Raoudha Gafrej experte en ressources en eau et en adaptation au changement climatique appelle à une convocation urgente du Conseil National de l’Eau. Elle exhorte l’État à décréter l’état d’urgence face à « une sécheresse qui doit être officiellement désignée comme une catastrophe naturelle, qui est responsable de la réduction de la disponibilité en eau de surface et souterraine ainsi que de l’eau verte pour l’agriculture pluviale ».
La Tunisie traverse une crise hydrique sans précédent. La situation est telle qu’un groupe d’experts tunisiens appuyés par le Réseau Tunisie Verte ont décidé de tirer la sonnette d’alarme face à « l’inertie des autorités concernées ». Afin d’alerter l’opinion publique, une conférence de presse a été organisée par le Réseau Tunisie Verte sur le thème « Crise hydrique en Tunisie : proposition d’un plan de sauvetage ».
Estimée à 335 m3/hab/an, la disponibilité en eau renouvelable fait état d’une situation de pénurie absolue qui doit, selon les experts Raoudha Gafrej et Houssem Eddine Chebbi, présents à cet événement, « inciter les autorités à décréter l’Etat d’urgence face à la situation de sécheresse qui perdure. Il s’agit de la quatrième année consécutive et qui constitue une sérieuse menace pour la sécurité alimentaire à l’échelle nationale ».
Partie pour s’installer dans la durée, cette conjoncture , qui est une conséquence directe du changement climatique et dont les effets ne font que s’intensifier avec le temps, est d’autant plus compliquée que le manque d’eau affecte non seulement, les lacs collinaires et les barrages dont le taux de remplissage des grands ouvrages n’a pas dépassé 30% à la date du 25 avril, mais également les nappes souterraines dont la recharge est de plus en plus faible et qui sont en train de s’assécher de plus en plus. Les apports en eau à leur niveau ont enregistré, en effet, une baisse inquiétante au cours des six dernières années en passant de 66,1% en 2016à 41,3% en 2022.
Les agriculteurs en grande difficulté
Ces déficits en eau, accentués par la forte élévation de la température-selon l’INM, l’été 2022 est considérée comme le deuxième été le plus chaud depuis 1950 avec des températures anormalement élevées qui ont enregistré une hausse de 2 degrés par rapport aux normales saisonnières- ont entrainé une augmentation des besoins en eau potable et d’irrigation et une surexploitation des nappes par le biais de la construction de forages et de puits illicites (22 mille puits en 2020).
Toujours selon les experts, un sérieux problème va se poser pour l’accès à l’eau potable au cours des prochaines années en plus de la fragilisation du secteur de l’agriculture durement affecté par la sécheresse qui a sévi au cours des quatre dernières années.
En effet, directement impactée par les facteurs liés aux changements climatiques, la production nationale agricole ne fait que stagner de plus en plus, empêtrée dans des crises à n’en plus finir, représentant une sérieuse menace pour la sécurité alimentaire.
Par ailleurs, la baisse des investissements agricoles au cours des dernières années n’a fait que compliquer davantage une situation déjà très difficile pour les agriculteurs qui représentent le maillon faible de la chaîne de production, et contraints de subir la pression d’une politique nationale plus tournée vers l’aide à la consommation (mesures de soutien adoptées au profit des catégories défavorisées grâce la politique de subventions qui a été mise en place) qu’à la production.
En plus des lourdes charges liées à leur activité qu’ils doivent supporter, leurs difficultés financières n’ont fait que s’accentuer aujourd’hui avec le manque d’eau découlant des périodes de sécheresse qui se sont succédé. « Le manque d’eau impacte directement le secteur de l’agriculture », explique Houssem Eddine Chebbi expert en économie et politiques agricoles. « Depuis onze ans les agriculteurs sont enlisés dans de grandes difficultés liées à leur activité. Le taux des investissements agricoles a baissé de 18% à 10%, ce qui n’arrange en rien les choses. Un tiers de la société vit directement des revenus provenant de l’agriculture. Pourtant seulement 2% du budget de l’Etat est consacré aux agriculteurs. La politique mise en place à plutôt tendance à privilégier et à encourager financièrement la consommation plutôt que la production agricole, rendant la situation de plus en plus difficile pour les agriculteurs. L’appareil productif agricole est à bout de souffle.
L’urgence de trouver des solutions à court terme se pose avec acuité. Un plan d’action au profit du secteur de l’agriculture s’impose. Il faut renforcer les investissements dans ce secteur en révisant le plan de développement 2023-2025, tout en tenant compte de la disponibilité en eau. Il faut aussi définir, publier et exécuter une politique claire de l’agriculture pour les cultures irriguées et en pluvial et sécuriser ces dernières par des actions et des mécanistes d’appui. Et il s’agit surtout de renforcer les mécanismes d’aide indirecte en augmentant significativement les prix à la production pour les céréales et le lait. Enfin plutôt que de mobiliser des devises pour importer des céréales, il faudrait orienter ces ressources financières vers une meilleure optimisation de l’appareil productif agricole afin d’améliorer le rendement des cultures locales».
La situation est alarmante
Bien que des mesures aient été récemment prises par le ministère de l’Agriculture et la Présidence du gouvernement afin de rationaliser la consommation d’eau et faire face à la baisse drastique des réserves en eau, celles-ci sont jugées insuffisantes par les experts et les activistes de la société civile qui appellent à une action gouvernementale d’une plus grande ampleur, impliquant tous les secteurs grands consommateurs d’eau (agriculture, tourisme…..).
« Dès lors que la grave crise hydrique que traverse actuellement notre pays découle de la conjugaison de plusieurs facteurs parmi lesquels figure un modèle de gouvernance, instauré depuis de nombreuses années qui s’essouffle de plus en plus et qui n’arrive plus à répondre aux enjeux stratégiques actuels, le gouvernement devrait, par conséquent, adopter un plan d’urgence basé sur une approche efficace et anticipatoire, tenant compte de l’ampleur et la profondeur de la crise », selon Raoudha Gafrej, experte en ressources en eau et en adaptation au changement climatique.
La spécialiste des ressources en eau, qui appelle à une convocation urgente du Conseil National de l’Eau, exhorte, par ailleurs, l’Etat à décréter l’état d’urgence face à « une sécheresse qui doit être officiellement désignée comme une catastrophe naturelle, qui est responsable de la réduction de la disponibilité en eau de surface et souterraine ainsi que de l’eau verte pour l’agriculture pluviale ».
Toujours selon l’experte, Il faudrait également prévoir un plan qui couvre la période allant de mars à septembre 2023 et qui devrait être prolongé au cas où la sécheresse persisterait au delà de cette période. « Ce plan d’urgence, qui doit être actualisé chaque semaine, doit impliquer tous les secteurs qui exploitent l’eau, à l’instar du secteur touristique. Il ne s’agit pas seulement de rationaliser l’exploitation des ressources en eau. Il faut également penser à garantir aux agriculteurs l’accès aux ressources sinon ils auront recours à la surexploitation anarchique des nappes phréatiques pour sauver leurs cultures. Il faut aussi réfléchir aux moyens de financement et mettre en place le budget nécessaire en ayant recours aux bailleurs de fonds nationaux et internationaux, ajoute l’intervenante. L’État doit, par ailleurs, mettre en place une loi d’urgence face à la situation exceptionnelle dans laquelle on se trouve afin de gérer les ressources en eau, à défaut du code de l’eau qui n’a toujours pas été adopté. Cette loi doit viser l’arrêt immédiat de l’utilisation anarchique et illégale de l’eau ».
Toutefois, l’efficience de ce plan contre le stress hydrique est grandement tributaire des mesures d’accompagnement qui doivent être adoptées au profit des agriculteurs dès lors que le secteur agricole demeure le plus grand consommateur d’eau en Tunisie.
Il faudrait pour cela injecter un milliard de dinars au profit de l’agriculture en Tunisie afin de redynamiser l’appareil productif agricole en grande difficulté, à travers la mise en place d’une série d’actions et de mécanismes d’incitation ce qui permettrait de garantir la pérennité d’une activité dont est grandement dépendant notre sécurité alimentaire.
michmich
10 mai 2023 à 20:06
Ça ne les empêche pas pour l’instant d’arroser les greens de golf qui sont bien verts ni les hôtels d’arroser les pelouses en pleine journée avec des arroseurs automatiques!!🧐🤨