En ce mois de juin, avec des retards accusés en raison d’un climat pluvieux, la récolte céréalière de cette année ne s’annonce pas aussi riche que la précédente.
Pourtant, les moissonneuses-batteuses tournent, déjà, à plein régime, sur une superficie moyenne de 1, 6 million d’hectares de céréales, soit 36% des terres cultivées chaque année, et dont le blé dur détient généralement la moitié, à hauteur de 850 mille ha, selon des statistiques.
La crise des céréales
La campagne de la moisson bat, actuellement, son plein, au centre comme au nord-ouest, avec des prévisions bien en deçà des attentes : «La production nationale de céréales pour la saison actuelle ne dépasserait pas les 2,5 millions de quintaux, dont 1,7 million de quintaux seront collectés, dans les meilleurs des cas, soit en baisse considérable par rapport à celle de 2022 qui s’est élevée à 11 millions de quintaux (la quantité collectée s’est limitée à 7,4 quintaux) », estime Anis Kharbach, membre du conseil central de l’Utap, dans une interview accordée à la Tap. Constat : les rendements seraient cinq fois inférieurs à ce qui a été réalisé l’année dernière. Ce qui explique l’importation presque de la moitié de ce qu’on consomme annuellement, soit plus de 10 millions de quintaux pour satisfaire nos besoins.
Cette récolte si maigre ne couvrirait même pas nos besoins en semences. Tout le monde le sait, sauf que nos décideurs ne le disent pas crûment. Cette réalité relève d’un secret de Polichinelle ! Ceci étant, le secteur céréalier s’enlise dans une crise persistante, due essentiellement à la sécheresse et à un déficit pluviométrique durant plus de quatre ans et bien d’autres facteurs inhérents aux impacts du changement climatique. Aussi, ce constat sans appel n’était pas souvent à l’origine d’une politique agricole défaillante et des gouvernants qui naviguent à vue. D’autant plus que la filière céréalière en Tunisie, croit-on savoir, souffre des mêmes problèmes depuis des décennies. Et jusqu’à nos jours, l’on continue à gérer le dossier des semences avec beaucoup de légèreté, sans stratégie ni vision assez claire. Quitte à voir notre sécurité alimentaire remise en cause.
Pourquoi avoir recours à l’importation ?
Selon le membre de l’Utap, mais aussi des avis des agriculteurs, la détérioration de cette filière est le résultat de la faible exploitation des terres productrices de céréales, de l’absence de production d’environ 60% de semences sélectionnées et de l’expansion limitée des superficies irriguées réservées à cet effet. Et là, la gestion de l’Office des terres domaniales est pointée du doigt. « Environ 500 mille hectares de terres domaniales sont aujourd’hui délaissés et non exploités », recense Kharbache. Et comme la question de la sécurité alimentaire demeure principalement tributaire de l’offre céréalière, il est temps de revisiter nos conduites culturales. Et les solutions existent ! Le recours fréquent à l’importation de blé pose autant des points d’interrogation.
Pourquoi importe-t-on du blé dur, alors que l’on se dote des variétés à haute valeur productive et beaucoup plus résistantes tant au stress hydrique qu’aux aléas du climat ? Abdelmonoem Khélifi, gérant de la Stima, société spécialisée des intrants et de matériel agricole, était, alors, pionnier dans le domaine de l’amélioration variétale. « Le but étant l’introduction de nouvelles variétés de blé tendre et dur qui ont montré des comportements meilleurs que celles locales, surtout dans les conditions de cultures tunisiennes », révèle-t-il. En effet, « Saragolla » et « Irid », riches en protéines, en sont, entre autres, les mieux recommandées pour leur excellente qualité de semoule et de gluten, mais aussi pour leur rendement très élevé. Et parler de pénurie de pain, cet aliment à base de farine que l’on extrait du blé tendre dont on ne produit que 10% de nos besoins ! Ce qui nous pousse à l’importation de cette manière. Et là où le bât blesse, c’est que près d’un million de pains sont jetés, quotidiennement, sur une moyenne de 6 millions de pains produits.
Des recommandations en guise de solutions
Certes, la gestion du secteur céréalier fait défaut, alors qu’il aurait pu réaliser l’autosuffisance requise. Que faire, aujourd’hui, face à cette grande crise sectorielle générée, à bien des égards ? Lors d’une récente rencontre médiatique au ministère de l’Agriculture, le P.-d.g. de l’Office des céréales a indiqué qu’un programme exceptionnel visant à mobiliser environ 700 mille quintaux de semences céréalières dont 200 mille quintaux de semences sélectionnées a été mis en place. Et que 500 mille quintaux devraient être disponibles en réserves de blé dur pour nos besoins en semences au cours de la saison 2024-2025. De même, « il y aura également un rééchelonnement des dettes des agriculteurs dans les zones sinistrées, ayant contracté des crédits au titre de la saison 2022-2023 », selon la même source.
Autres solutions et non des moindres, la mobilisation des ressources en eau et le traitement des eaux usées destinées à l’irrigation. La Sonede aura, ici, son mot à dire : « Des stations de dessalement des eaux souterraines salées et de mer dans certaines régions seront fin prêtes, d’ici 2026. Ces projets permettront de fournir 30% des besoins en eaux », annonce son P.-d.g. Mesbah Helali. Et d’ajouter que 117 projets sont, d’ailleurs, réalisés, afin de garantir l’eau potable à 177 mille habitants et gérer 82 réseaux de distribution, enregistrant des dysfonctionnements, au profit de 90 mille habitants. Il est aussi recommandé de prendre soin de nos ouvrages hydrauliques et nos barrages dont le taux de remplissage atteint, après ces dernières pluies, seulement 30% environ.
Du reste, la sécurité alimentaire et l’approvisionnement en eau potable sont la clé de voûte de toute stabilité socioéconomique. Sur quoi n’a cessé d’insister le Président de la République, Kaïs Saïed, lors de son récent entretien avec le ministre de l’Agriculture, Abdelmonem Belâti.