Que peut-il y avoir de pire pour un pays que d’écoper du label d’un Etat failli ? En Tunisie, cela fait des mois que le pays est confronté à une inquiétante pénurie des biens de première nécessité. Sucre, café, huiles et autres produits sont devenus une denrée rare.
Dans les supermarchés, le prix des produits a flambé, des mesures de rationnement ont été mises en place, afin de parer à la spéculation et à une consommation effrénée, en raison du manque enregistré. Mais en vain. Les files indiennes sont partout et les rixes abondent ici et là pour l’acquisition d’un produit ou d’un autre.
Faibles réserves de devises
S’exprimant dans des médias nationaux et internationaux, l’expert économique tunisien, Moez Hadidane, fait savoir que la crise est surtout due aux problèmes financiers de l’Etat tunisien et ses faibles réserves de devises. D’autant que la notation souveraine de la Tunisie, qui est triple C, est un facteur importateurs dans cette situation et sur la crédibilité des fournisseurs tunisiens lorsqu’ils importent des produits. Lorsqu’ils importent du blé, de l’huile ou d’autres produits, le fournisseur étranger pose des conditions pour être payé à l’avance. C’est-à-dire qu’au port, le fournisseur veut être payé avant de remettre la marchandise.
Le ministre des Affaires sociales, Malek Zahi, avait reconnu, fin août, que le pays était confronté à des pénuries, en raison des perturbations des chaînes d’approvisionnement et de la hausse des prix et des coûts du transport au niveau mondial, surtout dans un contexte de guerre Russie-Ukraine.
L’impact de la guerre Russie-Ukraine
Outre le secteur agroalimentaire touché par la hausse des prix et la crainte de la pénurie, il y a également celui des carburants qui est affecté. D’importantes files d’attente ont été observées ces derniers jours devant les stations-services de Tunis, bloquant parfois la circulation dans certaines régions.
Surendetté et en proie à de graves difficultés économiques alourdies par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le pays reste très dépendant de l’étranger pour son alimentation, notamment pour le blé, dont il importe la moitié de ses besoins, essentiellement en provenance d’Ukraine. En juin dernier, la Banque mondiale a annoncé l’octroi d’un prêt de 130 millions de dollars à la Tunisie pour l’aider à faire face à l’impact de la guerre en Ukraine, sauf que l’on ne peut pas aisément aider un malade qui ignore tout de sa maladie.
De pire en pire chez nous
En Tunisie, on s’est bien doré la pilule. Les besoins d’importations céréalières pour la campagne 2020/2021 (juillet / juin) ont atteint environ 3,8 millions de tonnes, soit environ 20% de plus que les importations de la campagne précédente et 5% de plus que la moyenne du précédent quinquennat, selon le Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar) sur la sécurité alimentaire et l’agriculture de la FAO. Or, on a tardé à réagir.
La production céréalière durant ces vingt dernières années (à l’exception de 2003) n’est pas parvenue à assurer l’autosuffisance ni en blé dur ni en blé tendre. Pourtant, on n’a fait que négliger des milliers d’hectares de terres domaniales.
Toujours est-il que les besoins pour ce qui est du stockage pour l’ensemble des céréales (alimentation humaine et animale) sont estimés à 3,3 millions de tonnes, y compris un stock stratégique pour une durée de 3 mois. Or, ce qui est actuellement couvert est à 89%.
Des stratégies à tire-larigot
Des stratégies visant l’amélioration de la production céréalière en Tunisie, on en a parlé à tire-larigot ces dernières années.
Pour la période 2010-2014, l’objectif était d’atteindre une production de 2,7 millions de tonnes à l’horizon 2014. Ce qui devait se traduire par une autosuffisance de 100% en blé dur et de 30% en blé tendre, soit un taux combiné de 65% pour les deux catégories de blé. Par rapport à la moyenne sur la période 2006-2010, la dépendance aux importations devait être réduite à un niveau de 35%.
L’on parlait également d’interventions à court terme (2012-2013). Ces interventions visaient le renforcement des capacités et des dotations budgétaires de l’Institut national de grandes cultures (Ingc) et de l’Office de l’élevage et de pâturage (OEP). L’Ingc intervient spécifiquement dans l’utilisation des semences améliorées pour des variétés à hauts rendements, dans la gestion de la fertilisation, la santé des cultures, l’irrigation d’appoint et la diversification des assolements à travers 16 exploitations expérimentales et pédagogiques.
Une stratégie à moyen et à long termes (2011-2030) a également été élaborée. Mais la période de vaches maigres n’a fait que trop durer.
Agir ou périr
Premier constat : le secteur agricole tunisien est encore à potentiel non réalisé.
Deuxième constat : la plupart des terres domaniales sont inexploitées, les puits ne sont toujours pas suffisamment électrifiés, surtout dans les régions du Centre.
Troisième constat : l’encadrement des agriculteurs est en-deçà du niveau escompté.
Se prémunir contre les aléas d’un monde en pleine ébullition et à l’avenir incertain implique, au demeurant, l’atteinte d’un niveau respectable en matière de sécurité alimentaire. Car, il n’est point de souveraineté nationale dès lors que l’on continue à mendier notre pain quotidien.