Né le 4 octobre 1943 à Bizerte, Larbi Zouaoui a signé sa première licence cadets en 1958. Son baptême du feu, il l’a fait en 1960 au cours de l’affiche CA Bizertin-Stade Tunisien (1-4), alors qu’il a disputé en 1967 son dernier match (barrages contre le CSHL). Sa carrière d’entraîneur l’a vu, tour à tour, prendre en main le CAB, le SAMB, l’équipe nationale juniors, le SN, l’OB, le SRS, Al Wadiaâ Abha (AS), Al Chabab (Bahreïn), la sélection du Bahreïn, et l’EST et le CAB en qualité de DT des jeunes. L’ex-directeur technique national, inspecteur principal de sport, a été Commissaire régional au sport à Béja.
Dès que l’on cite le nom Zouaoui, il y a comme un petit parfum de Bizerte. Que représente pour vous la cité d’Al Jalaâ (de l’Evacuation) ?
Un point de repère «universel», le seuil qui permet de retrouver ses racines parmi des milliers de rencontres. Celui qui n’a pas d’appartenance n’a pas d’identité.
Et la famille ?
Je ne vois pas comment je pourrais vivre sans ce «périmètre de sécurité» où je trouve l’équilibre et la paix. Elle me donne toujours davantage de ressources et d’énergie. J’ai vécu dans une famille issue de la classe moyenne avec un père, vendeur de poissons. Ma mère est décédée dans les Lieux Saints en 2003. Avec Zineb Klouz, femme au foyer, nous avons fondé en 1975 un foyer qui comprend deux garçons et une fille : Moez, Tahar et Wafa.
Dans les années 1960-1970, vous étiez deux frères à avoir évolué ensemble au Club Athlétique Bizertin. De savoureux souvenirs, non ?
Tout à fait. Youssef était avant-centre, et moi ailier gauche. Bien entendu, on s’entendait comme deux larrons en foire. J’ai évolué cinq saisons au CAB, dont trois avec Youssef avant de mettre fin à ma carrière à seulement 22 ans pour aller en Allemagne de l’Est poursuivre mes études de sport à la faculté DHFK de Leipzig. Je marquais en partant de mon aile. J’étais rapide, rugueux et combatif, et cela rendait mon marquage difficile. Après la Bataille de l’Evacuation, on est remonté en première division.
Que ce soit en tant que joueur ou entraîneur, vous n’avez remporté aucun titre. N’éprouvez-vous pas une petite frustration ?
Pas vraiment car j’ai compensé cela par de grosses performances qui valent des titres. Former une équipe et accéder avec elle reste tout autant valorisant. Déjà, à 27 ans, j’entraînais l’équipe première du CAB. Ensuite, j’ai assuré l’accession du Stade Africain de Menzel Bourguiba en L1. J’ai d’ailleurs vécu mes meilleures années dans le club maritime. En prenant en main ce club voisin, les gens s’étaient sur le coup dit : «Larbi perd la raison, il passe de la L1 à la L3».
Eh bien, de la 3e division, nous allions franchir les marches de la gloire une à une. On me confia par la suite la sélection nationale juniors qui préparait la première Coupe du monde en 1977. L’honneur de son organisation échut à la Tunisie. C’était la génération des Ben Yahia, Hergal, Belhoula, Ben Fattoum, Chargui, Naïli, Zarga, Dakhli, Lakhal, Zarrouk… Nous avions entamé la préparation en novembre 1976, c’est-à-dire un peu tard.
La Tunisie n’a pas brillé dans ce Mondial. Pourquoi ?
Depuis, j’ai appris à avoir toujours un plan B. En huit mois de préparation, j’ai axé le travail sur notre avant-centre Habib Soudani, le frère de Hafedh (SRS). C’était un avant-centre athlétique et qui possédait une bonne détente. Avec lui, nous avons privilégié le deuxième ballon. Cela marchait bien. On a fait des stages en Bulgarie, au Koweit, en Arabie Saoudite, en Iran… Comme le veulent les règlements, quelques jours avant le coup d’envoi de ce Mondial, je devais arrêter la liste définitive des convoqués. Etonné, mon adjoint Moncef Melliti m’a apostrophé : «Que fait Hadfedh Soudani dans notre liste ?». Je ne l’avais pourtant guère convoqué. Nous avions suffisamment de milieux de terrain. Nous avons saisi la Fifa. Sepp Blatter, qui était alors secrétaire général, nous répondit : «Nous, votre Habib Soudani, nous ne le connaissons pas; vous nous aviez envoyé le nom de Hafedh Soudani, vous ne pouvez plus changer cette liste.
Et c’est comme cela qu’à notre corps défendant, nous avons été contraints d’aligner un milieu offensif au poste d’avant-centre. Je n’avais pas de plan B. C’est la première fois que je révèle cette affaire de grave erreur administrative commise par notre fédération : un H.Soudani peut en cacher un autre. Je prépare Habib Soudani pour le Mondial, et voilà que je me retrouve avec Hafedh Soudani sur les bras !
C’est le fameux laxisme dont est friand notre football. Le 27 juin 1977, vous avez d’entrée subi une sévère correction (6-0) face au Mexique, le futur vainqueur de l’épreuve (11 penalties à 10 en finale face à l’ancienne Union Soviétique).
Oui, c’était la débandade, un choc terrible. Contre les Mexicains, nous terminons la première période à égalité (0-0). Ensuite, nous prenons quatre buts en dix minutes au début de la seconde période. La suite sera pourtant honorable : on perd face à la France (1-0), avant de conclure par une victoire (1-0,but de Ben Fattoum) devant l’Espagne.
Vous avez disputé une finale et été à deux doigts de dompter enfin un trophée lorsque vous avez assuré l’intérim à l’EST….
Contre l’Espérance de Zarzis, nous avons malheureusement perdu (2-0) la finale de Coupe de Tunisie 2005. Nous restions sur 16 matches de championnat sans défaite. Le lendemain de cette amère désillusion, j’étais au Parc pour reprendre mon boulot de directeur technique. Personne ne m’a insulté ou fait de remarque désobligeante. Je suis d’ailleurs reconnaissant à l’EST où j’ai travaillé avec des gens très corrects. En dehors, il y a toujours le fameux impact incontrôlable des résultats.
Quel est à votre avis le meilleur joueur tunisien de tous les temps?
Noureddine Diwa. Lors du premier match que j’ai disputé contre lui, j’ai passé mon match à l’admirer ! Il y a aussi Farzit, Ben Nacef, Chaibi, Tarek….
Et le meilleur entraîneur ?
Guy Roux et Arsène Wenger pour les qualités de longévité et de travail sur la durée.
Votre meilleur souvenir ?
Le sauvetage miraculeux du CAB en 1993. Mais aussi le défi sur deux ans 2008-2010 pour mettre en place une équipe jeune au CAB. Je suis toujours redevable à ces jeunes qui m’ont redonné goût au travail sur fond d’un projet mis en place, les Ben Mustapha, Baratli, Mbarki, Jaziri… La première année, j’ai lancé dans le grand bain douze joueurs âgés de 17 à 21 ans.
Et votre plus mauvais souvenir ?
Le titre de champion perdu en 1992 face au CA, et la relégation avec le SAMB face au ST dans des conditions particulières car l’arbitre Ali Dridi a eu des décisions le moins que je puisse dire extravagantes.
Etes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
Je ne veux pas croire que la révolution puisse produire un interminable fâcheux effet-boomerang. Je fais appel aux gens sages pour qu’il n’y ait pas recul des libertés alors que nous avons longtemps lutté pour les conquérir. Il y a d’innombrables menaces qui pèsent sur notre pays. Il nous faut une bonne communication pour retrouver la paix sociale.
Comment voyez-vous l’évolution de notre football ?
Il y a de petites choses qui freinent son évolution. Le foot doit rester un jeu où il y a la victoire et la défaite. il faut chercher à plaire, avoir l’efficacité et l’envie de réussir afin de former un citoyen équilibré. Le foot n’a jamais été une affaire de vie ou de mort.
Au niveau des jeunes pour terminer, la question de l’aménagement du temps scolaire reste une préoccupation majeure qui se pose depuis plus d’un demi-siècle. Quel est votre point de vue ?
Il s’agit d’augmenter le volume du travail chez les jeunes. Moyennant un arrangement avec la direction régionale de Bizerte, j’ai pu régler ce problème en «abusant», si l’on peut dire, de mon statut d’inspecteur pour rassembler dans des classes les jeunes footballeurs. Des cours de rattrapage sont toujours possibles. A l’Espérance de Tunis, nous avons pensé mettre en place une cellule d’accompagnement pour préparer le joueur et lui éviter les expériences désagréables. Il faut travailler par cycles de quatre ans : un groupe pour la formation, et un autre pour la préformation. Nous avons insisté sur la valeur technique et le mouvement. Il faut compléter la formation du jeune et éviter de cueillir le fruit avant qu’il ne mûrisse. Lancer quelqu’un dans le grand bain constitue un art difficile qui n’est pas à la portée du premier venu.