La vie de Dihiya, fille de Thabtet fils de Tifâne qui, à la fin du VIIe siècle, s’est opposée à la tête d’une armée composée de tribus berbères fédérées par ses soins pour s’opposer à la conquête arabe qui s’est étendue au Maghreb, a été entourée d’un épais halo de brume comme pour tenter à dessein de brouiller son image de reine patriotique et vaillante. Les historiographes arabes, les seuls à avoir documenté son épopée, en dressent un portrait peu reluisant dans lequel elle apparaît sous les traits d’une sorcière (kahéna) maléfique de surcroît convertie au judaïsme (une stigmate, pour l’époque) mais qui, pressentant une défaite inéluctable, aurait pris soin, à la veille de l’ultime bataille, de confier ses deux fils à la bienveillante protection de son ennemi juré Khaled ibn-al-Walid tout en ayant elle-même adopté un captif arabe, Khaled ibn-Kaïci (certaines sources parlent du neveu de Khales ibn-al-Waled, Khaled ibn-Yazid), dont la trahison (on parlera de fidélité à son chef) permettra au conquérant arabe de soumettre définitivement l’Ifriqiya.
Les chroniqueurs rapportent que, juste après le départ de l’espion mandaté par ibn-al-Walid auprès de Khaled ibn Kaïci, la Kahéna, poussée par un pressentiment, est sortie parmi les siens, les cheveux au vent, hurlant : «Mon peuple ! C’est la fin de votre royaume. Le désastre approche». Et de le répéter plusieurs fois. Ces mêmes chroniqueurs disent encore : «Ayant pris connaissance des préparatifs de Noômane, elle rassembla son peuple et lui dit : les Arabes viennent en Afrique pour posséder les villes, l’or et l’argent et nous, nous voulons préserver nos champs et nos pâturages. Notre salut réside donc dans la destruction des cités». Et de mettre le pays en ruines. Il y a donc évidemment dans cette relation une forte teneur idéologique, dirions-nous aujourd’hui, puisque, plusieurs siècles après, les voyageurs arabes continuaient à s’émerveiller devant les splendeurs de l’architecture préislamique des civilisations antérieures en Afrique. Certains historiens, cependant, accréditent cette thèse et expliquent la défaite à venir de la reine berbère non par les milliers de guerriers dépêchés d’Orient par Abdelmalek ibn-Marwâne, le premier calife oméyyade régnant à Damas en renfort aux troupes d’ibn-al-Walid repliées en Cyrénaïque, dans l’actuel Est libyen, mais par le désaveu de la population sédentaire et sa passivité devant le retour des conquérants arabes.
(A suivre)