromatiques, assister à l’opération de la distillation dans un atelier et récupérer par la suite l’huile essentielle extraite. Apprendre aux touristes le savoir-faire ancestral de la fromagerie à Béja ou à Jendouba, deux régions réputées pour leur formage, peut également intéresser les visiteurs curieux.
Votre startup fait partie du projet de la route cinématographique. Comment évaluez-vous l’apport de ce projet à l’offre touristique tunisienne ? Et comment «WildyNess» a-t-elle pu être un partenaire dans ce projet ?
La route cinématographique est un produit très important. Elle fait partie de ce qu’on appelle les produits thématiques. Ces produits drainent une catégorie de touristes qui choisissent leur destination en fonction de l’offre, notamment culturelle, et qui sont attirés par des activités spécifiques et souhaitent vivre des expériences nouvelles. Ils sont animés d’une passion pour des thèmes particuliers, tels que le cinéma, la gastronomie (Actuellement, on est en train de préparer des routes culinaires)… Ce genre de produits contribue à la diversification de l’offre touristique, permet de sortir des sentiers battus et de changer l’image stéréotypée du tourisme tunisien, une image réduite au all inclusif et à la balade en chameau.
C’est bien d’avoir tout ça mais il est encore mieux de diversifier l’offre. Autant dire qu’on ne peut pas réduire l’image de la Tunisie à ses plages, au désert et aux balades en chameau. Elle peut être connue en tant que lieu de tournage de films à succès international. La Tunisie possède également un patrimoine culturel et naturel riche et varié qui peut être documenté via des routes thématiques et découvert grâce à des produits ciblés à l’instar des activités proposées par «WildyNess». Car la route cinématographique s’inscrit dans la même veine que nos activités. Lorsque le projet a démarré, nous avons postulé pour faire partie de son équipe de gestion. Nous avons participé à la mise en place du plan et même de l’itinéraire de la route et nous avons mis la main à la pâte en l’enrichissant avec des produits annexes. Dans ce cadre, nous avons pris en charge l’élaboration d’un projet de randonnées thématiques à Bouhlel. C’est une région qui a accueilli plusieurs tournages de films sans que ça soit documenté (mis à part quelques traces qu’on trouve à proximité des canyons). Alors l’idée de créer un circuit de randonnées qui parcourent les sites de tournage nous est venue à l’esprit. C’est un circuit à travers lequel on peut accéder à un point de vue panoramique qui permet de découvrir la beauté des canyons, des oasis et du Chott Djerid.
Pourquoi ce genre de tourisme ne connaît-il pas un véritable essor en Tunisie ?
Je pense que c’est un nouveau domaine que les gens «viennent tout juste de découvrir». Il y a un grand potentiel en la matière mais il faut, tout d’abord, du temps pour que ce segment d’activité prenne de l’élan. Et puis, l’Etat n’est pas vraiment en phase avec cette mutation qui s’opère dans le secteur du tourisme et n’apporte pas l’accompagnement et l’encadrement nécessaires aux acteurs. Au lieu de donner un coup de pouce à un domaine prometteur, l’Etat est resté figé dans un modèle classique du tourisme —qui demeure important—. Il est important de créer un environnement propice au développement des acteurs du tourisme durable. Cela peut se faire à travers l’amélioration du cadre juridique mais aussi en apportant un soutien concret aux acteurs. Prenons l’exemple des maisons d’hôte qui sont des acteurs primordiaux du tourisme durable. Il est difficile d’obtenir un agrément. Ainsi, on ne dispose pas de statut juridique relatif au guide local de la région et on ne reconnaît que les guides touristiques qui travaillent en partenariat avec les agences de voyage dans le cadre des voyages organisés.
Selon vous, quelles sont les régions qui ont le plus de potentiel en matière de tourisme alternatif ?
A vrai dire, j’étais émerveillé par la beauté de Tataouine. La première fois que j’ai visité la région, je n’ai pas pu m’empêcher d’y retourner. Je m’y suis rendu trois fois en seulement un mois. La région dispose de beaucoup de potentialités. Tataouine était, jadis, engloutie sous les eaux, c’est invraisemblable! On y a, également, découvert des traces de dinosaures et pourtant cela n’est pas mis en valeur en tant que produit touristique.
Elle est également connue pour son patrimoine culinaire. Il y a aussi la région du Centre qui dispose de plusieurs atouts. Par exemple, à Sidi Bouzid, on trouve une réserve naturelle où vivent les autruches et où poussent des plantes et arbres de la savane africaine. Dommage que l’accès à cette réserve soit restreint. Il y a également Kerkennah. C’est un endroit très calme qui recèle un patrimoine culinaire et traditionnel très riche. Le Nord-Ouest, hors Tabarka et Aïn Draham, est également une région qui, à mon sens, dispose de beaucoup de potentialités. Je parle de Tajerouine, Dahmani, Sakiet Sidi Youssef, Babouch…
Vous connaissez par cœur les spécificités et même l’histoire de chaque région. Comment avez-vous pu acquérir toutes ces informations ?
(Rire). C’est grâce à un réseau que j’ai développé petit à petit. Vous savez, comme je suis passionné de nature et d’activités outdoor, j’ai eu la chance de parcourir le pays à vélo, en camping… Ce qui m’a permis de connaître tous les coins et recoins de la Tunisie.