Cela fait des années que l’on vit une contre-révolution antihumaniste chez nous. Sous prétexte de précaution, et dans tous les secteurs ou presque, l’on se plie et se recroqueville. Et l’on se cache derrière un texte de loi.
«Je ne veux pas aller en prison», «Que pleure sa mère !», sont les fameuses phrases récurrentes à tout bout de champ. Dans les tribunaux, la Steg, la Sonede, les offices, les hôpitaux et les caisses de sécurité sociale entre autres, c’est toujours le même refrain. «Notre pays est ainsi fait», aiment dire et marteler ces fanfarons attachés à leur cravate. L’on normalise à souhait avec la médiocrité et la misère.
Ces mêmes Tunisiens usent souvent d’expressions toutes faites, sans queue ni tête, pour couvrir des traitements inhumains. Privilégiant une application mécanique des lois, ces compatriotes oublient souvent qu’il y a des normes universelles de ce que les hommes se doivent mutuellement. Ils oublient souvent qu’ils traitent avec des êtres humains, que nous sommes tous des êtres humains. Il est bon de s’en souvenir, même si ce n’est pas très vendeur. Ils perdent également de vue que ce qu’ils font à ces hommes et à ces femmes peu nanties, c’est à l’Homme qu’ils le font. Et que «chaque homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition », de l’avis de Montaigne.
Sénèque, lui aussi, le certifiait et le répétait en dénonçant le mauvais traitement des esclaves à Rome : «Immo homines» c’est-à-dire «mais ce sont des êtres humains».
Ces Tunisiens qui maltraitent leurs semblables, en manipulant comme bon leur semble textes et lois, n’auraient toutefois lu ni Montaigne, ni Sénèque. Ils ignoreraient même leurs noms. Ces Tunisiens qui occupent des postes clés n’auraient lu ni philosophes ni sociologues, et c’est un euphémisme.
À court d’idées, ils gambadent souvent dans l’opiniâtreté. Sans le savoir, ils deviennent des sadiques ordinaires.
Il suffit de franchir nos frontières pour mesurer la complexité de ce travers qui mutile bien des chairs. Partout, l’on passe sans toujours se rendre compte de cette grave indifférence à l’humain. L’heure du réveil n’a-t-elle pas sonné ?