Mégaprojets bloqués : N’est-il pas temps de mettre fin au blocage ?

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Les mégaprojets inachevés sont devenus le symbole des défis structurels auxquels la Tunisie est confrontée. Lancés pour transformer le paysage économique du pays, ces projets sont aujourd’hui synonymes de promesses non tenues et de potentiels inexploités. Alors que le temps passe, les blocages persistent, freinant la modernisation des infrastructures et entravant la création d’emplois, au grand désarroi d’une population en quête de prospérité.

En Tunisie, les mégaprojets en suspension ne cessent d’alimenter les discussions et de susciter des inquiétudes. Ces projets, certains lancés bien avant la révolution de 2011, demeurent à ce jour inachevés, reflet d’une crise profonde touchant à la fois les institutions et la gouvernance du pays. Cette situation pose de sérieuses questions quant aux causes de ces blocages, ainsi qu’à l’impact de ces retards sur le développement économique, la création d’emplois et l’image de la Tunisie auprès des investisseurs et des bailleurs de fonds.

Des problèmes structurels enracinés

A l’origine de ces blocages, on retrouve des problèmes structurels enracinés. La bureaucratie excessive est l’un des principaux obstacles. Les procédures administratives complexes et les lourdeurs bureaucratiques rendent l’obtention des autorisations et permis nécessaires extrêmement lente et laborieuse. La centralisation des décisions, combinée à un manque flagrant de coordination entre les différentes agences gouvernementales, ne fait qu’aggraver la situation, ralentissant considérablement l’avancement des projets.

De l’autre côté, l’instabilité politique et sociale constitue un autre facteur majeur. Depuis la révolution, la Tunisie a connu de nombreux changements de gouvernement, créant un climat d’incertitude peu propice aux investissements à long terme. Les investisseurs hésitent donc à s’engager dans un contexte où les règles du jeu peuvent changer du jour au lendemain. Cerise sur le gâteau, les mouvements sociaux, fréquents depuis 2011, qui ont également perturbé les travaux, ajoutant une couche supplémentaire de complexité aux projets déjà en difficulté.

L’autre paire de manches reste les problèmes de financement qui sont aussi à l’origine de ces blocages. Les mégaprojets nécessitent des investissements colossaux, souvent en partenariat avec des investisseurs étrangers ou des institutions financières internationales. Cependant, les contraintes budgétaires sévères auxquelles l’État tunisien est confronté, couplées à la perception d’un risque élevé par les investisseurs, limitent les options de financement. Cela explique pourquoi de nombreux projets, bien que stratégiques, n’ont pu dépasser le stade de la planification.

Parmi les exemples les plus frappants, le projet de la Cité des Sciences de Tunis, envisagé comme un centre de recherche et de développement technologique de premier plan, est aujourd’hui pratiquement à l’abandon, malgré les investissements significatifs déjà engagés. De même, le port en eau profonde d’Enfidha, qui devait positionner la Tunisie comme un hub de commerce régional, reste en suspens. Ce projet, qui pourrait transformer la position de la Tunisie sur la scène maritime mondiale, est ralenti par des difficultés financières et des conflits d’intérêts.

Un impact profond et multifacette

L’impact de ces blocages est profond et multifacette. En premier lieu, ils freinent la modernisation des infrastructures essentielles et la diversification de l’économie. Cela a pour effet de limiter les opportunités de croissance et de développement, retardant l’amélioration des conditions de vie pour la population. En outre, ces retards privent le marché de travail de milliers d’emplois potentiels, exacerbant ainsi un chômage déjà préoccupant, notamment parmi les jeunes et les diplômés.

Sur un autre plan, l’image de la Tunisie auprès des investisseurs internationaux en souffre également. Chaque projet en suspens érode la confiance des investisseurs, faisant de la Tunisie une destination perçue comme risquée et instable. Cette perte de crédibilité peut avoir des conséquences à long terme, rendant le pays moins attractif pour les investissements futurs, ce qui est crucial pour la relance économique.

Pour surmonter ces défis et relancer les mégaprojets, il est impératif d’adopter une série de réformes adaptées au contexte tunisien. La simplification des procédures administratives doit être une priorité. En introduisant des plateformes numériques pour la gestion des autorisations et des permis, le gouvernement pourrait non seulement accélérer les processus, mais aussi réduire la corruption et augmenter la transparence.

Il est également essentiel de travailler à la stabilisation politique. Un cadre politique stable et prévisible est une condition sine qua non pour restaurer la confiance des investisseurs. Cela pourrait être atteint par des réformes institutionnelles visant à assurer une continuité dans les politiques économiques, même en période de changement gouvernemental.

Diversifier pour réussir

La diversification des sources de financement apparaît comme une solution prometteuse pour débloquer les mégaprojets en Tunisie. Traditionnellement, les grands projets d’infrastructure ont été financés par des fonds publics, des prêts bilatéraux ou multilatéraux, souvent en partenariat avec des institutions financières internationales comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Cependant, ces sources de financement ont montré leurs limites, notamment en raison des contraintes budgétaires sévères de l’État tunisien et des conditions de prêts souvent exigeantes. Pour aller au-delà des financements traditionnels, le recours à des partenariats public-privé (PPP) offre une alternative viable. Ces partenariats permettent de partager les risques et les coûts entre le secteur public et le secteur privé, tout en tirant parti de l’expertise et de l’efficacité opérationnelle des acteurs privés.  En Tunisie, l’expérience des PPP a déjà montré des résultats positifs, comme le projet de la centrale solaire de Tozeur. Ce dernier est un exemple de mégaprojet réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé qui vise à développer une grande centrale solaire dans la région de Tozeur, avec la participation d’investisseurs privés. Ce projet est significatif pour la diversification énergétique de la Tunisie et son engagement vers les énergies renouvelables.

Il y a aussi le projet de la centrale à cycle combiné de Radès. Ce projet, bien que terminé, représente un partenariat public-privé qui a contribué à augmenter la capacité énergétique du pays. Réalisé en collaboration avec des acteurs internationaux, il a eu un impact important sur l’infrastructure énergétique tunisienne. Ces exemples montrent que, malgré les défis, les PPP peuvent jouer un rôle crucial dans la réalisation des projets d’envergure.

Par ailleurs, l’émission de titres de projet, ou obligations de projet, constitue une autre piste intéressante. Ces titres, qui permettent de lever des fonds sur les marchés financiers, sont adossés aux flux de trésorerie générés par le projet une fois opérationnel. Cette méthode de financement a l’avantage d’attirer des investisseurs institutionnels et d’autres acteurs du marché financier international à la recherche de rendements attractifs. Des pays comme le Maroc ont déjà utilisé avec succès ce mécanisme pour financer des projets d’infrastructure, comme le port Tanger Med, renforçant ainsi l’idée que cette approche pourrait être adaptée au contexte tunisien. L’appel aux fonds souverains représente également une opportunité pour la Tunisie. Ces fonds, gérés par des États ou des institutions publiques, disposent souvent de ressources financières importantes et sont à la recherche d’investissements à long terme. Par exemple, le fonds souverain du Qatar a investi dans plusieurs projets de développement en Tunisie, illustrant la possibilité de mobiliser des ressources importantes pour des projets nationaux.

Finalement, et non moins importante, une approche pragmatique de priorisation des projets est essentielle. Face à un nombre limité de ressources et à des capacités institutionnelles parfois restreintes, il est crucial de se concentrer sur les projets qui ont le plus fort potentiel d’impact économique et social. Le projet Elmed, un câble sous-marin reliant la Tunisie à l’Italie pour renforcer les échanges énergétiques, et le nouveau pont de Bizerte, destiné à améliorer la connectivité régionale et réduire la congestion routière, sont des exemples de projets prioritaires. Leur réalisation pourrait démontrer des résultats tangibles à court terme, redynamiser l’économie locale, et, surtout restaurer la confiance des investisseurs et des citoyens. Ainsi, en mettant l’accent sur ces approches novatrices et stratégiques, la Tunisie peut non seulement relancer ses mégaprojets, mais aussi bâtir une base solide pour un développement économique durable et inclusif. Avec une vision claire et une exécution rigoureuse, le pays a la capacité de se hisser au rang des leaders régionaux en matière d’infrastructure et de développement économique.

De la leçon à l’action

Malgré cette situation qui ne semble pas rassurante, pour la Tunisie, il n’est jamais trop tard pour se rattraper. Le pays reste une destination attractive pour les investissements dans les mégaprojets, grâce à sa position stratégique et à son potentiel économique. Cependant, il est crucial de tirer des leçons des échecs passés et d’éviter de répéter les mêmes erreurs. Le manque de vision à long terme, les blocages administratifs et l’instabilité politique ont ralenti le progrès, mais une prise de conscience collective et des réformes ciblées peuvent inverser la tendance.

Regardons ce qui se passe chez nos voisins et au-delà. Le Maroc, l’Algérie, l’Arabie saoudite… ont fait des avancées significatives dans le domaine des mégaprojets. Ces pays, grâce à une vision claire et à une capacité à anticiper les besoins futurs, ont su surmonter les obstacles et avancer rapidement. Ils démontrent qu’avec une prise de conscience adéquate et une volonté politique forte, il est possible de transformer des projets ambitieux en réalité.

Pour la Tunisie, cela signifie que des solutions, bien que complexes, sont indispensables pour sortir de l’impasse actuelle. En agissant de manière proactive et en adoptant une approche stratégique, le pays pourrait non seulement relancer ses mégaprojets, mais aussi tracer une nouvelle voie vers un développement économique durable et inclusif. Ce chemin vers la prospérité passe par une révision des politiques publiques, une modernisation de l’administration et un engagement ferme à soutenir l’innovation et l’investissement. Avec la volonté et les bonnes réformes, la Tunisie peut encore se positionner comme un leader régional dans la réalisation de projets d’envergure. Il est, donc, impératif de passer à l’action et de mettre fin à ces attentes prolongées qui ont lourdement pesé sur notre économie. Avec une volonté politique ferme et une action concrète, tout le reste ne sera qu’un détail, car le premier pas est souvent le plus difficile à franchir. Il est temps de transformer ces projets en réalité et de relancer le développement économique de la Tunisie.

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