DANS cette saison des festivals, il y a un genre très particulier qui nous semble relégué dans l’oubli. Le stambali, c’est lui ce grand absent. Certes, cette absence n’est pas une nouveauté. Mais il est peut-être temps d’y remédier. Et voici les arguments pour ce faire.
Le stambali, on le retrouve parfois dans certaines régions de la Tunisie, revêtant un caractère populaire et folklorique. Mais il n’a pas la visibilité qu’il mérite. Or, il aurait toute sa place dans les événements culturels nationaux.
Le stambali ou stambeli, dit la définition, est à la fois un genre musical de chant et de danse, également un rite de possession qui se veut thérapeutique. Il a été implanté ou créé dans certaines régions de la Tunisie par le biais de populations venues d’Afrique subsaharienne. Le mot est connu de tous les Tunisiens, dans toute la Tunisie. Et mêle donc les Tunisiens à des populations d’Afrique subsaharienne, montrant à quel point, surtout par les temps qui courent, ces origines différentes s’entendaient bien, communiaient, célébraient des événements ensemble, en chantant et en dansant. Ces musiques et ces rites afro-nord-africains n’existent pas seulement en Tunisie. On les retrouve, sous des formes voisines ou cousines, au Maroc, en Algérie, en Libye, en Egypte et même dans les pays du Proche-Orient. L’origine étant la même, des populations venues d’Afrique noire. Et un genre musical qui consacre un profond enracinement culturel, dans un mélange qui retrouve les mêmes éléments dans l’ensemble de ces contrées. Les masques des danseurs et chanteurs, les couleurs de leurs costumes fabuleux, les instruments de musique utilisés ainsi que les sonorités sont identiques. En Tunisie, on l’appelle stambali, en Algérie, diwane ou bien gnaouie, au Maroc, c’est gnaoua.
Au Maroc justement, les gnaouas ont leur festival. Cette année, il en était à sa 24e édition qui s’est déroulée du 22 au 24 juin. Et 300 mille personnes sont venues de l’extérieur de la ville qui accueille le festival, Essaouira, située sur la côte atlantique du Maroc. Essaouira, petite ville de près de 80 mille habitants, est devenue le haut lieu de ce genre musical. A l’heure qu’il est, le mot gnaoua est connu partout dans le monde, même à Hollywood. Nos amis, les Marocains, ont su « marketer », comme ils savent le faire, le produit. Mais surtout ils ont su redonner vie à une tradition qui n’est plus, chez eux, une culture folklorique ou encore muséographique, mais qui est devenue une culture bien vivante.
Le nom du festival (Festival gnaoua des musiques du monde) traduit cette vision de vouloir interpeller et impliquer le patrimoine immatériel mondial. A fortiori si on connaît l’histoire de la ville d’Essaouira, qui était l’un des plus grands comptoirs de commerce d’esclaves africains. La musique gnaoua était pour les Africains transportés de force à Essaouira, pour être acheminés ailleurs, une catharsis, une forme de délivrance. Ils chantaient leur liberté perdue, invoquaient les saints, les esprits bienveillants, Dieu, dans une sorte de fusion spirituelle où le paganisme, le soufi et les traditions ancestrales africaines se mélangeaient. Cet héritage stambali-gnaoua, musical commun montre à quel point il peut éveiller les consciences, apaiser les souffrances, rapprocher les gens.
En ces temps difficiles, de fortes tensions, de doutes quant aux liens entre les Tunisiens et les ressortissants subsahariens, il était utile pour nous d’invoquer ce patrimoine commun. Un patrimoine né dans la souffrance certes ; un patrimoine d’où la traite des humains n’était pas absente ; mais un patrimoine qui a donné naissance à une grande beauté, et qui appartient aux communautés situées de part et d’autre de la mer saharienne. Le stambali fait partie de notre patrimoine. Voyons en lui l’invocation d’une vie meilleure pour tous dans le futur. Dans le respect des droits des uns et des autres, autochtones comme visiteurs.