Grands chantiers : Port en eaux profondes d’Enfidha, un méga-projet toujours en suspens

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Le port d’Enfidha est un projet stratégique pour la Tunisie. Grâce à des connexions ferroviaires et routières modernisées, il pourrait jouer un rôle majeur dans l’intégration des régions du centre, du sahel et des gouvernorats avoisinants, en facilitant, entre autres, l’accès aux marchés internationaux des produits agricoles et industriels locaux. Pourvoyeur de plus de 50 mille postes d’emploi, source d’espoir et de frustrations aussi, où en est aujourd’hui le projet de ce port ?

Le port en eaux profondes d’Enfidha est l’un des projets d’infrastructure les plus ambitieux et les plus attendus non seulement en Tunisie, mais par tout le continent africain. Conçu pour devenir un hub logistique majeur en Méditerranée, ce port vise à répondre à la demande croissante en infrastructures portuaires capables d’accueillir des navires de grand tonnage, tout en renforçant la position de la Tunisie dans le commerce régional. Cependant, malgré les promesses de développement économique et les retombées potentielles sur la région, ce projet reste en suspens depuis plus d’une décennie, suscitant à la fois espoir et frustrations.

Situé à environ 100 km au sud de Tunis, le projet de port en eaux profondes d’Enfidha est l’un des plus grands chantiers programmés depuis des années. Malgré son potentiel économique prometteur, ce mégaprojet peine à se concrétiser, alors où en sommes-nous ?

Avec une profondeur prévue d’une vingtaine de mètres, il pourrait accueillir de grands porte-conteneurs du monde entier, positionnant ainsi la Tunisie comme un acteur clé dans le commerce maritime régional et même international.

Cependant, malgré son importance stratégique, le projet rencontre plusieurs obstacles. Les défis financiers, les questions de gouvernance et les préoccupations environnementales ont retardé la mise en œuvre du port. Le manque de financement, en particulier, a été un obstacle majeur, avec des investisseurs potentiels hésitant à s’engager, en raison des incertitudes économiques et politiques qui ont marqué la Tunisie au cours de la dernière décennie. Actuellement, les choses commencent à évoluer dans la mesure où nous entrons dans une phase cruciale dans la concrétisation du projet. C’est en tout cas ce que nous apprenons du ministère de l’Equipement et de l’Habitat. En effet, des sources fiables au sein de ce département nous expliquent que tous les efforts sont concentrés actuellement sur la quête d’un investisseur international, au rang de partenaire stratégique pour relancer le projet en stand-by. « Dans une nouvelle approche de développement et d’incitation à l’investissement, l’État se penche actuellement sur les grands projets, le port d’Enfidha en premier lieu. Nous sommes en train d’identifier des solutions pour avancer en cherchant un partenaire stratégique », a-t-on déclaré.

La Chine, éventuel partenaire ?

On nous explique également que le choix de ce partenaire doit se faire sur la base des intérêts économiques du pays et de sa souveraineté. Autrement dit, hormis les aspects financiers et économiques, le partenaire stratégique en vue ne sera pas impliqué pour interférer dans certains choix stratégiques et souverains. On nous explique dans ce sens que la société Port d’Enfidha a reçu, auparavant, trois offres de financement, mais la Haute instance de la commande publique ne les a pas acceptées à cause de certaines clauses jugées non satisfaisantes.

Dans ce contexte, la Chine semble s’intéresser de plus en plus aux investissements en Tunisie. Après le pont fixe de Bizerte, les installations sportives, la Cité médicale de Kairouan pourrait être le prochain projet qui bénéficiera d’un financement chinois. Alors que ce pays s’intéresse réellement à l’investissement dans les infrastructures des pays africains, la Chine pourrait-elle être ce partenaire stratégique ?

Wissem Lassoued, expert en logistique, affirme dans ce sens que la Chine s’intéresse vraiment au développement des infrastructures en Tunisie, comme notamment le port en eaux profondes d’Enfidha. « 25% du volume des échanges commerciaux maritimes passent au large de la Tunisie, la Chine veut en bénéficier. La mise en place de ce hub peut renforcer la coopération entre les deux pays dans un rapport gagnant-gagnant », explique-t-il à La Presse.

Et d’ajouter que ce port, différent des ports ordinaires dans sa capacité d’accueillir les plus gros navires de transport maritime, peut jouer un rôle crucial dans la diplomatie économique et sera en mesure de séduire les plus grands investisseurs du monde, vu son emplacement de  choix reliant deux continents.

Sauf que l’un des risques majeurs est l’endettement. Plusieurs pays en Afrique ayant bénéficié d’investissements chinois dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie se sont retrouvés avec des niveaux élevés de dette vis-à-vis de la Chine. Si les projets ne génèrent pas suffisamment de retours économiques, la Tunisie pourrait se retrouver en difficulté financière.

Retour sur les aspects techniques

Il faut savoir que ce projet a connu plusieurs étapes clés au cours des dernières années, notamment la création de la société Port d’Enfidha en 2018 et l’obtention de la garantie de l’État pour entrer en partenariat avec le secteur privé

En réalité, il s’agit d’un double projet, puisque nous évoquons également la construction d’une grande zone logistique s’étendant sur 2000 hectares au profit des gouvernorats situés à 150 km du projet et qui contribuera à la création de près de 52 mille emplois.

Le port en eaux profondes, dont le coût s’élève à plus d’un milliard de dinars, sera érigé sur une superficie de 3000 hectares et englobe le port (1000 hectares) et la zone logistique (2000 hectares). Un projet  de cette taille sera en mesure de créer des opportunités économiques immenses au profit des régions du centre, du sahel et des gouvernorats avoisinants. La première phase porte sur la construction d’un quai de 1 200 mètres extensible de 800 mètres dans une seconde phase. Ladite zone logistique permettra la création de nouvelles zones industrielles et des zones franches favorisant l’emploi des diplômés universitaires et les ouvriers qualifiés.

En effet, le port d’Enfidha est surtout stratégique compte tenu de son impact réel sur le développement des régions intérieures de la Tunisie. Grâce à des connexions ferroviaires et routières modernisées, il pourrait jouer un rôle crucial dans l’amélioration de l’intégration des régions moins développées du pays, en facilitant l’accès aux marchés internationaux pour les produits agricoles et industriels locaux.

S’agissant des aspects fonciers, le projet est appelé à surmonter de nombreuses difficultés, compte tenu de la vocation des terrains sur lesquels s’implanteront les différentes composantes du projet. D’ores et déjà, l’Etat s’était engagé à payer des compensations et des dédommagements financiers aux propriétaires fonciers concernés pour accélérer la mise en œuvre du projet. Les autorités devront également régler le dossier de l’expropriation d’environ 945 hectares, dont quatre lotissements appartenant au domaine public maritime.

Enjeux environnementaux et sociétaux

Cependant, le projet n’est pas sans défis environnementaux. La construction d’un port en eaux profondes nécessite des travaux massifs d’infrastructure, qui pourraient perturber les écosystèmes marins et côtiers. Les défenseurs de l’environnement soulignent la nécessité de prendre des mesures en vue d’atténuer l’impact écologique du projet.

Sur le plan sociétal, le développement du port pourrait entraîner des transformations majeures dans la région d’Enfidha, avec des implications sur les communautés locales. La réallocation des terres, les migrations internes et les changements dans les modes de vie traditionnels sont autant de questions qui devront être gérées avec soin pour éviter d’éventuelles tensions sociales.

Force est de constater que le port en eaux profondes d’Enfidha a vraiment accusé un retard énorme. Le projet vise pourtant à créer une dynamique de développement au niveau des régions intérieures du pays sur deux phases, dont la première partie devait être achevée en 2022, et la deuxième partie devait être finalisée fin 2024. Nous en sommes très loin ! Aujourd’hui, nous sommes toujours à la recherche d’un investisseur qui devra couvrir  une partie du financement, le parachèvement de ce mégaprojet prendra donc plusieurs années encore.

Bien que le projet du port d’Enfidha soit encore en attente, son potentiel reste immense. Il représente une opportunité pour la Tunisie pour renforcer sa position sur la scène économique mondiale et pour dynamiser son économie intérieure. Cependant, pour que ce potentiel soit pleinement réalisé, il est crucial que les obstacles actuels soient surmontés. Une gouvernance transparente, un cadre financier solide et une attention particulière aux aspects environnementaux et sociétaux seront essentiels pour assurer le succès du projet et pour que le port d’Enfidha voie enfin le jour.

2 Commentaires

  1. Alaya Kouki

    09/09/2024 à 13:32

    Faut-t-il choisir entre le mega-port de Zarzis et celui d’Enfidha? Ici entre les grands choix de l’Etat et qu’est ce notre gouvernement nous projette dans le futur. C’est la mise à jour de la vision de notre Etat qui doit consolider ces projets et autres: nous voulons quoi faire exactement.

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    • Alaya Kouki

      12/09/2024 à 10:15

      « Il faut aussi mentionner le projet de transformation du port de Zarzis en un centre économique et commercial s’étalant sur 1000 hectares regroupant un pont de Boughrara à l’île de Djerba, un pôle technologique, un projet d’une ligne ferroviaire Médnine-Zarzis, une zone logistique Ben Guerdane et un parc d’activités économiques à Zarzis. Ce port revêt une importance stratégique ; il est à 70 Km de la Lybie, à 200 Km de l’Algérie et à 2 heures de l’Europe depuis l’aéroport Djerba-Zarzis. Dès l’achèvement prévu en 2022 du segment routier entre Gabès-Mednine, la zone sera aussi reliée à l’autoroute transmagrébine. Le projet permettra alors un développement économique très important pour la région Sud de la Tunisie, pauvre en investissements étrangers. Il constituera, en outre, une porte d’entrée vers la Lybie, marché en pleine reconstruction. Toutefois, il n’est pas surprenant de voir le projet du port Zarzis être constamment retardé, tout comme le projet du port Enfidha qui traine depuis 2009. Les causes sont certainement multiples, mais l’absence d’une politique de développement claire et l’instabilité politique que connaît le pays depuis 2011 pèse lourdement sur les projets d’investissement étranger. » Extrait de l’Observatoire Français.

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