En hommage au brillant universitaire, chercheur et traducteur tunisien, feu Nebil Radhouane, éteint en novembre 2019, et à la mémoire de qui nous avons déjà offert, avec plus d’une soixantaine autres chercheurs de différents pays, des «Mélanges» («IMAGE, RYTHME, TRADUCTION», Paris, L’Harmattan, 2020), nous publions ci-dessous cette présentation du dictionnaire de bonne qualité qu’il a élaboré et qui demeure très utile aux étudiants et aux chercheurs en stylistique, rhétorique et poétique.
Les manipulateurs des outils stratégico-langagiers de l’analyse sémiotique savent sans doute qu’après «Les figures du discours» de Fontanier (1821-1830) «Dictionnaire de poétique et de rhétorique» de Morier (1961) et «Traité des tropes» de Dumarsais (1977), ils peuvent consulter avec profit trois ouvrages de première importance, très bien fournis et soignés, richement documentés et fort accrédités par la communauté scientifique. Trois références incontournables pour qui veut travailler sur les figures, les tours et les détours du langage ainsi que sur les faits et les effets de la mise en œuvre linguistique de la pensée dans le discours et dans le texte littéraire. Il s’agit bien sûr de «Vocabulaire de la stylistique» de Jean Mazaleyrat et de Georges Molinié (1989, Puf), «Dictionnaire de rhétorique» de Georges Molinié (1992, Le livre de poche) et «Dictionnaire de poétique» de Michèle Aquien (1993, Le livre de poche).
Outre ces trois dictionnaires parfaitement indispensables dans toute entreprise de recherche en la matière, on peut lire aussi le très pratique et très utile lexique de Catherine Fromilhague «Les figures de style», paru en 1995 aux éditions parisiennes «Nathan».
Nebil Radhouane, professeur de l’enseignement supérieur, traducteur et éminent poéticien tunisien, a jugé profitable de joindre à ces ouvrages un important dictionnaire qu’a préfacé la grande chercheuse de la Sorbonne, écrivaine et poète Joëlle Gardes-Tamine et où il a défini avec maîtrise et précision 500 notions vedettes des trois domaines conjoints de la stylistique, de la rhétorique et de la poétique dans lesquels il avait déjà conduit sa brillante thèse d’Etat et réalisé plusieurs autres travaux.
La lecture attentive de ce dictionnaire de Nebil Radhouane n’est pas dénuée d’intérêt. Elle nous permet de beaucoup apprendre sur les tropes et les procédés, et d’apprécier les louables efforts déployés par cet enseignant-chercheur d’exception pour recueillir les notions en question, les démêler les unes d’avec les autres et les définir dans ses mots à lui, en s’appuyant sur ses acquis et sur d’autres dictionnaires et ouvrages théoriques.
A travers les définitions et les exemples qui les illustrent, se dessine le profil de Nebil Radhouane qui a fait preuve, ici comme ailleurs, d’une double sensibilité : sensibilité à la langue et sensibilité à la poésie.
Dans la bibliographie (pp. 210-212) ainsi que dans son «Index des noms propres» (pp. 213-218), Nebil Radhouane a indiqué quelques dictionnaires établis avant le sien et qui ont sûrement profité à son travail. Il a mentionné les dictionnaires cités ci-dessus, de Fontanier et de Morier, et ceux de Ducrot et Todorov (1972) de Mounin (1974), de Dumarsais (1977) et enfin de Dupriez (1984) qui s’occupent, tous, de ce très vieux savoir technique qu’ils dynamisent et reformulent avec rigueur pour en faire ces dictionnaires que Nebil Radhouane n’a fait qu’enrichir par son ouvrage composé avec beaucoup de patience et de passion. Celle qui motive sa démarche et qui est évidente. Sa préoccupation pédagogique et son souci de précision sont manifestes. Et lorsqu’il reproche à certains enseignants de «parler allégrement, dans leur cours, de litote quand il s’agit d’euphémisme ou de métonymie quand il faut dire synecdoque» (p. 9) ou de mettre «tout sous l’étiquette confortable de métaphore» (Ibid), nous ne pouvons que lui donner raison. Car, c’est vrai, seule la bonne maîtrise de ce matériau rhétorico-poétique autorise sa manipulation.
Grâce à une grande connaissance de tout ce matériau verbal très complexe et pas toujours facile à maîtriser, Nebil Radhouane a su montrer les différences et les nuances qui séparent les figures des unes des autres, même si leurs noms techniques se ressemblent quelquefois beaucoup comme dans ces figures de répétition qui nomment des faits itératifs divers : «anaphore», «épanaphore», «épiphore» et «antépiphore».
Bien d’autres figures ont mérité toute l’attention de Nebil Radhouane.
Parmi lesquelles par exemple «l’énallage» (féminin) définie comme «L’échange d’un temps, d’un nombre ou d’une personne contre un autre temps, un autre nombre, une autre personne». L’ «Antépiphore» est «la répétition du même vers au début et à la fin de la strophe» (p. 24), mais qui consiste aussi, en termes de Catherine Fromilhague, en une répétition qui «a lieu entre le début et la fin d’un ensemble qui peut être un simple groupe syntaxique, une phrase, une strophe ou un énoncé entier, un poème par exemple».
Plusieurs entrées dans ce dictionnaire de Nebil Radhouane sont fort intéressantes. Nous en citons entre autres celle de «Rythme» qui représente sa grande spécialité, celles de «Polyptote», de «Rime», de «Adynaton» de «paronomase» et de «Eurythmie» où Nebil cite le magnifique «climax» de Baudelaire «A la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère», («Que diras-tu ce soir…», poème n°42, 3e vers, «Les Fleurs du mal»).
Disons pour finir, que Nebil Radhouane qui a publié aussi une belle traduction du Saint Coran en français, un impressionnant manuel de «Syntaxe descriptive» et bien d’autres ouvrages et articles, a eu le grand mérite de réaliser avec brio ce travail lexicographique, tant pénible que délicat, et que son dictionnaire publié et diffusé, depuis 2002, par le «Centre de Publication Universitaire», à Tunis, pourrait toujours rendre service aux étudiants et aux chercheurs et les aider dans leurs investigations sur le discours quelle qu’en soit la nature.