Kairouan fut à son heure de gloire une capitale du savoir, vers laquelle se tournaient les savants du Maghreb et du Machreq qui désiraient se perfectionner dans divers domaines, dont la philosophie, la poésie, la médecine et les mathématiques. D’ailleurs, la ville sainte occupe une place privilégiée dans le cœur des Tunisiens après la Mecque et Médine. Héritière du premier campement en Ifriqiya des conquérants musulmans, elle fut capitale royale, puis ville sainte.
En outre, Oqba Ibn Nafaâ, le conquérant du Maghreb, qui fonda Kairouan en 670, a été tellement inspiré par les prédispositions stratégiques de cette ville qu’il pria Dieu de la bénir et de la préserver jusqu’à la fin des temps. Et comme Kairouan figure depuis 1988 sur la liste du patrimoine mondial établie par l’Unesco, plusieurs actions de rénovation ont été entreprises pour restaurer les monuments historiques et la multitude de coupoles blanches disséminées entre les terrasses et qui signalent les tombeaux de saints musulmans et de zaouias. Et parmi ces grands projets, qui ont métamorphosé les monuments, les souks, les maisons et les ruelles qui restent encore un éloquent témoignage du passé de Kairouan, on pourrait citer celui qui concerne la réhabilitation de tout le circuit touristique au sein de la Médina entamé en 2014 et achevé en 2017.
D’un coût de 4,8 MD, cette opération a été financée par l’Etat tunisien, l’Iafd (Agence française de développement) et la Banque européenne d’investissement, et a concerné les travaux d’infrastructure (enfouissement de 8.000 mètres linéaires de réseau téléphonique et électrique, rénovation de voirie sur 28.000 m2 et le ravalement d’environ 20.000 m2 de façades). En outre, le tracé de ce projet couvre une zone à forte attractivité commerciale et touristique, surtout à la rue principale du souk et la Place du Bey.
Les travaux de restauration de la Grande Mosquée Oqba n’ont pas encore démarré
Malheureusement, on constate que le suivi de ce projet et de beaucoup d’autres n’est pas assuré, d’où la déception des citoyens qui constatent que tout le circuit touristique est enlaidi par les poubelles, les restes des matériaux de construction et les étalages anarchiques de pacotille, de fripe et de produits made in China.
En outre, on déplore l’existence de vieilles boutiques servant de dépôts, de maisons en ruine envahies par les scorpions et les détritus, surtout à la place de Jrada. Par ailleurs, beaucoup de bouches d’égouts, de regards sont sans tampons, ce qui représente un vrai danger aussi bien pour les piétons, qui peuvent ne pas les voir, que pour les automobilistes qui peuvent s’y engouffrer.
A part cela, beaucoup de petites et belles mosquées risquent de s’écrouler à tout moment, vu leur vétusté, dont la Mosquée Ibn Torkhana et celle située à Rbat Hdid.
D’un autre côté, on attend toujours le démarrage de la restauration de la Grande Mosquée Oqba, surtout au niveau du minaret, au niveau de l’électrification et au niveau des terrasses couvrant une superficie de 4.000 m2 et qui connaissent de sérieux problèmes d’infiltration d’eau de pluie au niveau des dalles. Le don saoudien d’une valeur de 15 millions de dollars, destiné à contribuer au financement du projet de réhabilitation de la Grande Mosquée et de la Médina, permettra certainement de consolider les contreforts hafsides, de colmater les fissures apparentes au niveau de la coupole du minaret, de remplacer les briques altérées et les pavements extérieurs et de procéder à la réfection de l’enduit de certaines parties du mur sud-est de la salle de prière. Cela, outre le fait de refaire la couche d’étanchéité des terrasses, surtout au niveau des joints de dilatation des dalles.
Des souks abandonnés
A Kairouan, il y a de vieux souks qui portent allégrement leurs sept siècles d’existence. Les souks El Majel, pour ne citer que ceux-là, faisaient partie d’une zone marchande et industrielle liée au tonnage qui fleurissait dans la région de Kairouan depuis le XIIIe siècle grâce à l’élevage bovin dans les agglomérations environnantes. Ces souks, qui datent donc de l’époque hafside, ont été construits sur des citernes qui servent à la récupération des eaux de pluie. Cet ensemble architectural est tombé en désuétude dans les années 1900. Depuis, plusieurs restaurations ont été entreprises, ce qui a permis de sauver ces lieux où 14 boutiques ont été aménagées.
Malheureusement, de nos jours, les souks El Majel sont de nouveau tombés dans l’oubli. Les boutiques sont désormais closes et les ruelles situées à proximité de ces souks sont devenues sombres le soir, une zone de non-droit étant le fief nocturne des alcooliques et des délinquants. Par ailleurs, la Vieille Ville est en train de perdre certaines de ses composantes architecturales, à l’exemple des portes cloûtées, des encadrements sculptés et des fenêtres de type Zlabia.
Le Mausolée Sidi Sahnoun défiguré
Ayant connu d’importants travaux de rénovation et de restauration qui ont permis de mettre en exergue l’importance de la surélévation du monument menacé par les crues et la montée de la nappe phréatique, ainsi que l’édification d’une coupole sur trompes, le Mausolée Sidi Sahnoun, le plus grand jurisconsulte malékite dans le Maghreb, est visité par de nombreux Tunisiens de différents gouvernorats.
Néanmoins, de nos jours, ce mausolée, qui se trouve dans un état lamentable, est devenu un lieu de débauche, faute de gardiennage.
D’ailleurs, toutes ses portes et fenêtres ont été défoncées, tous les murs sont lézardés et suintant d’humidité. Les bouches d’égout débordent et même le cimetière se trouvant à proximité est devenu un dépotoir à ciel ouvert, outre le fait que la route reliant ce mausolée à la ville est devenue impraticable.
C’est pour toutes ces raisons que les citoyens souhaitent une plus grande implication de l’Etat et des institutions du patrimoine à Kairouan, qui a besoin qu’on valorise ses circuits touristiques.
Une note d’espoir
Une enveloppe de 6,5 millions de dinars vient d’être attribuée à la commune de Kairouan pour l’embellissement et la valorisation de la place Bab Tounès (poste de Tunis), la Rabta actuellement enlaidie par les étalages anarchiques et les vieilles brouettes. Espérons que les travaux ne tarderont pas à commencer.
Par ailleurs, M. Fethi Bahri, responsable scientifique de l’inspection régionale du patrimoine du Centre-Ouest, relevant de l’INP, a déclaré récemment sur Radio Sabra FM que des prospections effectuées par des équipes de l’Institut national du patrimoine dans la zone récréative des bassins des Aghlabides, ont abouti à la découverte de quatre nouveaux bassins de différentes grandeurs et d’un aqueduc.
Ces nouvelles découvertes une fois restaurées feront de cette zone de 14 ha. englobant les bassins des Aghlabides, un complexe hydraulique unique au monde.