Accueil Actualités Canicule et condition humaine dans les régions : L’inhospitalité de l’espace public

Canicule et condition humaine dans les régions : L’inhospitalité de l’espace public

 

Il faut œuvrer pour le bien-être collectif avec le peu de moyens dont on dispose, en aménageant des espaces verts, des parcs urbains et des piscines municipales dans les villes les moins nanties.

Dans son récent «Rapport mondial du bonheur 2023» (World Happiness Report), le réseau de solutions pour le développement durable, une organisation soutenue par l’ONU, a octroyé à la Tunisie le faible score de 4,497 pour occuper, ainsi, la 110e place sur un ensemble de 137 pays.
Ledit rapport se réfère à une enquête par sondage réalisée par la société spécialisée «Gallup».
Cette enquête conduite auprès de personnes choisies au hasard s’appuie sur une même question posée aux sondés, selon laquelle il faudra estimer leur propre niveau de bonheur. Ensuite, les réponses sont croisées avec différents indicateurs, dont le PIB par habitant, l’espérance de vie en bonne santé, le soutien social, la liberté de choix de vie des individus, et la perception de la corruption s’agissant des responsables politiques.
À l’échelle maghrébine, le peuple tunisien est le moins heureux d’entre ses voisins ! D’autant que la Tunisie s’est classée loin derrière le Maroc (100 e dans le classement mondial), l’Algérie (96 e) et la Libye (86e) !
Le pays progresse donc dans sa chute depuis le début des années 2010, au vu et au su de ses gouvernants successifs.
Pourtant, les raisons de cette grisaille qui perdure à cause d’une chape de plomb qui pèse sur la société sont pratiquement connues de tous.

Des régions peu attractives

À un taux de pauvreté de près de 25 % et un taux de chômage frôlant les 17%, selon l’Institut national de la statistique (INS), vient s’ajouter l’inhospitalité de l’espace public, surtout dans les villes et régions de l’intérieur.
Souvent privées d’espaces publics hospitaliers, notamment parcs urbains, piscines municipales et espaces verts entre autres, ces zones reculées du pays sentent la naphtaline et incarnent parfaitement l’inhospitalité de l’espace public.
Par ces temps de grande canicule, l’on croise donc souvent dans les rues et ruelles dans les campagnes et bourgades, des visages fermés, des personnes qui semblent tristes et solitaires, des regard de statue. La détresse, le désespoir et le désir de partir loin, de quitter le pays sont perceptibles.
Ces personnes prises dans le piège de la fatalité de l’existence, de l’avis du professeur de français vivant à Gafsa, Amir. Selon lui, ces gens qui souffrent sont confrontés non seulement à l’injustice de Dame nature, mais aussi à une mauvaise gouvernance qui dure depuis longtemps. Abondant dans le même sens, Moez Haddadi, également professeur de lettres issu de Rouhia, une délégation relevant du gouvernorat de Siliana dans le NordOuest du pays, souligne que la condition humaine est beaucoup plus tragique dans les villes enclavées, en l’occurrence, Siliana, Kairouan, Gafsa, Sidi Bouzid, kébili et autres. D’où la nécessité, selon lui, d’une intervention de l’État par le biais de politiques régionales et d’initiatives salvatrices pour aider ces gens peu fortunés à s’affranchir de leur condition.
«À mon sens et de l’avis des sociologues et anthropologues, il y a le bonheur matériel et celui immatériel. De ce fait, compte tenu de l’état de notre économie nationale, on peut opter pour le deuxième. C’est à dire œuvrer pour le bienêtre collectif avec le peu de moyens dont on dispose, en aménageant des espaces verts, des parcs urbains et des piscines municipales dans les villes les moins nanties», propose notre interlocuteur.

Le développement instantané l’emporte sur la planification urbaine

N’y allant pas par quatre chemins, le sociologue Abdessatar Sahbani, approché par La Presse, fustige l’absence d’une vraie planification urbaine susceptible de fixer les populations dans leurs zones et régions natales.
«Le développement instantané l’a emporté de loin sur la planification urbaine. D’ailleurs, pour ce qui est des schémas d’aménagement, on a affaire à un développement anarchique. Puis, nous ne disposons pas de pouvoir local en mesure de gérer ce qui est local. Ce qui fait que l’espace urbain et pluri-urbain est pollué, voire pillé. On parle également d’espace public faisant l’objet de marchandage. De là, le vivre-ensemble, la pérennité et le bien-être collectif ne sont plus posés, à l’ère d’un capitalisme sauvage qui semble avoir atteint son dernier degré», analyse le sociologue.
Dans la même optique, il fustige l’absence d’espaces de consommation collective comme les parcs urbains, les jardins publics et autres. «Nous faisons face à une politique néo-libérale qui ne fait que mettre sous éteignoir toute tentative de remise à niveau de nos espaces urbains. D’ail – leurs, on est presque l’un des rares pays au monde où les voitures se garent sur les trottoirs et les gens prennent d’assaut le macadam goudronné», se désole notre interlocuteur.

Les inégalités sociales, un mal qui gangrène le pays

Abordant, par ailleurs, les inégalités sociales qui durent et perdurent en Tunisie, le sociologue note que les disparités s’observent non seulement entre une région et une autre, mais également au sein de la même région.
«Pour résumer, il faut dire que le schéma de développement de l’espace urbain tunisien s’apparente en grande partie à celui de l’Amérique latine des années 60, c’est-à-dire du temps de la Mafia et des dictatures, où le luxe et la misère se côtoyaient indéfiniment. À Tunis, par exemple, les habitants des quartiers populaires peinent aujourd’hui à atteindre des quartiers huppés comme à La Marsa et à Gammarth où pullulent complexes de loisirs privés, à cause de leurs difficultés économiques», ajoute l’universitaire.
au demeurant, pour une plus grande ouverture sur le monde pour s’inspirer des expériences à succès en matière de planification urbaine.
«On ne doit pas non plus sombrer dans la tunisianité dans un monde hyperconnecté. Organiser des festivals dans certaines régions et parler de démocratisation de la vie artistique et culturelle, c’est jeter de la poudre aux yeux, à mon sens», conclut le sociologue.

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