Son troisième long métrage «Les Ordinaires » (Wra Jbel), une fable fantastique d’un homme qui prend des risques supranaturels pour fuir un système verrouillé et sans horizons aspirant à vivre dans un monde hors des normes, était en compétition officielle à la 38e édition du Festival international du film francophone de Namur après sa première mondiale dans la section Orrizonti à la Mostra de Venise 2023.
Après son premier film «Nhebek Hédi» (récompensé d’un prix d’interprétation masculine à la Berlinale 2016) qui évoquait les aspirations d’une jeunesse post-révolution, et «Weldi», une chronique familiale qui évoque le départ d’un jeune homme pour la Syrie, «Les Ordinaires» (Wra Jbel) propose, à travers l’histoire d’un homme qui s’échappe de prison après y avoir passé 4 ans, et ce, pour avoir saccagé les bureaux du centre d’appel où il travaille comme opérateur. Il kidnappe son fils de 6 ans et l’embarque dans une quête qui bouleversera son existence.
Mohamed Ben Attia arpente des territoires peu abordés dans le cinéma tunisien en faisant vivre ses personnages masculins, en l’occurrence des expériences uniques et redoutables. Rafik (Majd Mastoura), le personnage principal de «Les Ordinaires», affligé par ses proches qui le désespèrent, s’échappe du labyrinthe familial pour affronter de nouvelles épreuves. Un constat amer qui pousse, donc, Rafik à traverser le pays au-delà des montagnes pour montrer à son fils sa découverte. On est entraîné dans un récit buissonnier où le père et le fils mènent une aventure fantastique.
Sur le mythe d’Icare
S’inspirant du mythe d’Icare, le cinéaste fait un virage et abandonne les sentiers battus d’un cinéma réaliste et propose une démarche que seul le pouvoir du cinéma est capable de mettre en œuvre grâce à des procédés techniques déjà utilisés depuis la création du 7e Art (« Voyage dans la lune » de George Méliès (1902), père fondateur du cinéma fantastique). Pour fuir la triste réalité, Rafik s’évade vers des espaces ouverts où il montre ses capacités à bousculer les lois du réel et à atteindre le merveilleux. Le film a-t-il réussi à convaincre en adoptant ce schéma narratif? Les notions de l’espace et du temps sont respectés ainsi que l’état initial du récit est modifié et l’entrée dans un monde inconnu est relativement esquissée. Ici l’enfant est plus apte à croire au miracle et au spectaculaire. Mais quel sens le film cherche-t-il à communiquer ? La vie hors système serait-elle meilleure, moins stressante et propice à l’imagination et à la création ?
Un final désespéré
Dans les films de Mohamed Ben Attia, les personnages n’assument pas tout à fait leur choix et retournent à la case de départ. Dans «Les Ordinaires», la fin est tragique et reste quelque peu mystérieuse. Ambitionnant de voler pour s’arracher aux vicissitudes terrestres et dans son désir de s’enfuir vers un ailleurs différent, Rafik rencontre un berger qui abandonne son troupeau de mouton pour l’accompagner dans son aventure. Malheureusement, le personnage manque de consistance et de motivation et ne sert pas à grand-chose. Il reste muet et n’exprime aucune émotion.
« Les Ordinaires », porté par un Majd Mastoura bien dans son rôle, est un film de genre qu’on aurait voulu suivre s’il y avait matière à développer davantage l’histoire décalée mais dont la mise en scène se situe entre le thriller, le drame et le fantastique. Mohamed Ben Attia adopte un regard désenchanté sur la condition humaine où l’homme, être social, est assoiffé de liberté mais ne peut jamais s’échapper de la communauté humaine et est obligé de s’y adapter.
Audacieux et sincère dans son intention, loin d’être sans défauts comme toute œuvre, «Les Ordinaires» possède cependant une qualité fondamentale qui excuse ses lacunes, celle de fonder son propos sur un mythe et de le développer de façon contemporaine. Mohamed Ben Attia est un réalisateur qui prend des risques en proposant une démarche artistique intéressante à soutenir et à encourager.