Les films s’égrènent au Fiff, révélant de «bons moments de cinéma» où se mêlent le social et le personnel, la vie et la mort, le désespoir et l’espoir, le drame et la comédie. Détails.
«Last Dance» de Delphine Lehericey, une coproduction suisso-belge, en compétition officielle en fait partie, une comédie douce-amère où un septuagénaire découvre comment on peut dépasser la fatalité par le mouvement, ici la danse contemporaine. En fait, Germain (François Berléand) dont la femme, à laquelle il voue un amour ardent, vient de décéder brusquement, vivait d’une manière contemplative, «dans un farniente indécent nourri d’une légère misanthropie». Sa femme s’occupait de tout et remplissait avec bonheur son agenda d’activités artistiques et bénévoles. Germain doit tenir la promesse faite à sa femme : terminer son travail en prenant sa place dans la pièce chorégraphique où elle dansait. Cette nouvelle expérience lui permettra de faire son deuil grâce à l’art, la danse contemporaine, «un art démocratique»comme l’a affirmé la réalisatrice dans le débat qui a suivi la projection du film. «Last Dance» traite du deuil mais aussi de l’amour et de la libération des aînés ou des seniors du poids familial.
Les scènes de danse contemporaine chorégraphiées par La Ribot génèrent du mouvement et de l’énergie. les situations drôles et autres quiproquos, la performance de Berléand font de «Last Dance» une comédie tendre et légère.
L’art est de plus en plus présent dans le cinéma, comme un élément et/ou un moyen libérateur et salvateur. Ainsi en est-il dans le film français «Les pires» de Lise Akoka et Romane Gueret, en compétition 1ère œuvre, où il s’agit d’un tournage qui va avoir lieu, cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que «les pires»?
Ici, voir le cinéma dans la cité n’est pas du tout apprécié par les parents qui sont très méfiants. Mais «les pires» pourront s’avérer meilleurs qu’on ne le croit. En véhiculant tant d’espoir aux jeunes, ce film traite, entre documentaire et fiction, de l’épanouissement par l’art qui fournit l’occasion de se réaliser et de réaliser son rêve. Ces personnages acteurs (un «casting sauvage»), dont la majorité est en difficulté scolaire, qui, tantôt se bagarrent et tantôt s’embrassent comme des frères, arrivent, grâce à leur magnifique performance, à nous toucher dans leur désir et leur passion de s’en sortir et de creuser leur sillon dans le long fleuve pas toujours tranquille de la vie. «Les pires» a remporté le prix «Un Certain Regard» à Cannes 2022.
L’art, ici, le théâtre est également au centre du film français «Les Amandiers» réalisé par Valeria Bruni Tedeschi. Fin des années 80, des candidats passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans au théâtre des Amandiers de Nanterre. Autobiographique et intimiste, le film se focalise, au fil des scènes, sur la relation entre Stella et Etienne, des personnages- comédiens qui vivent à toute vitesse la passion, l’amour, le jeu, la tragédie. Toutefois, on regrette de voir la partie théâtre et la troupe des Amandiers traités superficiellement et relégués au second plan, alors que le film interroge les frontières entre les personnages et les comédiens.
«Sous les figues» : conversations secrètes
«Sous les figues», film tunisien d’Erige Sehiri, en lice dans la compétition officielle, se déroule, lui, dans une unité de temps et de lieu tel «un huis clos à ciel ouvert». De l’aube au crépuscule, sous les figuiers et les figues, dardés par les rayons du soleil, Fidé, Malak, Sarra, des ouvrières plus âgées ainsi que des jeunes hommes font la cueillette de ces fruits mielleux, mais pas que. Car, Fidé, personnage central au caractère bien trempé, mène la danse en amenant les principaux protagonistes à parler d’amour, de mariage et d’espoir. Fidé pointe du doigt l’hypocrisie des mœurs sociales et sexuelles. Ce sont des conversations secrètes, des confidences et des chuchotements, façon marivaudage, filmés, sous les figues, en plans fixes et serrés sur les visages.
Mais ça se querelle et ça crie aussi, et parfois les conversations s’étirent, tournent en rond et se répètent. Alors, pour que ça évolue, les querelles entre les filles, entre les couples en rupture ou en devenir, sont relayées par les bagarres violentes entre les hommes, la brutalité du contremaître à l’encontre de la sœur de Fidé, etc. Ayant plein pouvoir sur les travailleurs, il exploite leur main-d’œuvre mais croit aussi que les corps des ouvrières lui appartiennent, le ton et la tension montent, donc le film, mettant en scène un microcosme social, se termine comme il s’est ouvert, par «les camions de la mort» avalant l’asphalte à grande vitesse, les ouvriers et les ouvrières, tous debout, à l’arrière. Rien de leur condition sociale n’a changé, mais les jeunes filles semblent être aguerries et mûries par l’expérience de cette journée. Filmées en plans rapprochés, elles chantent, vu le choix de la chanson : «Elloumou, Elloumou» l’amour de manière ironique et revancharde.
«Sous les figues», une fiction tournée façon documentaire, de manière simple et sobre, est interprétée avec naturel par des actrices et des acteurs amateurs.
D’autres films sont attendus dans cette 37e édition du Fiff, tels «Le sixième enfant» du Français Léopold Legrand, «Viking» du Québécois Stéphane Lafleur et «L’origine du mal» de Sébastien Marnier.