Si le transport public souffre, celui privé n’en est pas, pour autant, exempt de problèmes. Taxis individuels, taxis collectifs, transport de la main-d’œuvre agricole ou, encore, le transport rural ne cessent de rencontrer les plus grandes difficultés. On peine à leur trouver les solutions appropriées, faute de réglementations ou d’application stricte du minimum de lois qui existent.
Tout à fait récemment, la question des problèmes auxquels est confronté le secteur des taxis collectifs a refait surface dans les différentes déclarations des professionnels. Selon ces derniers, le secteur est miné de l’intérieur. La cause est cette anarchie grandissante.
En effet, il y aurait, toujours selon les responsables du secteur, une véritable invasion des intrus. Sur près de 9.500 véhicules affectés pour cette activité, seuls 6.000 sont autorisés à exercer. C’est ce qui a créé une concurrence déloyale et causé du tort aux professionnels. Selon les responsables de la Chambre syndicale, il faut, bien sûr, relativiser.
Ils roulent seuls..
L’anarchie qui règne dans ce mode de transport s’explique par une absence totale de réglementation. Jusqu’à présent, la régularisation de la situation des intervenants dans ce domaine traîne toujours. La délivrance des cartes professionnelles demeure le souci majeur des gens concernés. Les tarifs sont opaques et, souvent, élevés. Parfois, ils sont fixés à la tête du client.
Mais au fait qui sont ces “intrus” ? Comment peuvent-ils évoluer aussi librement sans être inquiétés comme le prétendent les responsables de la Chambre syndicale des taxis collectifs ? En vérité, ces nouveaux-venus se réclameraient, pour certains, d’une organisation professionnelle. Pour rappel, il y a deux autres organisations syndicales outre l’Ugtt. La première est la Cgtt (Confédération générale des travailleurs de Tunisie) et la seconde est l’UTT (Union des travailleurs tunisiens). Les deux sont considérées comme appartenant “au circuit parallèle” par l’Ugtt.
D’ailleurs, ils ont à leur tête des ex-responsables de l’Ugtt. Ce sont, donc, ces transporteurs “clandestins” qui sillonnent les routes et livrent une concurrence acharnée aux professionnels. C’est pourquoi on assiste, sur nos routes, à ces rodéos et leurs comportements dangereux. La mauvaise réputation des conducteurs de ces taxis est due, entre autres, à cette concurrence déloyale. Chacun cherche à transporter le plus de clients, quitte à dépasser la charge limite.
Même les professionnels tombent dans le piège parce qu’ils n’ont pas d’autre choix s’ils veulent gagner leur pain comme le soulignent les responsables du secteur régulier. Aussi, demandent-ils une intervention énergique des autorités pour remettre de l’ordre dans la profession et délivrer les autorisations qui permettraient aux intéressés d’exercer sereinement leur métier. Les conditions actuelles ne font que compliquer les choses et augmenter les risques aussi bien aux clients qu’au reste des usagers de la route.
Il est temps de remédier au phénomène des taxis collectifs qui se comportent comme s’ils étaient seuls sur la route et qui ne respectent aucune des règles du code de la route. Du coup, ils mettent en péril la vie des autres. Il n’est que de se référer aux statistiques des accidents pour comprendre la gravité du phénomène de ces taxis collectifs.
Et les ouvrières agricoles ?
Mais la problématique ne s’arrête pas là, puisque ce mode de transport n’est pas le seul à causer des catastrophes. Le transport des ouvrières agricoles ou le transport rural sont également à l’origine de nombreux accidents. On enregistre régulièrement de nombreux cas à travers le pays. Les régions de Sidi Bouzid et de Kairouan viennent en tête. Malgré les réactions de la société civile, les drames continuent et on déplore plusieurs victimes.
Il est vrai que les conditions dans lesquelles les ouvrières agricoles sont transportées n’obéissent à aucune des règles de sécurité. On compte, justement, 69 accidents depuis 2015 ayant entraîné la mort de 55 personnes et blessé 835 autres. Certes, une loi a été promulguée dans le but d’apporter des améliorations aux conditions de transport (loi n°2019-51 du 11 juin 2019). Mais aux yeux des activistes de la société civile, cette initiative ne peut avoir aucun effet si elle n’est pas accompagnée des mécanismes lui permettant d’être mise en œuvre. D’ailleurs, depuis la promulgation de cette loi les accidents n’ont pas cessé, outre mesure.
Toutefois, force est de reconnaître qu’il est quasiment impossible d’endiguer, définitivement, le fléau des accidents car les enjeux sont de taille. En effet, il y va d’un secteur économique vital. A savoir l’agriculture. On ne peut pas se passer de main-d’œuvre. Si on applique les réglementations prônées par les autorités et la société civile, cette main-d’œuvre sera inaccessible aux employeurs de par son coût. Les moyens de transport utilisés ne seront plus en conformité avec les normes de sécurité proposées.
Redéploiement hors de la capitale
S’agissant du transport rural et celui des louages, on est toujours confronté aux mêmes griefs et aux mêmes risques. Les professionnels se plaignent, eux aussi, des opérateurs illégaux et déplorent l’absence ou l’insuffisance d’une réglementation adéquate. Cette situation n’a pas évolué et on continue de subir les retombées de ce qui est considéré comme un vide juridique. Il faut reconnaître que, malgré ses défaillances, le transport privé contribue largement au soutien du secteur public. Les Tunisiens y ont recours parce qu’ils ne trouvent pas l’offre suffisante venant du secteur public. Des milliers de clients se ruent, chaque matin et soir, sur ces moyens de transport privé pour rejoindre leurs lieux de travail ou pour rentrer chez eux. Aucun autre choix ne s’offre à eux. D’où l’idée que soutiennent de nombreuses parties qu’il y a un blocage délibéré du secteur public en faveur du privé. La détérioration rampante des conditions de transport par les bus de la Transtu ou ses métros ne fait qu’encourager les gens à recourir aux taxis collectifs. Tant que rien n’est fait pour débloquer la situation (renforcement conséquent de la flotte de bus et de métros, acquisition de nouveaux équipements aussi bien au niveau du Grand-Tunis qu’au niveau des régions…), la prolifération du phénomène des taxis collectifs et du transport clandestin ne fera que s’aggraver.
Notons, pour finir, que le rôle de ces moyens de transport ne va pas s’arrêter si le secteur public se rétablit et retrouve une santé. Ils seront amenés à se redéployer et desservir des destinations en périphérie de la capitale. C’est à cette stratégie que doivent, d’ores et déjà, s’appliquer les autorités.
Mohamed Ali Elhaou
1 avril 2024 à 11:27
Crédit photo qui accompagne l’article c’est @Mohamed Ali Elhaou. J’ai failli être tabassé par les mobilistes (tksi jama3i) pour cette photo. Voir l’ensemble de mes travaux sur le site culture Tunisie : https://www.culturetunisie.com/