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Voyages | Turquie Gaziantep : la ville où la pistache est reine

De notre envoyé spécial Hamma HANNACHI

Istanbul arrive largement en tête des destinations turques, c’est évident et compréhensible. D’autres villes ont connu des fortunes louables, la région d’Antalya ou Izmir sur la Méditerranée, etc., en font partie. Mais la Turquie est aussi ailleurs, l’Anatolie, le Cappadoce, la ville religieuse de Konya. Ces dernières années, une destination prend du poids et revêt une étoffe touristique : Gaziantep. Qui a fait l’objet d’un voyage de découverte (du 18 au 21 septembre) organisé par Go Türkiye, l’agence chargée du rayonnement touristique et culturel du pays. Intitulé du voyage : GastroAntep Culture Road Festival. Reportage.

Nous voici en route et au vent, prêts à découvrir ce que nous réservent les charmes et les atouts décrits sur les dépliants touristiques, Tunis-Istanbul, escale et vol vers Gaziantep (1h30, ligne intérieure).  Moins connue à l’international que ses consœurs touristiques, la ville est distante de 1.100 km d’Istanbul, elle se trouve au sud-est du pays, juste au-dessus de la Syrie, à près de 100 km d’Alep. Le nom de Gaziantep se perd dans un maelstrom d’interprétations, notre éclairé et éclairant guide, Mecit Bogday, parle d’une trentaine de versions, Gazi (conquérant) a été ajouté par Atatürk, Antep est plus compliqué, il découlerait de aïn (source en arabe) et Tep (robinet) ou aïn (œil) Tep (aguichant ou attirant) ou encore Tep caravansérail, etc., Nous voilà avec un fagot de versions sur les bras, aussi divergentes que jolies. Soit !

Gaziantep est située sur l’ancienne route de la soie, à quelques encablures (près de 60 km) de l’Euphrate, des terres fertiles et un climat clément, autant d’avantages pour s’y installer et y prospérer ; ce que furent les Hittites, suivis par les Perses, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Turcs seljoukides. Elle compte, aujourd’hui, près de 2.600.000 habitants. Résultat : le Gaziantep d’aujourd’hui est un impressionnant feuilleté de civilisations qui ont laissé des trésors culturels et des traces artistiques et culinaires.

Le Katmer, un gâteau de fête à base de pistaches

A un jet de pierre du centre-ville, des hôtels modernes ont poussé, le nôtre s’appelle Divan, et fait partie d’une chaîne. 11 étages, des chambres vastes, insonorisées, dotées de toutes les commodités modernes, la literie est de premier choix et un service d’étages courtois. Au 3e sous-sol de l’hôtel se côtoient un hammam, un spa, une piscine et un fitness.

Le restaurant draine une cohorte de clients d’affaires, un buffet richement garni, des spécialités turques et internationales. Au premier soir, nous avons goûté à une mémorable soupe de lentilles ; qui fait partie du quotidien des repas en Turquie, nous apprend-on, elle est de couleur jaune pâle, striée d’un ruban rose. Au goût, on ne détecte aucune trace de farine, encore moins de grumeaux, la texture est souple à l’envie, une empreinte de lait fermenté, un goût d’herbes, un soupçon d’acidité et d’amertume ; une saveur complexe. Si bonne, si légère, qu’on demande les ingrédients. Lentilles de la région, du beurre clarifié, du lait fermenté (un produit courant), une pincée de sumac (goût fruité proche de la pistache), un filet de citron, une pointe de thym et un grain de Haspir (safran) Le résultat ? On ne fera pas d’économie sur les superlatifs; plusieurs jours après, nous retenons encore le goût en bouche. Des crudités, un plat à base de viande de bœuf et yaourt, cuit juste et un dessert sublime à base de riz et de lait (parent de notre Mhalbia), d’une simplicité judicieuse, le plus de ce délice est une boule de glace au-dessus, le mélange en bouche est une merveille, ce premier dîner donne le ton de la gastronomie locale.

Réputée pour sa cuisine en Turquie et dans le monde, depuis 2015, Gaziantep fait partie du réseau des villes créatives de l’Unesco, son inscription lui a donné un nouveau souffle, trois ans plus tard, en 2018, la municipalité a ouvert en ville un spacieux restaurant témoin appelé Centre d’art culinaire; il a pour but de sauvegarder les nombreuses spécialités au premier desquelles la pistache. Un espace est réservé à la vente des produits qui font la réputation de la région, la cuisine y est délicate. A la lumière de nos discussions, nous avons conclu que la ville nourrit des desseins en matière de gastronomie.

Une cuisine riche et variée

La cité est boisée, squares et espaces verts, les rues y sont propres, les trottoirs larges, un cimetière (vu plusieurs fois à travers les vitres du bus) qui en impose par ses dimensions, ses allées et ses hauts arbres (cyprès, eucalyptus, acacias, etc.).

L’étape incontournable

Le lendemain, au petit-déjeuner, viennoiserie, crudités, chaud, froid, laitages, fromages étrangers et régionaux dont un, local, à pâte fraîche filée, sans sel, ressemblant singulièrement à la mozzarella.

Départ vers la cité de Rumkalé, encore un nom composé dont la signification se perd dans les eaux profondes de son lac. Rum (romain) Kalé (de Kalâat ou citadelle), les chrétiens l’ont appelée Hromgla ou Glaia (château romain), les croisés la nomment Ranculat ; à une période on l’a appelée islamkalé, Atatatürk dont on rencontre partout sa photo, à l’occasion de la fête du centenaire de la République (1923), a tranché, adoptant le nom actuel.

Près de 70 km de route pour arriver au village à l’embouchure de l’Euphrate ; des champs de pistachiers térébinthe (les meilleurs) à perte de vue, sous leurs branches pendent des grappes lourdes de fruits aux couleurs vert pâle à mauve clair, des oliviers et des citronniers parsemés ça et là, de jeunes arbrisseaux récemment plantés. La terre arbore un aspect dynamique, agréable à voir ; elle respire la vie.

Un plat à base de feuilles de vigne

Rumkalé, ce n’est pas le port de plaisance où dorment les bruits des drisses et les yachts de prestige ; c’est un lac sur le fleuve Euphrate, où se dresse une forteresse anguleuse qui porte à son sommet un château, les villages de Halfeti et Savasan dressés sont à moitié engouffrés suite à la construction du barrage ; ici c’est l’histoire dans sa grandeur et sa puissance qui nous reçoit.

Les habitants des environs viennent pour une sortie en bateau, ils s’y restaurent, chantent et partent avec les inévitables selfies. De vieux bateaux amarrés, paressent sur la rive, nous en empruntons un pour une balade, du milieu du lac, on aperçoit des restaurants qui longent le fleuve ; une école, des maisons englouties, une église dans la roche, à peine visible où Saint Jean et ses disciples se sont réfugiés, une mosquée submergée, le minaret sur l’eau, on admire ses restes au-dessous des eaux calmes. Sur l’autre rive, des marchands vendent des produits de la région, des foulards, des tissus et des colifichets d’artisanat local. Dans les environs pousse une curieuse et rare rose noire, dont les habitants tirent une crème de soin et du savon de la même couleur. Une photo souvenir et retour à notre point d’ancrage.

La Gitane en vedette

Le lendemain matin à l’Orkidé, un restaurant spécialisé pour les petits déjeuners, on y sert du chaud, du froid, des baklavas préparés in situ, des pâtisseries européennes, des mets à n’en plus finir. Nous y avons découvert parmi une trentaine de plats un gâteau de cérémonie portant le nom de Katmer. A base de pain feuilleté, farci de pistaches, il est servi le lendemain de la nuit de noces aux convives et aux parents de la mariée. Un délice ! Parmi les 30 variétés de desserts que compte la gastronomie de Gaziantep, nous en avons goûté près d’une dizaine ce matin. Un dessert nous a comblés, composé de pelures de raisins verts malaxés avec de la pâte de noix, une texture, un mélange de goûts à tomber par terre. La pistache est le produit emblématique de la région, Gaziantep est l’épicentre de la pâtisserie à base de pistaches sur lequel tous les qualificatifs s’agrègent. La ville se prévaut d’être le centre mondial de la Baklava, son riche patrimoine gastronomique l’a intégrée dans le Réseau des villes créatives de l’Unesco.

Cap sur le musée du Hammam ; une reproduction en images et en mannequins du bain maure, des pièces de sudation, de relaxation, les ustensiles de bain, une demi-heure et le tour est joué. Vint le tour du fameux Musée archéologique de Zeugma (un passage obligé), ouvert en 2011, son architecture moderne laisse place à la lumière et aux endroits de repos (cafés, boutiques). Le musée abrite la plus grande collection de mosaïques au monde (eh oui, coiffant notre musée du Bardo). Ces mosaïques ont été découvertes en 1995, à l’occasion de fouilles archéologiques précédant la construction du barrage, sous l’eau reposaient de grandes maisons romaines décorées de peintures murales et des planches de mosaïques.

La mosaïque la plus connue du musée Zeugma, la Gypsy Girl, appelée la Joconde de Turquie

Notre jeune guide, enseignant à la Fac, nous conduit devant la mosaïque la Gypsy Girl, baptisée la Joconde de Turquie, à sa découverte, les chercheurs n’ont pas trouvé sa trace dans l’histoire, une déesse, une fille de Dieu, un personnage mythologique ? Comme elle a les yeux noirs, portant un bonnet sur des cheveux noirs tressés, l’un des chercheurs l’a assimilée à une gitane, il l’a baptisée Gypsy. Depuis, sa figure orne désormais tous les lieux publics de Gaziantep, de l’aéroport aux principaux bâtiments.

Au restaurant Yesmak, la carte abonde de variétés de brochettes (on mange beaucoup de viande en Turquie), des plats à base d’aubergines (qui se déclinent en plusieurs recettes), à table, nous avons découvert une boisson curieuse, un jus acide de carottes noires.

… des épices, des odeurs, des douceurs

Le bazar. Il n’est pas de ville en Turquie qui n’en possède pas, celui d’Istanbul est forcément le plus réputé. Neuvième ville en nombre d’habitants, Gaziantep abrite les célèbres souks à dédales multiples, le Bedesten datant du début du dix-huitième siècle, du nom de son fondateur Husayn Pacha Bedesten, il abrite des espaces couverts alloués aux marchands pour stocker, garder et vendre leurs produits. Le cœur de la ville bat dans et autour du bazar, souk du cuivre et d’argent, de fruits secs, de tissus, d’or. Des produits, en veux-tu en voilà, une abondance de marchandises à faire tourner la tête, des montagnes d’épices vantées par des marchands affables et malicieux, un souk de fruits secs où trône la reine des variétés de pistache. Et qui dit pistaches dit gâteaux, la Baklava aux pistaches, reine du bazar, est partout. Le bazar est une ruche en mouvement permanent. On s’offre une halte dans Tahmis Kahvesi (traduisez), le plus ancien café datant du XVIIe siècle,

Le vaste parc de Gaziantep abrite les stands de gastronomie et d’articles d’artisanat spécialement montés pour l’événement auquel nous sommes conviés : GastroAntep Culture Road Festival. C’est jour de fête, la ville s’amuse, accueillant en cortège des familles, des troupes musicales et ses costumes, des scènes, de la musique qui fait vibrer de joie les jeunes en quête d’émotions. Les enfants sautillent d’un stand à un autre, goûtant crèmes et autres douceurs mises en vente, animation bon enfant, street-food et liesse générale. Beaucoup de pays participent à la foire ; sur les stands, on découvre les produits d’artisanat, des tableaux, de la dentelle, etc.

La veille de notre départ, on nous a invités dans un restaurant chic au pied de la citadelle, un ancien caravansérail et lieu de dépôt, de vente de la soie converti en hôtel de peu de chambres et en restaurant. Très «people», une clientèle classe, un comportement correct, un jeune service affairé, tous les alcools y sont servis et l’ambiance y est festive.

Parmi les mets de ce dîner somptueux, on a été franchement épaté par une entrée au nom évocateur Fistik Felizi : une salade simple, composée de jeunes pousses du bout des branches de pistachiers (ça fait rêver), une larme d’huile d’olives vierge, un filet de citron de la région et quelques olives noires. Le résultat ? Dès la première bouchée, le croquant de la plante s’impose, un goût franc de pistache fraîche. Cette simplicité exprime la nature et définit la région, ça vous pose un climat, une atmosphère (de Gaziantep). Si rare ce goût, si inspirant qu’on s’en souvient encore.

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