Alors qu’elle reste peu évoquée dans les livres d’histoire, la civilisation numide a marqué de sa présence plusieurs provinces et cités en Afrique du Nord pendant la période de l’Antiquité en exerçant une riche influence sur ces dernières, comme en atteste la richesse de notre patrimoine archéologique.
Si les tribus numides autochtones se démarquaient de la civilisation carthaginoise en ayant leurs propres traditions, coutumes et religion, le brassage des cultures punique, numide et romaine a permis à des cités à l’instar de Dougga, Bulla Regia, Makthar, Kesra…. de connaître leur apogée sur le plan économique, culturel et social pendant la période allant du IVe jusqu’au IIe siècle av J.C. En voici quelques exemples.
Tukka, Thugga, Dougga
La ville actuelle de Dougga était, au IIe siècle av. J.C, la principale capitale du royaume numide gouverné par le chef de guerre numide Massinissa. Située dans une zone extrêmement fertile, Tukka — appellation punique de Dougga — qui figurait parmi les villes favorites du roi numide devint rapidement prospère sous son règne grâce aux ressources naturelles dont elle était dotée. L’agriculture est la principale activité de la cité numide. Les inscriptions qui ont été découvertes révèlent qu’entre le IVe et le IIe siècle av. J.C, les civilisations numide et ensuite romaine ont développé diverses techniques culturales. La région de Dougga était non seulement réputée par sa riche production céréalière mais également par la très bonne qualité de son huile d’olive acheminée vers Rome dans des amphores. Non seulement les communautés autochtones numides maîtrisaient les techniques culturales mais étaient réputées, par ailleurs, pour leur rigoureuse gestion et distribution des ressources hydriques comme en témoignent les vestiges des gigantesques ouvrages d’eau construits dans cette cité. L’un des plus connus et des mieux conservés est l’acqueduc long de 11 km qui alimentait la cité de Dougga à partir des eaux de la source de Ain Hammam située à l’ouest, à proximité du temple Junon Caelestis. Mais la cité de Dougga est surtout réputée pour la diversité et la richesse architecturale de ses monuments historiques et archéologiques qui portent l’empreinte de la coexistence des cultures greco-romaine et lybico-punique. Outre, la nécropole dolménique et la muraille d’origine numide, situées au Nord-Ouest du site archéologique, les deux principaux monuments de la cité, qui témoignent de la présence de la civilisation numide et dont les vestiges sont très bien conservés, sont le mausolée libyco-punique d’Altban situé à la lisière sud du site archéologique de Dougga qui est un édifice d’une hauteur de 21 mètres construit sur trois étages et reposant sur un piédestal de cinq marches, dédié, selon une inscription lybique, au roi numide Massinissa, ainsi que le temple Baal Hammon, un lieu de culte numide dans lequel étaient effectués des sacrifices et découvert sur l’emplacement du sanctuaire romain Saturne. Cette richesse et cette diversité des vestiges parmi les mieux conservés en Afrique du Nord ont valu au site archéologique de Dougga d’être classé en 1997 sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco.
Chusira, Kesra
Située à flanc de colline, à 1100m d’altitude dans la partie supérieure du gouvernorat de Siliana, le village de Kesra garde également des traces de sa riche histoire numide. Elle s’appelait Chusira à l’époque punique antique avant que son nom change plusieurs fois au gré des périodes historiques de la Tunisie. Faisant partie des cinquante cités numides relevant de Thusca, l’une des provinces les plus urbanisées du royaume du chef de guerre numide Massinissa, la cité de Chusira était non seulement réputée pour ses sources d’eau naturelles jaillissant en cascade mais servait, par ailleurs, d’espace de chasse et de capture des fauves qui servaient pour les combats qui se déroulaient dans les arènes des amphithéâtres romains. Certaines inscriptions puniques sont encore présentes sur les maisons en pierre du village. La cité avait une vocation religieuse et des cérémonies étaient organisées dans les sanctuaires et les lieux de culte dédiés à la divinité phénico-punique Baal Hammon. Hormis quelques inscriptions puniques qui fournissent des informations sur la présence de la civilisation lybico-punique dans la cité, il reste très peu de vestiges et de pièces archéologiques en raison des pillages qui ont eu lieu dans le village.
Mactaris, Maktar, Makthar
Culminant à 900 mètres d’altitude à 160km de Carthage, l’actuelle ville de Makthar était une importante cité numide qui s’appelait Mactaris. Avant de devenir une colonie romaine en 176 ap. J.C, la cité de Makhtar, dont l’existence date du Ve siècle av. J.C et qui résista pendant très longtemps aux velléités coloniales romaines, avait noué très tôt de très bonne relations avec Carthage sous le règne du numide Massinissa ce qui contribua considérablement à son essor économique, social et culturel. Accueillant un grand nombre de réfugiés carthaginois après une énième bataille qui a opposé les romains à ces derniers, Makthar la numide s’enrichit du brassage des cultures numide et punique. De par sa position stratégique au centre du grand massif montagneux que forme le Haut Tell tunisien, la cité de Makthar devient comme le montre, entre autres, la présence d’une enceinte fortifiée, un centre militaire numide qui joue un rôle important dans le contrôle des voies qui relient les cités environnantes. L’influence de la civilisation numide dans cette cité a été également prouvée par la présence non seulement d’inscriptions et d’épigraphies en langue néo-punique et lybique mais également par la découverte d’un important tophet signalant l’existence d’un sanctuaire dédié à la divinité Hathor Miskar. Makthar est l’une des rares cités qui aura pu résister pendant très longtemps à la romanisation de l’Afrique du Nord avant de devenir à son tour une colonie romaine sous le règne de l’empereur Marc Aurèle.
La table de Jugurtha
C’est un des sites qui représente un des témoignages les plus importants de l’histoire numide de la Tunisie et un des derniers bastions de la résistance numide contre la colonisation romaine. Située au Nord-Ouest de la Tunisie, la table de Jugurtha a, en effet, occupé une place centrale dans un des épisodes de l’histoire qui a opposé les numides aux romains vers l’an 106 av. J.C. Après une une âpre bataille menée contre le consul romain Marius, grand stratège de guerre, le chef de guerre numide et petit-fils de Massinissa, Jugurtha, a battu en retraite et s’est retranché sur ce plateau rocheux à la forme très particulière qui surplombe les plaines qui l’entourent et qui lui a servi de refuge pour lui et ses troupes. Les vestiges trouvés, à l’instar des stèles d’origine lybique ainsi que autres pièces archéologiques qui gardent les traces des pratiques religieuses et sociales de la civilisation numide ainsi que des autres civilisations qui se sont succédé, ont permis à ce site d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco. La romanisation de l’ensemble de ces cités, qui ont été annexées à l’empire romain malgré leur volonté farouche de préserver coûte que coûte leur indépendance, n’a pas réussi à effacer les traces de la présence et de l’influence de la civilisation numide en Tunisie et en Afrique du Nord restées gravées à jamais dans les nombreux vestiges qui sont aujourd’hui précieusement conservés.