Accueil A la une «Narcisse perverti. Essai sur la manipulation narcissique», essai de Mélanie Gaudry : Attention ! Il avance toujours masqué…

«Narcisse perverti. Essai sur la manipulation narcissique», essai de Mélanie Gaudry : Attention ! Il avance toujours masqué…

 

Rien dans ce bel ouvrage intitulé «Narcisse perverti. Essai sur la manipulation perverse narcissique» ne montre pourquoi son autrice, la bien étonnante et prodige Mélanie Gaudry, plutôt connue en France comme romancière et chroniqueuse littéraire, a mis deux ans entiers de sa vie à conduire de longues investigations auprès des psychologues et psychanalystes ainsi qu’auprès de certaines associations de femmes afin de s’informer en détail de la personnalité insolite et très complexe de ce malade fort redoutable et nuisible que les spécialistes en la matière appellent le «Pervers narcissique» (PN) ou le «Manipulateur pervers narcissique» (MPN).

La passion particulière ayant motivé son étude très poussée, très riche et approfondie, de nature à éclairer même les analystes qui prendront en charge la thérapie relative à cette pathologie psycho-mentale qu’est la «perverse narcissique mania», pourrait révéler qu’elle était elle-même victime d’un manipulateur pervers narcissique. Peut-être celui-là même à qui semble s’adresser sa première phrase dédicatoire pleine de signification : «A celui qui n’avait rien à donner…» (p. 9). En tous cas, l’entretien que cette autrice a accordé le 10 juin 2021 au journaliste Daisy Le Corre, et qui fut publié dans le magazine français en ligne «Urbania», confirme qu’avant de s’engager dans cette recherche, elle a été elle-même bel et bien la victime d’un malade de cette espèce : «C’était très complexe. J’ai vécu quatre années avec lui, entrecoupées de silences radio inexplicables, de retours imprévus, d’insécurité, d’instabilité, etc. C’était quelqu’un qui faisait illusion et qui était très populaire. Et il ne cachait pas le fait de se sentir vraiment supérieur au commun des mortels. Ce qui m’a le plus marquée, c’est la manière dont j’ai pu entrer dans son jeu, pourtant je ne suis pas quelqu’un de bête ni de naïf. Notre relation avait commencé par des messages incessants de sa part jour et nuit : il avait envahi ma vie du jour au lendemain. Il avait mis en place une période de séduction intensive avec des projets pros et persos à long terme. Après cette belle phase de séduction, tout a disparu pour laisser place à une autre personne, un tout autre visage avec des paroles désobligeantes, etc.».

Oui, c’est ainsi ! La victime se trouve sans jamais s’y attendre devant «une autre personne, un tout autre visage» avec une tendance manifeste à l’agressivité verbale et à l’humiliation programmée et systématique. Pourtant, d’après cette étude de Mélanie Gaudry, le PN ou le MPN n’est pas vraiment un bipolaire ou un schizophrène. Il ne souffre pas de dédoublement de personnalité. Mais il souffre essentiellement et depuis sa prime enfance, depuis son «stade anal (soit avant 6 ans)» (p ; 26), de vide affectif et émotionnel constituant «une faille narcissique prompte à altérer ses relations à autrui» (p. 14) en qui il cherche obstinément, non pas tellement l’amour, mais plutôt les « raisons de ses échecs relationnels» (Ibid.). Il est l’être de l’échec amoureux par excellence, l’«escroc émotionnel» (p. 49), l’usurpateur de la personnalité de ceux ou celles qui l’aiment et le vénèrent, le tueur qui avance masqué, le prédateur constamment en quête de proies pour nourrir son ego mégalomaniaque et perverti qui programme au préalable la mort psychologique de l’autre dès qu’il se met à l’impressionner, à le séduire, à l’ensorceler avec des paroles (surtout), des gestes, des histoires, des mensonges, des feintes, des rires et des larmes; bref, toute une comédie dont on ne sait toujours, quand on n’est pas connaisseur de ce phénomène psycho-relationnel, si elle est jouée consciemment ou inconsciemment, si elle se met en place de manière automatique comme un réflexe, un instinct de conservation, ou si elle est à chaque fois organisée en fonction de la personne destinée à être la prochaine victime. En vue de nous éclairer sur la démarche de ce joueur, Mélanie Gaudry précise ici que «La parole est le terrain favori du MPN. A chaque interlocuteur différent, son discours se modifiera, afin de répondre parfaitement à ce que le récepteur (la potentielle victime) souhaite entendre. Fin psychologue, il anticipe les désirs des autres. Aussi son comportement et son discours varient en fonction de son auditoire, au point de changer entièrement sa physionomie» (p. 30). Cette victime potentielle à qui le MPN adresse son discours et fait sa comédie d’expert, il la préfère, naturellement, faible ou candide et sans expérience, sortant récemment d’une autre défaite sentimentale ou en mal d’amour et donc facile à précipiter, la tête la première, dans une passion dévoreuse qui l’aveuglera et l’empêchera de voir les ficelles qu’il va tirer secrètement, diaboliquement, pour la manipuler, lui donner à rêver, la mettre sur un nuage, la conduire jusqu’au bout de son dévouement, établir sur elle sa définitive emprise psychologique et la déposséder d’elle-même, avant d’enlever soudain son masque d’amant dévoué et de montrer, dans sa splendide laideur et sa froideur cynique, son vrai visage de personne intrinsèquement malveillante se défendant, au moyen de ce comportement imprévisible et méchant, «de toute douleur et contradiction internes» (Paul-Claudel Récamier cité par l’autrice) qu’il expulse «pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant aux dépens d’autrui» (Ibid.). L’autre qu’il se met tout d’un coup à vexer, à amoindrir, à dénigrer, à désarçonner en attaquant insidieusement son «Moi» et son orgueil par la mise en œuvre de tout un arsenal d’humiliation (culpabilisation, banalisation, déstabilisation, menace, chantage, violence, silence radio, p. 58) dont en premier cette satanée technique de la «Double contrainte» ou des «Injonctions paradoxales» consistant à dire tout et son contraire et souvent «utilisée de manière lente, quasi imperceptible pour la victime ; une sorte de poison disséminé, goutte par goutte, au fil du temps» (p. 70) : «Ma chérie, ta nouvelle robe te va à ravir, tu es magnifique. Non, vraiment tu es parfaite. Au fait, tu devrais bronzer un peu, tu as une mine de déterrée» (p. 69), «Je te fréquente, mais même si tu es indigne de moi» (p. 81), «Je te désire en dépit de tes défauts physiques» (Ibid.)

Mais le vrai jackpot pour le pervers, ce qui comble son narcissisme maladif, c’est la création d’une rivale, réelle ou factice, à sa victime afin de mieux la faire souffrir, la tuer à petit feu. Les «psy» parlent ici de «triangulation» dont raffole ce «tyran psychique» (p. 71) : «Le pervers se nourrit ainsi doublement, puisqu’il fait souffrir deux personnes à la fois. Son attention reste tout de même focalisée sur la proie Alpha ; la seconde n’étant qu’une main redoutablement efficace pour précipiter sa descente aux enfers» (p.87).

L’objectif principal de ce «vampire en plein jour» (p.49) est somme toute de casser de l’intérieur sa victime, ses victimes consécutives et continues, de faire d’elles son défouloir, les responsables de «l’enfant-victime» qu’il est, de la profonde et douloureuse absence affective dont il souffre secrètement, parce qu’il n’a pas eu droit à l’amour quand il était enfant et qu’il avait besoin de se nourrir affectivement, de se construire et de grandir avec assurance et confiance en lui-même. En détruisant ses victimes, il se venge inconsciemment, à son insu, de la mère absente, du père absent, de l’amour constitutif qu’il n’a pas eu à temps. Plus il détruit ses victimes, plus il sombre dans sa paranoïa assassine. Car le MPN est «une personne atteinte d’une psychose blanche, chose qui engendre de la paranoïa et de la dépression, mais qui surtout le retient prisonnier dans son monde fait de noirceur et de manigances, rien n’est susceptible de le faire revenir à la réalité» (p. 28). Dans cet essai de Mélanie Gaudry où l’analyse de la personnalité du MPN est très subtile qui perçoit bien toutes les nuances, apparentes et occultes, on souligne partout des observations judicieuses qui éclairent beaucoup le lecteur sur ce qui constitue l’essentiel de cette personnalité perverse et toxique. En voici une qui est de grande pertinence : «Le MPN est fasciné par ce qu’il ne possède pas, mais surtout jaloux de toute cette ressource émotionnelle qu’il n’a pas. Très vite, une fois la phase lune de miel terminée, il n’aura plus qu’une obsession : réduire à néant l’intériorité de sa victime» (p. 29). Homme ou femme, ce malade typique et incurable qu’est le MPN n’opère pas que dans la sphère des relations sentimentales, conjugales ou familiales, mais aussi dans la sphère professionnelle où il peut être un patron ou une patronne, un dirigeant ou une dirigeante, un directeur ou une directrice, un chef ou une cheffe de service, un doyen ou une doyenne, un collègue ou une collègue, et où il/elle peut faire tomber dans son piège des employés subalternes dont il usurpe la personnalité et pompe, en «vampire énergétique» (p. 80), toute l’énergie en jouant sur la hiérarchie qui lui donne du pouvoir sur eux ou sur elles. Que de fonctionnaires, que d’employé(e)s et que d’ouvriers et d’ouvrières ont fini par quitter leur travail ou renoncer à leurs ambitions professionnelles pour enfin échapper à ce cruel «prédateur psychologique» (p. 110) au «narcissisme vulnérable» (p. 13) qui rôde partout, dans les rues, les familles, les clubs, les cafés et les milieux du travail et qui, au début promet monts et merveilles, pour ensuite harceler, manipuler, dévaloriser et anéantir ses innocentes proies. En très bonne connaisseuse en la matière, Narcisse Gaudry ne se limite pas dans cet essai à l’analyse et à la description du MPN, mais, remplissant avec courage un rôle de salut public, elle informe aussi ses lecteurs sur les multiples moyens de débusquer et de déstabiliser ce bourreau machiavélique et que voici résumés en 9 points essentiels : «se moquer de ses convictions et de ses goûts ; répondre tardivement à ses messages et/ou à ses appels ; pratiquer une communication entretenant le flou ; se mettre en avant physiquement et intellectuellement ; nier ses compétences (celles du PN) ; faire des allusions désobligeantes ; garder un plein contrôle de soi ; taire ses émotions ; ne jamais montrer son stress» (p. 82). En tous cas, il est bien nécessaire pour les victimes du MPN, précise l’autrice dans la conclusion de son étude, de ne jamais partir sans affronter réellement leur bourreau. Car «En fuyant sans affronter le pervers, la victime ne se libérera jamais de sa douleur et de sa culpabilité (…) les MPN prendront plaisir à se poser continuellement en victimes abandonnées et trouveront souvent là un nouveau prétexte pour continuer à harceler la proie, même après son départ» (p. 103).

Seule la lecture de cet attachant et très utile essai de Mélanie Gaudry permettra de s’informer davantage de la personnalité dangereuse de ce despote psycho-social courant les rues et dont tout prête à croire qu’il a encore de beaux jours devant lui. Un livre d’un intérêt majeur à lire absolument !

 

Mélanie Gaudry, «Narcisse perverti. Essai sur la manipulation narcissique», Paris, Lys bleu éditions, 2021, préface de Antoine Peytavin, postface de Patrick Louis Richard, 112 pages, format 15X21. ISBN-979-10-377-3098-5.

Charger plus d'articles
Charger plus par Ridha BOURKHIS
Charger plus dans A la une

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *