Le pain a toujours été au centre des préoccupations du Tunisien. L’intérêt s’est accru ces dernières années. Sa raréfaction et les multiples pénuries auxquelles on a assisté depuis quelques mois en font de lui plus qu’un symbole.
Tout au long de son histoire (du moins durant toute la période postérieure à l’Indépendance), les gens n’avaient eu aucune peine pour obtenir leur pain quotidien. Même les files du mois de Ramadan devant les boulangeries ne sont qu’un élément du décor de ce mois particulier. Malheureusement, les événements se précipitent chaque jour pour faire de ce produit vital un enjeu politique et économique. Désormais, le pain est devenu, pour beaucoup, un des soucis de consommation quotidienne. Toutefois, il n’est plus disponible à tout moment. Il faut l’attendre, le chercher et même courir d’une boulangerie à une autre pour se procurer une ou deux baguettes. On en est même arrivé à le rationner comme d’ailleurs beaucoup d’autres produits de première nécessité.
Le pain, en somme, n’est plus seulement roi. Ce qui n’empêche pas certains d’entre nous de poursuivre leurs mauvais réflexes qui consistent à en jeter une grande partie dans les poubelles. Par ailleurs, cela incite de plus en plus certains de nos boulangers à ne plus accorder cet intérêt soutenu à sa fabrication. Ce qui fait qu’on trouve des pains qui ressembleraient à tout sauf à un pain. Mal pétri ou mal préparé, il est jeté dans le four sans aucun égard à la propreté ou à l’hygiène et sans tenir compte de cet art utilisé par les vrais artisans boulangers d’antan. C’est que les consommateurs se plaignent de sa qualité et remarquent que le pain n’est pas bien cuit ou que la pâte n’a pas bien levé. Résultat: un pain immangeable et, donc, jetable !
A-t-on perdu le goût ?
Plusieurs astuces sont utilisées par les mitrons pour faire un pain à moindre coût pour être revendu au prix le plus fort. Il y a la question du poids qui n’est pas toujours respectée, la durée de cuisson (les professionnels gagnent sur l’énergie consommée), etc. En outre, on constate que l’écrasante majorité de nos boulangers ne se livrent plus à cette belle concurrence qui consiste à s’illustrer dans l’art de faire le meilleur pain. Ces courses à la performance et à la perfection sont un lointain souvenir. Qui, aujourd’hui, nous offrirait une large gamme de pains comme on le faisait jadis ? Quasiment personne. C’est, tout juste, si on se contente de vous refiler un morceau de pâte plus ou moins bien cuit qu’on appelle pain.
On n’a plus le loisir de demander un gros pain, une flûte, un pain français (khobz francis), un pain tripolitain (khobz trabelsi), un pain tabouna, une “jardgua” (surtout dans le Nord-Ouest).
On est tous logé à la même enseigne. Nos boulangers ont-ils perdu le goût de faire du bon pain ? Du vrai pain. Il paraît que par ces temps qui courent, tout le monde a perdu ce goût de bien faire. Mais on a le droit de demander à la profession de revenir aux vrais fondamentaux et de se ressourcer pour mieux servir les clients, même si la conjoncture ne s’y prête pas beaucoup. L’art de la boulangerie, car c’est vrai que c’est un art, ne doit pas se perdre. N’oublions pas cette vérité: n’est pas boulanger qui veut ! A nos artisans de prouver que cela est vrai.