Le long-métrage sur la vie du père de la bombe atomique, le physicien américain Robert Oppenheimer, du cinéaste britannique Christopher Nolan a remporté, avant-hier, sur la mythique scène du théâtre Dolby, à Hollywood de Los Angeles, en Californie, lors de la 96e cérémonie des Oscars, 7 statuettes (Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur acteur pour Cillian Murphy, Meilleur acteur dans un second rôle pour Robert Downey Jr, Meilleure photographie, Meilleur montage et Meilleure musique de films) sur 13 nominations. C’est le premier Oscar remporté par Chris Nolan, Cillian Murphy et Robert Downey Jr de toute leur carrière. Gros plan sur un «blockbuster» qui crève l’écran.
«Oppenheimer» est «sans conteste le film le plus impressionnant de Christopher Nolan», écrit le Los Angeles Times. Le critique cinématographique Kenneth Turan du quotidien californien, fondé en 1881, n’a pas tort de mettre ce dernier long-métrage du cinéaste britannique sur la plus haute marche du podium des œuvres de l’auteur de « Memento», «Interstellar», «Dunkirk», «Tenet», la trilogie «The Dark Knight», etc.
Cette adaptation du livre «Robert Oppenheimer : Triomphe et tragédie d’un génie» (2005) de Kai Bird et Martin J. Sherwin est non seulement un «masterpiece» cinématographique, mais aussi une immersion dans les fins fonds d’un personnage complexe et énigmatique.
Si le jeu de Cillian Murphy (le rôle de J. Robert Oppenheimer, alias «Oppie», est taillé sur mesure pour le chef des Peaky Blinders, Thomas Shelby) est bluffant, la performance de Robert Downey Jr (Iron Man) dans la peau de Lewis Strauss est renversante.
Christopher Nolan a, certes, réalisé le film de sa vie avec un scénario parfaitement cousu, un casting cinq étoiles (Emily Blunt, Matt Damon, Florence Pugh, Josh Hartnett, Casey Affleck, Rami Malek, Kenneth Branagh, Gustaf Skarsgård, Benny Safdie, David Krumholtz, Tom Conti, etc.) et des plans de coupes dévastateurs, mais également l’enfant prodige de Westminster (Londres) a offert à l’humanité le meilleur des outils pour se requestionner sur les menaces de la course effrénée à l’armement atomique sur fond d’un regain de craintes nucléaires suite à l’invasion russe de l’Ukraine et des essais balistiques de Pyongyang (Corée du Nord).
Du mythe de Prométhée —ce héros grec dont la légende dit qu’il a dérobé le feu aux dieux— à la réalité oppressante d’une Amérique sous le joug d’un maccarthysme aux allures d’une chasse aux sorcières (les militants rouges ou sympathisants communistes) passant par les spasmes de la course à la Bombe A (atomique) à travers le duel à distance opposant l’équipe de Heisenberg (Troisième Reich) et la communauté scientifique américaine réunie à Los Alamos (État du Nouveau-Mexique), sous la direction d’« Oppie»; commandant de l’ordre de l’Empire britannique (CBE) — M. Nolan — nous a offert un condensé de paradoxes entre jubilation et terreur.
Ce portrait de Julius Robert Oppenheimer est plus qu’une radioscopie d’une époque illuminée par des génies de la physique quantique — Niels Bohr, Max Planck, Wolfgang Pauli, Max Born et Werner Heisenberg — et de lumières (méta)physiques (Albert Einstein et «Oppie»), mais plutôt une psychanalyse du maître du projet Manhattan qui met à nu ses remords atomiques (notamment après le largage des bombes «Little Boy» à l’uranium & «Fat Man» au plutonium, respectivement sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki, faisant entre 103.000 et 220 000 morts nippons, ses inquiétudes nucléaires et surtout ses amours isotopiques (Jean Tatlock et Kitty Oppenheimer) et par la flamme de sa destinée radioactive.
Entre la rigueur professionnelle, le dévouement patriotique et la conscience éthique d’un scientifique au regard métallique aussi sombre que le trou noir provoqué par la mort d’une étoile qui aspire toute la lumière voisinante, le biopic (film biographique) esquissé par la maestria nolanienne nous a également scotché par le cynisme, l’hostilité et les dessins machiavéliques du carriériste et président de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis, Lewis Strauss.D’ailleurs, le simulacre de procès aux allures d’audition de sécurité — tenue en avril 1954 par le bureau de sécurité de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis— dans le but de retirer l’habilitation de Robert Oppenheimer est l’un des moments forts de ce long métrage de 3 heures. Il a fallu attendre l’année 1963 pour que le président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy, alias «JFK», puisse lui remettre officiellement, sous la recommandation du «Judas», le père de la «Bombe H» (bombe à hydrogène), Edward (Ede) Teller, le prix Enrico-Fermi en signe de réhabilitation.
Fer de lance du flanc gauche, «pacifiste », du monde scientifique, le père de la Bombe A était l’antagoniste du père de la Bombe H à tel point que son fidèle ami Isidor Isaac Rabi déclara : «Le monde serait meilleur sans Edward Teller»; contrairement aux dires de Steven Weinberg, commentant les travaux d’Oppenheimer en mécanique quantique : «Niels Bohr était Dieu et Oppie était son prophète».
Tout est dit… et rien à ajouter.