Par Ilhem Larbi ZARROUK
Les tableaux de Najib Bougacha, exposés à la Maison de la culture Ibn Khaldoun pendant l’hiver 2022, sont l’aboutissement d’un long processus caractérisé par une gestuelle libre.
Quelques œuvres font référence au monde réel, comme des silhouettes humaines ou des formes architecturales, mais dans d’autres, l’artiste s’affranchit totalement du réel et de la forme en général pour affirmer sa volonté de pousser les limites de son expérimentation picturale en travaillant le geste et la matière colorée.
Libéré de la forme et de toutes les questions qui s’y rattachent traditionnellement, Najib Bougacha s’immerge dans l’informel en repoussant les limites du cadre du tableau et semble vouloir nous prouver la célèbre phrase de Paul Klee : «L’art ne rend pas le visible! Il rend visible».
Ce que Najib Bougacha rend visible au spectateur, c’est son sentiment perceptible de vivre intensément son travail et de s’y impliquer sincèrement sans chercher à flatter le regard.
Un regard superficiel sur le travail de l’artiste ne verrait que des traces, des touches, des éléments picturaux variés dans un chaos coloré. Mais si le regard s’attarde sur la surface du tableau et cherche à la pénétrer, il distinguera des strates d’une riche grammaire plastique aussi fugitive dans sa visibilité que sensible dans son expressivité. Chacune de ces strates cache en partie la précédente jusqu’à former par la répétition un réseau inextricable de signes donnant une superposition de plans créant ainsi une certaine profondeur à l’ensemble.
L’œuvre picturale chez Najib Bougacha n’est pas un ensemble de couleurs présentées à un regard passif, mais elle se révèle au regard attentif, un regard actif qui participe à sa création. Le tableau surgit au regard à chaque fois différemment selon la distance que le spectateur adopte pour l’appréhender et selon son angle de vue aussi.
Ce surgissement advient par la nature du travail de l’artiste, qui se base sur la liberté du geste et la répétition atteignant la transe. Dans la répétition du geste libre, l’artiste voile et dévoile continuellement le long du processus, des éléments du tableau.
Le regard est ainsi entraîné dans un mouvement explorateur continu qui donne un goût d’inachevé, donc de mystère à toute tentative de lecture. Pour atteindre l’espace de l’œuvre de Najib Bougacha, le regard doit circuler non pas à la surface, mais dans son épaisseur picturale tout en insistant pour la traverser et la dépasser vers le sens.
Dans sa matérialité, le tableau n’est plus surface, mais espace. Un espace qu’on ne peut appréhender au premier regard car le tableau se situe au-delà de sa surface.
En pratiquant le «All-Over» sans aucun souci de composition, l’artiste libère le regard du spectateur pour l’inviter à errer au gré des couleurs, de leurs valeurs, de leur densité, de leurs contrastes et de leur degré de pureté. Najib Bougacha joue de la couleur dans toutes ses dimensions comme un virtuose jouerait de son instrument de musique.
Dans certains tableaux, l’accent est mis sur le contraste clair-obscur, dans d’autres, le contraste chaud-froid règne et dans d’autres encore, c’est le degré de saturation des tons chauds qui rythme le champ pictural.
En regardant les tableaux de Najib Bougacha, je me suis surprise à me poser la question si l’artiste, en se détournant des apparences, ne chercherait pas à manifester l’inapparent. Mais le plus saisissant dans ses œuvres, c’est ce sentiment que l’artiste ne dissocie pas l’être et le faire dans son expérience picturale.
Pour Najib Bougacha, le «faire» pictural réalise sa raison intérieure d’être et devient l’expression extérieure de son «être». Vivre et peindre s’entremêlent, la vie et l’art ne sont pas dissociables pour cet artiste : ce qui le rend tellement convaincant dans son art.
* Docteur en Sciences et Technique des arts. Plasticienne et ancienne enseignante à l’ISBAT et L’ISAMK.