Le gouvernorat de Kairouan enregistre, depuis plusieurs décennies, une régression de son processus de développement et les indicateurs qui sont au rouge placent la région à la 22e position à l’échelle nationale. Chômage, c’est bien sa bête noire !
D’ailleurs, on enregistre des taux élevés de plusieurs phénomènes inquiétants, à savoir le suicide, l’abandon scolaire, la délinquance, la pauvreté et, surtout, le chômage des jeunes, sachant que 50% de la population ont moins de 35 ans. Et si certains diplômés du supérieur, n’ayant pu décrocher un emploi stable, arrivent à se débrouiller pour obtenir leur argent de poche, d’autres font tout pour subvenir à leurs besoins quotidiens, et ce, en commettant des vols à l’arraché ou en adhérant à des réseaux d’immigration clandestine.
Témoignages
Samir Lachheb, 40 ans, ayant un master en informatique, vit toujours chez ses parents, fonctionnaires à la retraite, nous confie quelques détails sur sa vie privée: «A part les 5 dinars que me donne, chaque matin, ma mère, j’essaie de me débrouiller pour gagner un peu plus d’argent, et ce, en rendant service à des citoyens, à travers des activités liées essentiellement aux nouvelles technologies (formatage des ordinateurs à domicile, installation de systèmes d’exploitation, configuration des logiciels, traitement de textes et dépannage divers)…».
Il se tait puis poursuit sur un ton pessimiste : «Mais, le soir, quand je rentre chez moi, l’ennui me saisit et je ressens les méfaits de la solitude avec ces mois et ces années qui se succèdent sans aller nulle part… Quand je vois que les jeunes de mon âge sont mariés et ont des enfants, je me sens déprimé et je ne vois pas le bout du tunnel. Pour fonder un foyer, il faut avoir un emploi stable, c’est pourquoi j’ai passé pas mal de concours et j’ai contacté beaucoup de responsables… En vain…»
Autres lieux, mêmes doléances
D’autres jeunes d’Imadat Mnassa (délégation de Hajeb El Ayoun), tels que Faouzi Rebhi (31 ans) et Samir Oueslati (29 ans), ayant une maîtrise d’anglais et n’ayant pu trouver de boulot, ont choisi le freelance : «En fait, pour pouvoir vivre sans l’aide de nos familles, nous exerçons des travaux occasionnels, tels que la cueillette des olives et autres fruits de saison, les transcriptions en ligne, les traductions pour des particuliers, la vente de pois chiche et de persil, etc… Bref c’est la galère! C’est aux responsables à tous les niveaux de trouver des remèdes aux maux qui rongent la jeunesse…», grognent-ils.
Radhouen, 23 ans, n’ayant pu terminer ses études secondaires et étant orphelin, a sombré dans la délinquance : «Vivre, pour un jeune comme moi, c’est attendre la mort pendant 50 ou 60 ans, en piétinant dans du néant. Je me sens laid, gauche et poltron. Rien en moi n’est engagé dans quoi que ce soit. Et comme il faut bien que je survive, il m’arrive de garder les moutons et les chèvres de quelques éleveurs. Mais il m’arrive aussi de m’adonner au commerce interdit, en aidant les dealers à écouler leur marchandise. D’ailleurs, j’ai été incarcéré à deux reprises…», raconte-t-il, désespéré.
Plus loin, dans la zone d’Aouled El Haj (Imadat Rhinia), nous allons traverser à bord d’une charrette tirée par un cheval, un paysage d’une émouvante beauté, où l’homme s’harmonise avec la nature, s’ bien qu’il se confond parfois avec l’ombre des eucalyptus, qu’il faut bien le chercher et qu’on le devine plus souvent qu’on ne le croise.
La situation de Khadija !
On pourrait raconter la sérénité de trois bergers qui surveillent un troupeau de moutons, on pourrait raconter l’âne solitaire qui emprunte inlassablement les mêmes sentiers… Mais il y avait Khadouja, son sourire et son incroyable beauté éclatante, mariage d’étoffes écarlates et de bijoux, qui nous explique que malgré sa maîtrise en histoire-géo, elle n’a pu décrocher un emploi. C’est pourquoi elle a choisi de tisser, à domicile, des mergoums qu’elle vend dans les souks hebdomadaires.
Khadouja voulait que nous nous reposions dans sa modeste habitation, s’excusant presque de la vétusté de son mobilier. Comment pouvions-nous lui exprimer que la chaleur de son accueil et la saveur de la tabouna qu’elle nous avait préparée valaient de très loin toutes les richesses, tant nous étions émus de nous sentir comme un enfant qu’on aurait retrouvé après un long voyage.