Accueil A la une Sur la route reliant Kasserine et Tébessa : Au drame s’ajoutent un mystère et des questions sans réponses

Sur la route reliant Kasserine et Tébessa : Au drame s’ajoutent un mystère et des questions sans réponses

Le phénomène migratoire est administré selon deux approches : l’approche légale et l’approche humanitaire. En vertu de la première inhérente au droit international, la Tunisie est en droit d’interdire son territoire à tout étranger qui tente de s’y introduire de manière illégale. Pour ce qui est de l’approche humanitaire, la question migratoire remet en question tout un arsenal de lois régissant les relations internationales.

C’était un samedi. Un de ces jours sans fin, sur la route qui mène de Kasserine vers le poste frontalier de Bouchebka. Le décor est planté. Le spectacle est lancé sur les pistes. Les plaines subissant la torpeur de midi. Le silence enveloppe les maisons de briques de terre. La végétation harcelée par le soleil a fini par rendre l’âme. Ce soleil implacable de plomb tape fort sur des têtes rasées, des cous luisants de sueur et des joues creuses. Cheveux en désordre, chemises dégrafées et cigarettes entre les doigts pour certains d’entre eux. Ils déambulent à l’image des caravanes humaines perdues dans le grand Sahara, rangés par dizaines tantôt flânant, tantôt trottinant, criant parfois : « hey, ho ! Hey, ho ! Hey, ho ! »

Une scène à première vue ordinaire, si associée aux activités d’un camp de scoutes. Mais la réalité en est tout autre. Ce spectacle dans lequel la nature aride s’acharne sur des hommes, des femmes et des enfants perdus, s’est multiplié à l’infini. Tout au long du chemin,  jusqu’à atteindre le dernier point de contrôle juxtaposant le poste frontalier de Bouchebka.

Un agent de la Garde nationale nous fait signe de nous arrêter. Contrôle de papiers, il tombe sur la carte de presse. Alors d’un coup, il se frappe la tête de désespoir dans un geste qu’il impute à « des forces invisibles ». « Vous apercevez cette caravane de Subsahariens ? Certainement vous en avez vu plusieurs le long de votre chemin. On en a marre ! Ils défilent jour et nuit. Chaque fois qu’on les ramène d’où ils sont venus, ils reviennent, encore et encore. On n’y peut rien », confie cet agent.

Lutter contre la porosité des frontières

Selon lui, ces flux qui se déploient à n’en plus finir sont source de mystère. « Ces immigrants clandestins victimes d’enjeux qui les dépassent ont de l’argent. De l’argent qui coule à flots, souvent en devises étrangères. Pourtant, ils se tapent des centaines de kilomètres à pied. N’est-ce pas intrigant tout cela ? De toute ma vie, je n’ai jamais vu ni rencontré un phénomène pareil », se désole encore le policier.

À notre arrivée au poste de Bouchebka, pour un dernier contrôle policier et douanier, on s’adresse à un haut responsable en vue de nous éclairer sur les scènes terribles qui ont émaillé le trajet. Gentiment, mais en pesant ses mots, il se contente de dire : « Que le Bon Dieu préserve notre patrie ! Nos conditions sont difficiles. La pression est énorme. Mais  en tant que soldats de ce beau pays si cher à nous, nous ne lâchons jamais », assure-t-il.

Avec ces mouvements migratoires, la question de l’afflux d’immigrés d’Afrique subsaharienne vers la Tunisie se complique de jour en jour. Les groupes aperçus sur la route transitant par la ville tunisienne de Kasserine et la ville algérienne de Tébessa confirment l’existence de réseaux suspects qui tirent de grands profits des acheminements de migrants par milliers vers la Tunisie.

D’ailleurs, le Président Kaïs Saïed avait assuré, à maintes reprises, de l’existence de « réseaux criminels » derrière ce phénomène transcontinental. Par ailleurs, et suite aux nombreux heurts opposant les Subsahariens aux Tunisiens, particulièrement dans la ville de Sfax, l’Observatoire tunisien des migrations avait appelé à lutter, en premier lieu, contre la porosité des frontières, en équipant les gardes-frontières et les patrouilles de moyens humains, financiers et logistiques nécessaires.

Le droit international autorise la légitime défense

Sur cette situation complexe, que dit le droit ? De l’avis du spécialiste en droit international, Abdelmajid Ebdelli, la Tunisie est appelée à agir de concert avec ses partenaires, pour mieux lutter contre les passeurs et pour protéger ses frontières. Selon lui, la question migratoire est administrée selon deux approches : l’approche légale et l’approche humanitaire. En vertu de la première approche inhérente au droit international, la Tunisie est en droit d’interdire son territoire à tout étranger qui tente de s’y introduire de manière illégale. Pour ce qui est de l’approche humanitaire, la question migratoire remet en cause tout un arsenal de lois régissant les relations internationales.

Ainsi, détaille-t-il : «De nos jours, l’immigration clandestine est un grand fléau. Et il n’est point suffisant de faire pression sur un pays ou un autre ou encore multiplier les congrès et les conférences pour le circonscrire ou en réduire les multiples effets. À mon avis, il faut plutôt s’attaquer à l’origine du mal, notamment la distribution inéquitable du travail et des richesses du monde entre les nations et tant que les pays du nord considèrent ceux du sud comme sources de matières premières et les immigrés comme une marchandise, le chaos se poursuivra. En relations internationales, ajoute l’universitaire, le concept d’intérêt national est le fondement de toute politique étrangère. La Tunisie devra en tenir compte ». Ainsi soit-il !

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