Accueil Magazine La Presse Amor El Amri, ancien milieu de terrain du Club Africain: «Même Hamadi Sfenaria aurait pu entraîner cette équipe !»

Amor El Amri, ancien milieu de terrain du Club Africain: «Même Hamadi Sfenaria aurait pu entraîner cette équipe !»

Amor El Amri appartient à la génération préfigurant l’avènement du grand Club Africain de Fabio puis de Nagy. Le secret de la réussite de ce milieu récupérateur (ou défenseur) de devoir, il le résume ainsi : «En dix ans de carrière au plus haut niveau, je n’ai jamais veillé au-delà de neuf heures du soir, jamais fumé ou bu de l’alcool, jamais raté une seule séance d’entraînement sauf lorsque j’étais malade. Je ne suis jamais arrivé en retard à une séance. C’est Fabio qui nous a inculqué les bienfaits d’une hygiène de vie aussi rigoureuse».

Né le 15 janvier 1941 à Tunis, El Amri a signé sa première licence en 1959-1960 au CA juniors. Son premier match avec les seniors a été CAB-CA (1-2) en 1960-1961, et le dernier CA-ASM (2-1) en 1969. Son palmarès comprend 2 championnats de Tunisie 1963-1964 et 1966-1967, et 4 coupes de Tunisie 1965, 1967, 1968 et 1969. En sélection, il a joué contre l’Algérie au Zouiten (0-0).

Cet adjoint technique au ministère des Travaux publics depuis 1960, sorti à la retraite en 1995, est marié depuis 1971.

Amor El Amri, racontez-nous d’abord comment

vous êtes venu au football 

Nous habitions Rue Sebkha quand se déclencha la Seconde Guerre mondiale. Nous avons émigré à Jebel Jeloud qui était toute en espaces vagues, ce dont j’ai profité pour assouvir ma passion de football. J’étudiais à Dubosville. A Ittihad Jbel Jeloud, il y avait deux catégories seulement : les juniors et les seniors. La licence que j’ai signée avec ce club a été invalidée parce que j’étais encore cadet alors que l’ASI ne comptait pas une équipe dans cette catégorie d’âge. Puis, une fois la «Sixième» décrochée, retour avec ma famille à Tunis, Rue Sidi Abdeljelil, à Bab El Falla. J’avais de la famille à Saida Manoubia. J’allais jusqu’à ce quartier et à la Sabkha pour disputer les parties de quartier. Des amis clubistes m’ont conseillé d’aller effectuer un test au CA. Fabio m’admit. J’ai commencé au sein de l’équipe juniors. Le délégué de l’équipe était Azouz Denguir.

Vos parents vous ont-ils encouragé ?

De nationalité algérienne, mon père Tijani, cordonnier de son état, était décédé alors que je n’avais que trois ans. Ma mère Zbeida allait se remarier et partir avec ma sœur s’installer à La Goulette. C’est mon grand-père Baccar qui m’éleva. Il me disait : «Joue autant que tu le veux, à condition de réussir dans tes études». J’ai arrêté mes études un an avant le bac. Je fréquentais le Lycée Emile Loubet (l’actuel Lycée technique).

Quel métier auriez-vous aimé pratiquer ?

Architecte. J’ai fait une demande pour partir en Belgique poursuivre mes études, mais nous n’avions pas les moyens pour de telles dépenses.

A quel poste avez-vous évolué ?

J’étais un demi de récupération, aux côtés de Hassen Toumi, et surtout d’Ahmed Bouajila. Dans le 4-2-4 de l’époque, nous supportions tous deux tout le poids de la couverture devant la défense. Je n’avais pas une grande technique, mais je pouvais jouer trois heures sans arrêt. Des poumons d’acier. La récupération était à la base de cette santé de fer. Tout de suite après chaque match, j’allais dormir.

Que vous a apporté le sport ?

La santé et l’amour des gens. Ceux qui disent qu’ils n’ont rien gagné sont ingrats. 

Peut-être pensent-ils au côté pécuniaire ?

Alors là, ils ont raison. Savez-vous combien était la prime du doublé 1966-1967 ? Un montant de 40 dinars que m’a apporté Mahmoud Baladia jusqu’à chez moi, Rue Lénine.

En fait, je n’ai commencé à gagner de l’argent qu’en suivant une carrière d’entraîneur.

Quel souvenir vous laisse cette carrière longue

de trois décennies ?

C’est le règne du paradoxe, des situations les plus contradictoires. On privilégie le technicien étranger. Il a carte blanche. Le Tunisien, lui, est constamment mis sous examen, embêté. 

Cela vous est-il arrivé ?

L’année d’avant le quadruplé historique, les dirigeants de mon club me confient les destinées de l’équipe en remplacement de Faouzi Benzarti, deux journées avant la fin de la phase aller. L’entraîneur Benzarti et son adjoint Kamel Chebli se retirent sans crier gare. Ferid Abbès m’engage pour assurer l’intérim. Sur fond de règlement de comptes entre courants autour du bureau directeur, Lotfi Rouissi et Kais Yaâkoubi, le capitaine et le vice-capitaine disent vouloir s’entraîner tout seuls. Sept joueurs boycottent les entraînements : Lotfi et Faouzi Rouissi, Nasri, Mhaissi, Saidi, Tayech qui ne reviendra plus… Deux clans se forment: l’un favorable à Abbès, l’autre à Benzarti. 

Vous rappelez-vous de votre première sortie comme entraîneur ?

Contre le CSHL. Hmid Dhib, qui entraînait les Boukorninois, a dit : «Voilà l’occasion rêvée pour leur refiler quatre buts». Malgré les défaillances de plus de moitié de l’équipe, nous l’emportons (1-0, but de Sami Touati de la tête). Vint ensuite la trêve en raison de la Guerre du Golfe. Tous les réfractaires reviennent un à un sauf Lotfi Rouissi et Kais Yaâkoubi. Bref, j’ai pris le club à la 7e place, nous sommes restés 17 matches sans défaite. On a terminé 2e derrière l’Espérance que nous avions battue (3-0) alors qu’elle préparait son tour d’honneur à El Menzah. Elle a dû le reporter. En coupe d’Afrique des clubs champions, on a fait aussi la moitié du chemin menant au titre de 1991.

Puis vint Ilie Balaci…

D’abord, l’été, le président Cherif Bellamine me contacta en France pour me demander quand j’allais débuter la préparation de la nouvelle saison. Mais au fond, il cherchait un autre entraîneur. Lorsque je revins, Balaci était déjà engagé. Personne ne le connaissait, il n’avait aucune expérience du métier. Bellamine me demanda de travailler avec lui. Au départ, j’ai accepté.

Avant de me retirer en voyant que le bonhomme n’avait rien préparé, même pas le programme de sa première séance d’entraînement. Il ne sait pas entraîner un groupe et s’amène avec une moitié de feuille, sans plus. Aucun projet sur la durée de la saison. Voilà ce qu’est de rester près de 20 matches invaincu (coupe d’Afrique comprise). Les dirigeants vont chercher ailleurs le premier venu. Pourvu qu’il soit étranger. Balaci, qui allait être limogé après une défaite à Zarzis, a bénéficié de beaucoup de chance cette saison- là. Il jouait aux cartes avec les joueurs, n’hésitant jamais à leur allumer les cigarettes! Même Hamadi Sfenaria, notre garde-matériel, aurait pu entraîner cette équipe-là. J’ai préféré sur le coup partir au COT. Mais que voulez-vous, nous avons le complexe de l’entraîneur étranger. Et puis, chaque président place son propre entraîneur.

Vous alliez néanmoins revenir plus tard

avec les seniors, non ?

Oui, en 1996-1997. J’étais alors directeur technique, j’ai été chargé de relever le Français Jean Sérafin. J’ai fait deux ou trois matches avant que Faouzi Benzarti n’arrive.

 

Votre génération a été fortement marquée par l’Italien Fabio Roccheggiani. Peut-on parler des «Fabio babes» comme d’autres, en Angleterre par exemple parleraient  des «Busby babes» pour évoquer les joueurs formés à Manchester United par ce technicien mythique ?

Oui, le Club Africain lui doit cette renaissance. La grande équipe des Attouga, Chaïbi, Jedidi, Abderrahmane, Chaouâa… a été patiemment bâtie par ce perfectionniste dévoué à la tâche. Toute sa journée, il la passait au Parc A à entraîner toutes les catégories, des cadets jusqu’aux seniors. Peintre à ses heures perdues, l’argent était pour lui quelque chose de tout à fait secondaire. Sa femme travaillait à l’ambassade de France. Quand j’ai débarqué dans l’effectif seniors, il commençait déjà à rajeunir l’effectif. Pour les Hamoudia, Meskaoui, Ben Amor…, c’était le début du crépuscule.

C’est surtout la coupe de Tunisie qui allait construire la légende de Fabio. Est-ce un hasard ?

Non, nous étions très complémentaires et solidaires. Nous avions une défense de fer. Fabio nous disait toujours: «La coupe est une Dame, pour la séduire, il faut des Hommes». J’ai commencé par perdre la finale 1963 avec Zarga dans les bois face à l’Etoile du Sahel. Jusqu’au dernier moment, il était incertain à cause d’une blessure à la main. Ensuite, j’ai remporté deux coupes. J’ai été aussi remplaçant dans la finale 1968 remportée aux prolongations contre le SRS. Contrairement à ce que racontent certains, dans cette finale, l’arbitre Haj Hedi Zarrouk a été honnête de bout en bout. J’étais derrière les buts. Malgré un mauvais éclairage, ses décisions étaient correctes.

Puis arrive André Nagy pour porter le CA encore plus haut ?

C’était quelqu’un d’intègre, un précurseur. Ses idées étaient avant-gardistes. Le football total, tout en mouvement où tout le monde attaque et tout le monde défend, c’était  lui. On appelait cela «le tourbillon». Il était contre le vedettariat. La seule vedette dans l’équipe, c’était lui.

De qui se composait votre équipe ?

A la fin des années 1960, on trouvait dans notre team Sadok Sassi Attouga, Mohamed Salah Jedidi, Toumi, Amor Amri, Ahmed Bouajila, Taoufik Klibi, Larbi Touati, Salah Chaâoua, Tahar Chaïbi, Bechir Kekli Gattous et Youssef El Khal. 

Quels clubs avez-vous entraînés ?

J’ai été formé en Allemagne dans un stage avec la vedette de Moenchengladbach, Gunter Netzer. Il y avait également mon ancien coéquipier Mohamed Salah Jedidi, et le futur entraîneur du CA, Jamel Bouabsa. 

Entre 1970 et 1999, j’ai veillé aux destinées techniques des jeunes du CA, du CA seniors à deux reprises: 1990-1991 et 1996-1997, de la JS Manouba, du CO Transports, du CS Cheminots, de Mégrine, d’Al Achoôla et  Al Hazm d’Arabie Saoudite, de Rogba, d’EM Mahdia et du Stade Gabésien. J’ai par ailleurs  été  directeur technique du CA.

Suivez-vous toujours les production du CA  ?

Je ne supporte pas de regarder à la télé un match entier de mon club, je zappe entretemps. 

Quel sont à votre avis les meilleurs footballeurs tunisiens de tous les temps ?

Noureddine Diwa, Tahar Chaïbi, Moncef El Gaied…

Et au CA ?

Chaïbi, puis Larbi Touati et Mohamed Salah Jedidi.

Comment passez-vous votre temps libre ?

Je suis un type casanier. Lorsque je jouais encore, je préférais rester à la maison. Je fais mes prières. Avant, de toute notre équipe, seul Abderrahmane faisait ses prières. J’aime écouter Oum Kalthoum, j’ai plusieurs enregistrements de ses chansons. Je regarde aussi le sport à la télé.

L’avenir de la Tunisie, comment le voyez-vous ? 

Je ne suis pas inquiet. Le Tunisien a bon cœur, il est pacifique, intelligent et déteste les excès. Il reste capable de tous les miracles.

Enfin, quelle est votre devise dans la vie ?

La franchise et la paix. Je déteste l’hypocrisie.

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