Certains pesticides dangereux, pourtant interdits en Europe, sont toujours présents sur le marché tunisien et sont toujours utilisés par les agriculteurs locaux. C’est ce que regrette la fondation allemande Heinrich-Böll-Stiftung, dans son atlas consacré aux pesticides publié récemment.
Bien qu’elle ne produise pas de pesticides, la Tunisie se trouve totalement dépendante de leur importation, souligne encore la fondation allemande. Tout en ajoutant que le pays a importé 4 161,2 t de pesticides en 2022, enregistrant une chute de 33 % par rapport à l’année précédente.
Toutefois, cette baisse s’avère strictement liée à la réduction des superficies emblavées suite à la sécheresse et la pénurie en eau. Mais elle ne correspond pas à une prise de conscience générale sur la gravité de la situation et la dangerosité des pesticides.
S’appuyant sur les résultats d’un rapport national commandé par le centre «Innovation pour l’agriculture et l’agroalimentaire» réalisé en 2018, Heinrich-Böll renseigne qu’il existe 44 matières actives homologuées extrêmement dangereuses expédiées de l’Europe vers la Tunisie, telle que le Chlorpyrifos.
Un retard par rapport aux standards internationaux
Les résidus de ce pesticide ont été trouvés dans les fruits de tomates à des taux élevés de 80 et 312 % de la dose de référence aiguë (Arfd), pour les adultes et les enfants respectivement, selon une étude réalisée dans le gouvernorat de Sousse en 2018. L’Arfd définit la quantité maximum de substance qui peut être ingérée par le consommateur pendant une courte période, sans risque d’effet dangereux pour sa santé.
Si la Tunisie applique une réglementation respectant largement les standards internationaux, il n’en demeure pas moins qu’elle enregistre un certain retard concernant les dispositions relatives à la protection des groupes de personnes vulnérables, à la limitation de la disponibilité des pesticides dangereux ou les conditions d’utilisation des pesticides, estime la fondation allemande. «Un long chemin reste encore à parcourir afin de faire correspondre la réglementation nationale avec les standards internationaux en perpétuelle évolution », insiste la même source.
D’ailleurs, elle estime qu’il n’existe pas de politique mise en place pour le recueil systématique des informations et la mise à jour des statistiques sur la consommation des pesticides par spéculation, sur leurs effets néfastes sur la santé humaine ou la contamination environnementale.
La fondation déplore, par ailleurs, l’absence d’une politique visant à sensibiliser les utilisateurs à l’importance et aux moyens de protéger la santé et l’environnement ou pour mener des programmes de surveillance de la santé des personnes exposées professionnellement aux pesticides.
Pas de loi interdisant l’utilisation de pesticides
De surcroît, la législation tunisienne ne prévoit pas de dispositions interdisant l’utilisation de pesticides par les enfants et les femmes enceintes ou allaitantes et obligeant les employeurs à prendre les mesures nécessaires pour prévenir l’utilisation de pesticides par ce groupe vulnérable.
Evoquant les pesticides hautement dangereux (HHP) qui désignent les substances dont il est reconnu qu’ils présentent des niveaux de risques aigus ou chroniques particulièrement élevés pour la santé ou pour l’environnement, la fondation estime que le pourcentage de HHP homologué présent et utilisé sur le territoire tunisien reste conséquent.
Quelles alternatives ?
Prenons l’exemple de la production des tomates, la Tunisie détient la production la plus élevée du concentré des tomates à travers le monde. Selon la fondation, les tomates sont susceptibles de recevoir 29 types de substances actives classées HHP. Elle ajoute qu’il en est de même pour les HHP autorisés pour le traitement des pommes de terre, qui restent très élevés.
La population tunisienne étant une grande consommatrice de tomates et de pommes de terre, le risque sera très élevé, d’une part, suite à l’apport journalier potentiel des résidus pesticides et, d’autre part, leurs bioaccumulations dans l’organisme. Sans compter l’effet des interactions possibles entre les différentes substances qui peuvent donner naissance à de nouvelles molécules encore plus dangereuses, estime la même source. En guise de conclusion, la fondation propose d’autres alternatives aux pesticides, telles que l’agroécologie et la permaculture, offrant une perspective holistique pour une transformation durable du secteur agricole tunisien. Ces bonnes pratiques agricoles, souligne-t-elle, permettent aussi d’atténuer les conséquences sur le changement climatique, d’accélérer la régénération des sols à condition de changer la réglementation et le contrôle des produits phytosanitaires et protéger la santé des consommateurs.
Onagri