En plein jour, et alors que le soleil continue à arroser glorieusement les pentes, les oliveraies et villages entourant la capitale, les grands boulevards, les rues et ruelles de Tunis baignent tragiquement dans la crasse.
À l’avenue Habib-Bourguiba, cœur palpitant de la capitale et l’une des plus célèbres au Maghreb, étals anarchiques, vendeurs ambulants, mouches tourbillonnantes, ordures et air empesté font le décor diurne. Même dans les arrondissements et quartiers les plus huppés de la capitale, les déchets pullulent et tapent sur les nerfs de leurs habitants, en l’absence d’espaces verts, de parcs urbains et d’autres lieux de détente. La crasse et la puanteur s’annoncent donc aujourd’hui le dénominateur commun de la plupart des boulevards, des rues et ruelles de la capitale. Et nos visiteurs arabes et étrangers slaloment entre bouteilles et emballages, déjections humaines et animales ; et finissent par nous caser.
La nuit, ces dépotoirs à ciel ouvert font le bonheur des chiens et chats errants, des sans-abris, de ceux qui boivent et reboivent, pissent comme des Aïdi Atlas, s’allongent sur les souillures, plantent le nez au ciel et se lamentent sur leur sort. Las d’un incivisme qui a atteint son dernier degré et d’un laisser-aller qui tue, les employés des mairies finissent par jeter l’éponge. Vainement, ils ont travaillé jour et nuit. Ils auraient pissé dans un violon.
Pis, le cas de la plus grande et la plus célèbre avenue du pays est représentatif du reste des villes, à quelques exceptions près. Des villes loin d’être des lieux où il fait bon vivre. En l’absence d’une vraie planification urbaine, l’anarchie, le désordre et l’absence de goût règnent partout. La densification, la mauvaise gestion urbaine et l’improvisation face à une demande pressante y sont pour beaucoup.
Ce que se refuse cependant à admettre la raison, c’est que tant de fracassants désastres soient attribués à l’inertie des gouvernants et la stupidité des masses. Il n’y a pas longtemps, pas plus que deux décennies d’ailleurs, circuler dans l’avenue s’apparentait à une promenade dans un bout du monde scintillant et fleuri. Tout semblait fait pour protéger et cacher dans chaque demeure autant de bonheurs domestiques tapis entre le grand jardin et les arbres entrelacés.
Autrefois, le circuit reliant l’avenue et les quartiers jalonnants était un passage un peu miraculeux à la quintessence. Un passage qui laissait les gens souriants d’aise bien que peu nantis en dinars. Aujourd’hui que le temps est hors des gonds, circuler dans l’Avenue c’est comme si l’on nage dans la crasse, comme si l’on sirote un drame visuel et olfactif.