Accueil Culture «Thedyoun wahed», recueil de nouvelles de Donia Mlika : Écrire comme on s’amuse

«Thedyoun wahed», recueil de nouvelles de Donia Mlika : Écrire comme on s’amuse

Pour celui qui a déjà bien lu et connu le difficile art littéraire qu’est la nouvelle, cette primeur de Donia Mlika intitulée « Thadyoun wahed » (un seul sein), publiée récemment à Tunis, est loin d’être décevante. Car la jeune et prometteuse autrice de ce beau petit livre (95 pages), en s’engageant tout spontanément dans ce genre littéraire, fort délicat et peu facile, s’en tire plutôt à bon compte et même non sans quelque brio…

A l’instar des bons nouvellistes, Donia Mlika nous donne à lire, dans chacune des 21 nouvelles composant son recueil, un court récit dont le contenu, rigoureusement ramassé et intense, varie le plus souvent de 3 à 6 pages et développe, sur une courte durée et dans un espace délimité, une intrigue fondée sur la progression psychologique d’un personnage principal aux prises avec son petit monde immédiat ou avec un second personnage à qui l’oppose un rapport conflictuel. Seulement, la réussite de cette écriture «nouvellestique» de Donia Mlika agrémentée de temps à autre par quelques événements insolites ainsi que par un peu d’humour, très bienvenu, n’apparaît pas uniquement là. Elle apparaît aussi et surtout au niveau du dénouement ou de la clausule ou encore —pour employer le terme technique approprié— de « la chute » de ces formes brèves qui sont ces nouvelles. Une «chute» soudaine, inattendue ou même quelque peu brutale. En effet, c’est bien là, à cette « situation finale », qu’on reconnaît le talent du nouvelliste et, partant, celui de Donia Mlika qui, dans chacune de ses troublantes nouvelles, sait évoluer, tout en délicatesse et sans temps morts, dans la narration des événements en installant son lecteur dans une espèce d’attente fiévreuse du dénouement qu’elle prend un malin plaisir à tenir secret le long du récit où elle parvient à maintenir vive la tension qu’elle y crée à coup de courtes phrases, souvent minimales, sans fioritures, d’une aisance radieuse, incisives et au tempo rapide. Astucieuse et fine, elle nous met d’abord sur de fausses pistes vers la fin du récit qu’elle s’applique à monter habilement, pour mieux aménager l’effet de surprise, de choc, de ravissement, de colère ou de rire qu’apporte soudain ce dénouement et qu’elle n’a de cesse que de produire de manière souvent éclatante et libérer ainsi brusquement le lecteur de l’angoisse qu’elle a su lui injecter à petites doses (la nouvelle « Festin avec arrêt d’exécution », pp. 9-12) ou susciter sa colère (la nouvelle « Palpe ton corps », pp.13- 16), ou l’embarrasser (la nouvelle « Le rouge à lèvres, pp. 17-22) ou le faire s’esclaffer de rire (la nouvelle « Les rêves de Ahlem», pp. 23-26) ou l’indigner jusqu’au dégoût (La nouvelle « Le héros du film», pp. 40-44), ou le décevoir gentiment (la nouvelle « Le poète transi d’amour », pp.31-36), ou lui laisser dans la bouche le goût de cendre (la nouvelle « Un seul sein », pp.48-50), ou encore le ravir au suprême (la nouvelle « Le mari trompé », pp. 79-84), ou enfin lui donner froid dans le dos (la nouvelle «Le baiser », pp. 85-90), etc. De nouvelle en nouvelle, le lecteur retient son souffle et attend, curieux et impatient, ces « chutes » toutes surprenantes et toutes belles, fonctionnant comme des « pointes » dans des sonnets et produisant un impact troublant sur le lecteur surtout quand il s’agit pour l’autrice de lever soudain le voile sur des pratiques criminelles, honteuses, contre l’enfance ou contre les femmes. Dans ces textes d’inégale valeur artistique et où « Thadyoun wahed », la nouvelle éponyme de tout le recueil, ne serait pas, à notre humble avis, nécessairement la plus attachante (d’autres sont autrement mieux écrites et délicieuses que celle-ci qui donne son titre à l’ensemble), Donia Mlika cherche en effet à nous surprendre en permanence. Mais ce n’est pas tout ! Elle cherche également à perturber notre tranquillité éthique et mentale en nous mettant face à des réalités sociales ou morales très choquantes, placées sous le sceau du tabou ou du silence et qu’elle ne veut pas occulter, parce que bien décidée à dénoncer les apparences trompeuses, l’hypocrisie, l’abus, le crime, le mal. Les thèmes de ses nouvelles sont puisés dans le vécu des hommes et des femmes au quotidien. Au fond, Donia Mlika est très sérieuse, c’est-à-dire qu’elle prend au sérieux ce qu’elle évoque et aborde, en dépit de l’apparente légèreté et l’ironie, quelquefois mordante, qui caractérisent son style vif. Sa motivation profonde est de toute évidence sa foi en les « Droits de l’homme », en la cause des femmes de notre pays et en celle des enfants. Sans jamais s’attarder sur les détails comme dans les discours savants des sociologues ou anthropologues, sans discourir, sans recourir à des slogans faciles, elle signifie par éclairs, avec peu d’éléments langagiers et des clins d’œil, la grande médiocrité de certaines vies conjugales et la vaste misère de certains couples modernes : tenez ! cette femme qui rêve tous les jours de boucles d’oreilles en diamant pur et cher, qui achète à crédit un fastueux portable très coûteux et à qui le mari ne trouve bon à offrir, à l’occasion de l’anniversaire de leur mariage, qu’un poulet ridicule qu’il prépare par lui-même, serait peut-être l’exemple-même de certaines Tunisiennes dont les rêves dépassent les moyens matériels de leurs couples et qui, faute de bonheur, s’oublient dans des rêves de richesse, inconsistants et éphémères (pp. 23-26). La fine ironie de l’autrice révèle cette inconsistance et cette souffrance tacite.

Donia Mlika, bien que sérieuse et grave par rapport aux problèmes sociaux qu’elle évoque, écrit comme on s’amuse. Elle se rit sans méchanceté de quelques-uns de ses personnages et nous fait rire quelquefois aux éclats. Une âme légère conduit l’écriture de ses nouvelles où sa langue est simple et limpide, correcte évidemment, mais où la littérarisation ou l’imagination verbale et rhétorique se limite à un régime délibérément modéré. Car, pour elle, il s’agit davantage de raconter la société et ses zones d’ombre que de donner à rêver par la création langagière et la métaphorisation.

Courageuse et bien résolue à entrer dans l’arène littéraire et éditoriale, elle prend en charge par elle-même sa primeur et avance seule vers le lecteur sans préfacier qui se serait porté garant de la qualité de son livre, et sans même une notice biographique sur la quatrième de couverture qui l’aurait présentée aux lecteurs qui ne la connaissent pas encore. Mais la petite mention «Katiba tounissiya» (écrivaine tunisienne) placée en bas de cette quatrième de couverture semble être, à ses yeux, assez suffisante pour lui permettre de s’embarquer avec assurance, mais non sans quelque modestie aussi, dans cette rude entreprise qu’est l’écriture et où il nous paraît qu’elle a déjà de fortes chances de remporter la partie. Bonne route !

Donia Mlika, « Thadyoun wahed », nouvelles en arabe, El Mourouj, Editions «Dar Warka», 2023, 95 pages. Illustration de la couverture : Mejed Zalila et Kamel Eddine El Mazghouni. ISBN- 9789938520538.

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