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ESQUISSE | Si Lahbib, l’homme aux tiroirs

 

C’est un personnage à tiroirs. Ceux qu’il porte en lui-même et ceux qui l’entourent. Voyez plutôt : il s’appelle Hassen et on l’appelle Habib ; natif de Mahdia, il aura effectué l’essentiel de son parcours dans la banlieue-nord de la capitale ; titulaire d’un brevet en électricité, il a obtenu en 1966 le Premier prix du président de la République en hydrologie et en aménagement du Territoire. Emigré en Italie en 1969, il en apprendra la langue en un temps record et s’engagera dans le domaine de la restauration dont il maîtrisera tout le circuit. Au bout de trois ans, il rentre au bercail pour s’engager dans une vaste campagne d’assainissement et d’aménagement du bassin de la Merjerdah mené par l’Office de mise en valeur de la vallée de la Mejerdah (Omvvm) avant de retourner à sa chère électricité dont il installera durant des décennies divers circuits dans des résidences ou locaux diplomatiques, nombreux en banlieue-nord. Pour finir au bout du compte comme quincailler dans ce quartier de Salammbô, jadis appelé Stanville et auquel nous nous sommes arrêtés, la semaine dernière. A l’origine de cette énième reconversion, un projet avorté de commerce de matériel électrique et le flair du promoteur qui a détecté la bonne niche dans le filon quincaillerie. La minuscule quincaillerie de Hassen Zaouali, puisque c’est de lui qu’il s’agit, se présente sous forme d’un labyrinthe dans les dédales duquel une seule personne peut circuler entre de véritables murs de tiroirs, du sol au plafond ! Et, pour modeste que soit son apparence, ce commerce est connu de tous par le truchement du bouche-à-oreille comme étant l’endroit où l’on peut trouver l’introuvable, le «lait de l’ogresse» (h’lîb el-ghoula), comme on dit ! Les pièces devenues rares de l’équipement électro-ménager depuis longtemps sorti du circuit commercial.

Passer un moment en compagnie de Si Lahbib c’est, en quelque sorte, assister à une invraisemblable rétrospective des usages ménagers révolus. Et il a toujours une réponse à chaque requête. Du seuil de sa boutique où il aime souvent s’installer, il lui suffit souvent de tendre le bras pour extraire l’article voulu, sinon il s’engage dans les sinuosités de son labyrinthe pour se diriger droit vers le tiroir voulu. Mais il lui arrive des fois de ne pouvoir satisfaire la demande, alors il indique l’adresse précise et/ou le numéro de téléphone du fournisseur de substitution.

Affable, souriant, bienveillant, Si Lahbib est une compagnie recherchée par les familiers. Ils viennent rechercher auprès de lui des moments précieux au cours desquels il leur raconte les temps passés de ce quartier anciennement habité par de petits Européens. Et lorsqu’il est seul, il plonge dans la lecture du Livre saint, sur fond de chants d’oiseaux qui s’échappent des trois ou quatre cages accrochées au-dessus de sa tête.

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