C’est dans le cadre d’ateliers pour enfants et adolescents organisés par l’association «l’Art Rue» qu’Andrew Graham, chorégraphe, a interrogé «l’impraticabilité de la ville». L’artiste avec son groupe de participants a présenté une étape de sa création «Lignes» dans «Dream City». Des enfants en fauteuils roulants, aidés par leurs mères sont au centre de cette création dansante. «Lignes» ou «Lines» raconte cette solidarité entre personnes désireuses de contourner les difficultés afin d’accéder plus facilement à la culture. Cette danse était une communion vécue entre toutes ces personnes mixtes. L’artiste nous en dit plus sur ce processus de création enclenché.
A Tunis, vous avez montré un aperçu bouleversant de «Lines». Une étape, annonciatrice d’une création qui se fera prochainement sur la durée…
Je suis arrivé en septembre 2021, invité par l’association «L’Art Rue» afin d’animer des ateliers sur deux semaines pour différents groupes d’enfants. On s’est ouvert à plusieurs personnes, dans différents quartiers, en nous adressant à différentes classes sociales et à des personnes souffrant de situations de handicap, à Tunis comme aux environs. Les enfants et les adolescents de la Médina font déjà partie du public avec qui «L’Art Rue» travaille. On a fait ces deux semaines de rencontres au théâtre el Hamra. La plupart des participants ont fait et feront partie du projet «Lines». Le public cible, en premier, c’était les enfants. On a surtout pensé à qui n’a pas accès à la culture et à aller chercher ces gens. De bouche à oreille, ils et elles se sont toutes et tous appelés et l’équipe s’est élargie. Il y a eu beaucoup d’enthousiasme autour de ce travail.
Qu’est-ce qui vous a le plus interpelé pendant ce processus ?
Il y a eu deux choses qui m’ont marqué dans le rapport parents / enfants : ces mamans qui traversent la ville avec leurs enfants en situation de handicap (ou pas) pour les emmener dans cet atelier. Elles insistaient et elles étaient déterminées à traverser toute cette ville impraticable au quotidien. Comme Mme Basma, professeur de langues, malvoyante, qui a eu un accident en venant à l’atelier. Elle tenait à assister à notre atelier, comme tout participant. Et il y a eu ces mamans aussi qui se mobilisaient entre elles pour porter leurs enfants sur scène : j’ai rarement vécu des moments aussi bouleversants. J’ai été danseur dans une compagnie, avec plein de chorégraphes connus. Une étape qui m’a permis déjà d’approcher une communauté d’artistes en situation de handicap auparavant. C’était devenu pour moi incontournable de me demander : qui se sent handicaper par la ville ? Qui est handicapé par la société ou qui est oublié par elle ? La culture devrait être accessible à tout le monde sans exception.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces mamans ? Quel rôle ont-elles joué dans le projet ?
On aurait dit un match de football. (Rire) Elles encourageaient leurs enfants tout le temps. Mais à un moment, je leur ai demandé de sortir pour pouvoir travailler davantage l’autonomie avec les enfants. Elles étaient d’accord. Elles discutaient entre elles beaucoup, notamment concernant leurs enfants… c’est comme si elles s’étaient créé involontairement une cellule d’écoute. Un espace Safe. On a réfléchi, ensuite, à la façon de créer un espace sur la durée. Elles ont continué à se voir, juste pour se parler. A partir de ces rendez-vous, j’ai fini par les inviter à participer aux ateliers, ensuite, aux auditions et à les inclure. A la fin des deux semaines, on a pu passer des auditions à des enfants professionnels.
Comment avez-vous mené à bout ce processus de création ?
On n’a fait que de la recherche. On n’en était qu’au début. On est en phase de création. On ne l’a même pas commencée. La création commencera en janvier ou février 2023. On a tâté le terrain, découvert les matériaux. Cette phase de recherche reste très importante parce que c’est aussi comprendre les besoins de chacun et chacune et connaître le langage que tout le monde parle. C’est d’arriver à connaître les disciplines qui les intéressent ou qu’ils pratiquent déjà : la danse, le théâtre, le chant … Cette étape de «Lines» sert à repérer tout cela, afin de commencer à écrire avec eux et elles.
Votre projet est inclusif : on y voit des personnes migrantes, Queer, des personnes à capacités réduites, des femmes…
Je trouve que je suis privilégié de pouvoir travailler en mixité ainsi, parce que cela me permet de réfléchir, de me mettre à créer. Cela m’ouvre de nombreuses portes et des espaces de créativité. C’est beau comme processus. Je les ai toujours ramenés dans le vif de la créativité.
Pour la direction d’artistes, pouvez-vous nous en dire plus ?
Je me suis fait aider par les mamans. Cette étape première de «Lines» est un travail qui part des réalités et des besoins de chacun. C’est plus facile de travailler avec des enfants dans une situation de handicap : ils ou elles ont une temporalité et une réceptivité différentes. Travailler avec eux et elles, c’est créer un lieu qui soit adapté à leurs attentes. On a fait surtout beaucoup d’improvisations en inventant des choses, en réfléchissant.
«Lines» a été présentée au stade municipal de La Hafsia, en plein air. Pourquoi ce choix de lieu ?
C’est une étape de travail, une expérimentation. En vrai, être dans ce terrain de foot était davantage pour qu’on se donne l’expérience d’être face au public. C’est un moment de recherche. Ce terrain a nourri cette curiosité et a donné une direction à la création. Je voulais qu’on sache ce que c’est d’être visible à l’extérieur, d’être face à un large public, d’arriver à travailler dans un espace dehors. Ce terrain est un espace d’échanges, de rencontres en temps normal. Il s’agit d’une méditation qui s’adressait surtout aux gens du quartier : une curiosité s’est mise en place. Toute l’équipe allait s’emparer de ce terrain de foot qui n’est pas le nôtre, en réalité. Il n’y a eu aucune hostilité. Il y a eu plein de moments où les gens du quartier venaient nous voir danser et chanter. Ils étaient collés au grillage. C’est à travers ce lieu-là que tout le monde a pu se rencontrer. Cette accessibilité est bien plus importante pour moi que notre danse.