Les violences en ligne ont fait l’objet d’une série de débats et de manifestations culturelles qui se sont déroulés à Sfax vendredi dernier. La Délégation de l’Union européenne, qui a organisé cet évènement célébrant la Journée internationale du 25 novembre pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et ses 16 jours d’activisme, a choisi de mettre le cap sur Sfax cette année, afin de rendre hommage à la vivacité de la société civile locale dans sa lutte contre ce fléau.
« J’avais une liaison avec un homme dont j’étais amoureuse. Je l’ai connu via Facebook. J’avais une confiance aveugle en lui, la preuve nous partagions et compte bancaire et compte FB. Mais petit à petit, j’ai commencé à ressentir toute la nocivité de cette relation. Il a retiré tous mes amis garçons de mon compte et a changé mes paramètres d’accès. Je me suis sentie quadrillée, surveillée, contrôlée… J’étouffais. J’ai décidé de rompre. C’est alors que s’est révélé son visage terrifiant. Il a retiré tout l’argent en ma possession et m’a menacée de publier mes photos intimes et mon code bancaire si je persistais dans ma volonté de le quitter. J’ai déprimé… ».
Ce témoignage à la fois poignant et véridique a été clamé par l’actrice Nadia Boussetta, vendredi dernier, en début d’après-midi à Sfax où s’est déroulé un évènement multidisciplinaire : exposition, projection de vidéos, débats et un concert des DJ femmes de la « DJ accademy for girls » dans le cadre des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre.
L’évènement, qui célèbre la Journée internationale du 25 novembre pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, a été organisé par la Délégation de l’Union européenne en Tunisie et ses États membres, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France et les Pays-Bas.
Ayant pour slogan, «La violence contre les femmes est inadmissible ! Refusons-la», la journée de Sfax a adopté comme thématique le harcèlement en ligne contre les filles et les femmes.
Un cauchemar vécu dans le silence de l’espace privé
Nadia Boussetta, qui n’a pas été elle non plus épargnée par les critiques acerbes des internautes sur son look, ses tenues et les rôles courageux qu’elle a l’habitude de choisir, a lu un autre témoignage, celui d’une militante dans la sphère publique. Un récit où elle a insufflé beaucoup d’émotion, probablement puisée dans son expérience personnelle : « Mes photos ont été altérées, transformées, sexualisées. Je me suis sentie nue. Ma famille a subi de plein fouet les effets de ce harcèlement et m’a demandé d’arrêter mes activités associatives, j’ai refusé. J’ai tenu bon ».
Ces deux témoignages rendent publics une souffrance, des drames, des cauchemars, qui peuvent aller jusqu’au suicide. Des histoires d’horreur vécues dans le silence et l’intimité de l’espace privé. D’une chambre à soi.
« L’évolution des moyens de communication et des réseaux sociaux expose à de nouveaux types de violences numériques, les cyber violences. Ces violences méritent toute notre attention, car elles touchent les plus connectés, à savoir les jeunes et parfois même les enfants », avait déclaré Marcus Cornaro, ambassadeur de l’Union européenne, à l’ouverture des panels de discussion sur la thématique de la journée.
Mais que veut dire le terme « cyber violences » ? Quelles sont les formes que peut prendre cette violation ? Et comment lutter contre le harcèlement en ligne ?
Ces questions ont été au cœur des deux panels de discussion animés et modérés par Amel Smaoui, qui ont pris place à l’Espace Miami de Sfax. Auparavant, dans la matinée, une exposition-fresque des luttes des femmes tunisiennes depuis 1956 pour plus de droits a été inaugurée ainsi qu’un parcours audio, le « Sas des préjugés » récapitulant les stéréotypes les plus récurrents tenus sur la gente féminine tunisienne alors que tournaient en boucle de courtes vidéos sur les violences à l’égard des femmes.
Quatre femmes sur cinq déclarent avoir été victimes de violences en ligne
Les chiffres sont effarants : selon une enquête du Credif, citée dans une vidéo projetée au cours de la Journée, quatre femmes sur cinq déclarent avoir été victimes de violences en ligne et 95 % d’entre elles n’ont jamais porté plainte. « Usurpation d’identité, piratage, intimidation, chantage sexuel, « revengeporn, menaces ou encore diffamation, les formes de la violence numérique à l’égard des femmes sont multiples. Elles peuvent évoluer vers une violence physique », explique la sociologue et militante féministe Fethia Saidi.
Pour Malek Soussi, de l’Association WeYouth de Sfax, souvent les rescapées de cette violence ne sont pas conscientes qu’elles se sont trouvées dans le rôle de la victime dans un moment de leur vie. « Parfois aussi, les agresseurs ne se rendent pas compte du crime qu’ils commettent. C’est ce qui est ressorti d’une étude que nous avons effectué récemment sur les violences en ligne », ajoute-t-elle.
Que faire en cas d’abus ?
Même si la majorité des femmes préfèrent garder le silence, Ahlem Bousserwel, de l’Association tunisienne des femmes démocrates, l’ONG qui lutte contre ce fléau depuis plus de trente ans maintenant, conseille aux victimes de dénoncer leurs harceleurs. Il s’agit tout d’abord de faire une capture d’écran des messages toxiques, de recourir par la suite à l’expertise d’un huissier-notaire. Et enfin de s’adresser aux agents de l’unité spécialisée pour enquêter sur les infractions de violence à l’égard des femmes créée au sein de chaque commissariat de sûreté nationale et de garde nationale, selon les dispositifs de la Loi organique n°58 de l’année 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Tous et toutes sur la piste de danse !
Pour Ahlem Bousserwel, même si la Loi 58 ne cite pas explicitement les violences en ligne, elle reste jusqu’ici le seul recours légal : « Nous avons alerté à plusieurs reprises les autorités de la nécessité de mettre en place un Code des crimes en ligne, car le monde virtuel n’a plus rien à voir avec un long fleuve tranquille », insiste la militante.
Les voix féministes qui se sont exprimées au cours des deux panels se mobilisent, depuis notamment la période du Covid où les intimidations en ligne se sont multipliées, pour sensibiliser la population à ces violences virtuelles, pourtant bien réelles.
Parmi ces voix, celle d’Olfa Arfaoui est des plus originales. Experte genre et cofondatrice de la Fabrique Art Studio avec Mohamed Ben Slama, elle a lancé, voilà quatre ans, la « DJ Academy for Girls ». « Activisme, Artivisme, Féminisme », clame-t-elle en guise de slogan et de fil rouge, qui guide son travail.
Le concert mené tambour battant par deux Djettes d’à peine 20 ans, a clôturé la journée sur des rythmes entraînants. Un spectacle haut en son et en couleur remettant en question un certain sexisme, qui règne dans l’industrie musicale et plus largement dans l’univers de la nuit.