La campagne de « Consommer tunisien» est bienvenue et la démarche visant à faire préférer les «Produits Made in Tunisia» au consommateur local est légitime et naturelle aux deux sens économique et patriotique, et dans cette affaire, tout le monde est gagnant : l’entreprise prospère et investit, le consommateur a toutes les garanties de satisfaction, l’Etat engrange plus de recettes fiscales et parafiscales et l’économie nationale croît plus vite.
Quel regard portez-vous sur les démarches entreprises pour le projet « Made in Tunisia » qui a pour finalité de promouvoir et de développer le produit local ? Que faut-il faire pour rendre nos produits plus attractifs ?
Dans un monde globalisé, dominé par les économies ouvertes et concurrentielles, le choix de consommer local est une nécessité. Une nécessité d’autant plus impérieuse en temps de crise économique doublée de changement climatique désastreux pour certaines régions du monde et de conflits armés perturbant aussi bien les chaînes de production mondiale que les circuits de distribution, avec leurs lots de pénurie et d’inflation galopante.
La démarche de « Consommer tunisien » est pleinement légitime pour un petit pays comme la Tunisie et revêt une grande importance tant sur le plan économique que patriotique. Sur le plan économique, elle vise à maximiser la production locale des biens que nous consommons et à encourager l’achat de produits du terroir, faisant ainsi de la consommation locale un moteur puissant de la croissance économique. D’un point de vue patriotique, cette démarche répond à des considérations de sécurité d’approvisionnement pour le pays, ainsi qu’à des garanties de sûreté et d’hygiène pour les biens de consommation courante (alimentaires et sanitaires). Elle reflète également un esprit de solidarité nationale et de responsabilité sociétale, en favorisant un développement humain partagé et une souveraineté alimentaire.
Mais «consommer local» ne doit pas mener un pays à se recroqueviller sur lui-même et cloîtrer son économie afin de protéger les produits fabriqués localement contre la concurrence étrangère, en dressant des barrières de toutes sortes devant les produits importés.
Un minimum de concurrence entre produits est, en effet, profitable pour les entreprises fabricantes, afin que ces entreprises restent compétitives et soient capables elles-mêmes de vendre à l’étranger avec un rapport qualité-prix à leur avantage.
Sans oublier que le «Made in Tunisia» pourrait avoir «le vent en poupe» à l’étranger, aussi bien en exportation des biens et marchandises sur le marché international (accord de la Zlecaf en Afrique et accords avec l’Europe), qu’en notoriété des biens produits en Tunisie au point d’attirer des partenaires étrangers pour les vendre en franchise ou les fabriquer dans leurs pays. Ce qui est arrivé, il y a quelques années, à deux marques tunisiennes de produits alimentaires sollicitées pour conclure un contrat de franchise.
Ces produits «Made in Tunisia» étaient tout simplement de bonne qualité, selon les partenaires étrangers qui voulaient les fabriquer et les vendre en franchise dans leurs pays. Par conséquent, ce qui rend un produit attractif partout est d’abord sa qualité, et ensuite son rapport qualité-prix par comparaison à des produits concurrents similaires.
La qualité n’étant plus un luxe, son coût est tout à fait indirect et son assurance est à la portée de toute entreprise économique. C’est la «non-qualité d’un bien et du service le supportant» qui a des coûts directs pour l’entreprise et même pour l’économie nationale (cas du refoulement des produits exportés).
La Tunisie dispose d’une variété de produits du terroir. Quelles mesures peut-on engager pour exporter le Made in Tunisia? Quelle est votre vision stratégique pour la promotion de la marque «Made in Tunisie» sur les marchés internationaux?
Pour exporter les «Produits Made in Tunisia», on mettra à profit notamment les cinq labels suivants, qui sont autant de passeports à l’exportation : le label «NT» (normes tunisiennes) qui est une certification-produit délivrée par l’Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle (Innorpi) permettant aux entreprises de valoriser leur savoir-faire et garantir une qualité des produits qui répond aux exigences de conformité du référentiel en s’appuyant sur les normes et textes réglementaires applicables.
L’octroi de la marque nationale de conformité aux normes est concrétisée par l’apposition du logotype de la marque NT sur les produits certifiés. Ce genre de certification concerne tout produit fabriqué sur le territoire national et commercialisé en Tunisie ou ailleurs, issus des activités industrielles ci-après: matériaux de construction, industries mécanique et électrique, industries chimique et parachimique, industries agroalimentaires et industries diverses.
Le label d’appellation d’origine contrôlée (AOC) délivré notamment pour les produits agricoles du terroir, conformément à la législation relative aux «indications géographiques» (loi n°99-57 du 28 juin 1999).
A préciser que cette loi a pour objet la protection des particularités et spécificités des produits agricoles et leur valorisation en leur octroyant une AOC avec indication de la provenance. Elle encadre le bénéfice des appellations d’origine et des indications de provenance, les moyens de protection des produits bénéficiaires et de contrôle technique de ces appellations.
Le label de « l’appellation d’origine » des produits de l’artisanat, encadré par la loi n°2007-68 du 27 décembre 2007 qui a pour objectif de valoriser les caractéristiques originelles des produits artisanaux et la protection de leurs spécificités en leur octroyant «une appellation d’origine» et une « indication géographique» ou «indication de provenance», comme pour les produits agricoles du terroir.
Ce qui renvoie à la dénomination d’une région géographique ou à des localités d’une région, servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractéristiques sont dues exclusivement ou essentiellement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains qui les distinguent des autres produits similaires ou concurrents.
Le label des «Produits Halal», très demandés dans certains pays musulmans asiatiques, comme l’Indonésie et la Malaisie. Ce Label étant en voie de mise (si ce n’est déjà) en place au sein de l’Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle.
Les labels NT, d’appellation d’origine des produits du terroir, des indications géographiques ou de provenance des produits artisanaux, ainsi que le Label Halal, constituent des instruments efficaces pour positionner (ou repositionner) les produits «Made in Tunisia» à l’international.
La vision qu’on peut formuler, afin de promouvoir davantage la marque «Made in Tunisie» sur les marchés internationaux, est axée essentiellement autour de la compétitivité des entreprises, qu’elles soient déjà exportatrices ou qu’elles s’orientent prochainement vers le marché international.
Avec un choix stratégique d’agir sur trois facteurs de compétitivité que toute entreprise doit avoir, tout le temps, en ligne de mire : la maîtrise des facteurs de coût de leurs produits, quitte à se doter d’une comptabilité analytique appropriée par produit, l’optimisation fiscale en mettant à profit tout l’arsenal des incitations et avantages fiscaux au profit de l’exportation et qui, faute d’optimisation, peut déséquilibrer les performances de l’entreprise, la recherche permanente de la productivité des facteurs de production afin d’avoir un rapport qualité-prix durablement profitable et internationalement soutenable.
Quels sont les secteurs prioritaires afin de renforcer le label «Made in Tunisia» ?
A priori, il n’y a pas de secteurs prioritaires dans lesquels il faudrait renforcer le Label «Made in Tunisia», puisque tous les secteurs sont concernés : produits agricoles et agroalimentaires, ainsi que les produits industriels et manufacturés, et même les produits intangibles des services qui représentent plus de 50% des employés.
Les services de tourisme, de commerce, de transport et même les services professionnels d’assistance technique, de formation et de conseil sont de plus en plus en vogue dans la sphère socioéconomique partout dans le monde et génèrent pour la Tunisie plusieurs milliards de dinars de valeur ajoutée (dont une bonne part en devises) pour l’économie nationale.
Ayant eu, personnellement, à vérifier la notoriété des services professionnels tunisiens dans plusieurs pays arabes et d’Afrique, ce qui m’autorise à affirmer que les «Services Made In Tunisia» dans les domaines du consulting, des études et du conseil sont particulièrement appréciés et recherchés dans la plupart des pays arabes (de Mauritanie à l’Irak) et dans tous les pays de la côte ouest africaine, ainsi qu’au Tchad, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, à Djibouti, au Rwanda et aux Comores.
Des domaines de services où la qualité se pratique au quotidien, grâce à des compétences professionnelles éprouvées, même sans certification à des normes internationales des compétences qui ont permis à notre pays de développer d’autres labels «Made in Tunisia» par excellence, comme «Marhaba» et « Kafaet » qui font l’objet de certifications délivrées par l’Innorpi, dans deux grands domaines de services.
Le label Marhaba certifiant les prestations administratives et mis en œuvre pour développer la qualité des prestations d’accueil, qui est délivré sur la base de critères précis qu’il faut satisfaire : responsable dédié aux relations avec les usagers/clients, espaces d’accueil adaptés destinés à recevoir ces derniers, et ressources précises et suffisantes pour informer les clients et les orienter vers les prestataires habilités. Ce référentiel se destine aussi bien aux services publics qu’aux entreprises privées, ainsi qu’à toute autre organisation désirant assurer la qualité de son accueil.
Le label Kafaet qui est un référentiel mis en place, en collaboration avec le Centre national de formation continue et de promotion professionnelle (Cnfpp), dans le but d’assurer une gestion performante des actions de formation continue, conformément à un ensemble de critères à satisfaire et qui sont un préalable à l’initiation d’une démarche-qualité en formation continue.
Ce référentiel est applicable à tout organisme désirant améliorer la qualité des actions de formation continue de son personnel, et a permis de doter notre dispositif national de formation professionnelle d’un label qui, tout en répertoriant les formateurs professionnels, vise à favoriser l’efficacité et assurer l’efficience tout au long du processus de la formation, grâce à l’amélioration de la qualité des formations au travers tant des standards de l’ingénierie de conception pédagogique que de l’ingénierie d’animation des formations.
Ainsi, ces labels de services «Made in Tunisia» sont de nature à assurer la qualité des prestations, à rassurer les clients bénéficiaires (nationaux et étrangers) et à améliorer la performance des Entités publiques ou privées qui en sont chargées. Donnant, par là même, une image positive du pays et de son économie à l’international.
Quels sont les principaux défis auxquels les entreprises tunisiennes doivent faire face pour être compétitives à l’échelle mondiale ?
Trois leviers, qui sont autant de défis, doivent être actionnés par l’entreprise tunisienne pour opérer durablement à l’international et faire face de manière soutenue à la concurrence étrangère, dont deux leviers concernent les entreprises exportatrices et un levier concerne toutes les entreprises. Le premier levier est la certification professionnelle pour gagner en performance interne, tout en rassurant les partenaires sur les marchés extérieurs, s’agissant notamment des entreprises exportatrices.
Ces entreprises devant être aujourd’hui certifiées selon plusieurs normes internationales, dont la norme ISO-9000 (qualité système et produits), ISO-14000 (fabrication propre et environnement), ISO-22000 (hygiène et santé – pour les produits agroalimentaires et de santé) et ISO-26000 (RSE) destinée à aider les entreprises pour contribuer aux objectifs du développement durable, maîtriser l’empreinte carbone de leurs produits et limiter la propagation des gaz à effet de serre.
Le deuxième levier est de faire en sorte que ces entreprises exportatrices soient, pour développer leur compétitivité et se doter d’avantages comparatifs, mises à égalité avec leurs concurrents en matière de coûts de production, de fiscalité et de facilités d’accès aux marchés extérieurs, notamment en disposant de préfinancements de leurs opérations de commerce extérieur, à l’image des services devant être fournis par la Cotunace
Le troisième levier étant la «préférence nationale» prévue par le Décret relatif aux marchés Publics (cf. Art. 26 du décret n° 2014-1039 du 13 mars 2014) qui fait obligations aux acheteurs publics, dans les marchés de travaux et de fournitures de biens ouverts à la concurrence internationale, de préférer les offres des entreprises tunisiennes ou les produits d’origine tunisienne (à celles des entreprises étrangères ou aux produits de toute autre origine), à deux conditions : les offres et les produits tunisiens doivent être d’une qualité égale à leurs concurrents étrangers ; et les offres financières tunisiennes et le prix des produits tunisiens ne doivent pas dépasser de plus de dix pour cent (10%) le montant des offres des entreprises étrangères ou les prix des produits étrangers.
Et puisque la «préférence nationale» est un levier de prédilection pour renforcer les produits fabriqués localement («Made in Tunisia» en l’occurrence), les bailleurs de fonds internationaux ont compris l’enjeu assez tôt et ont introduit la préférence nationale dans leurs règles depuis longtemps. Pour la Banque mondiale, comme pour la plupart des bailleurs multilatéraux, la préférence nationale est de 7,5% pour les travaux (offre nationale retenue même si son prix est supérieur de 7,5%), mais pour les marchandises «Made in Tunisia» cette préférence va jusqu’à 15% dans les marchés de fournitures de biens. Aussi, et si de nombreuses entreprises économiques tunisiennes ne connaissent pas cet avantage de la «préférence nationale» dans les marchés publics — marchés qui sont de l’ordre de 20 milliards de dinars par an —, elles ne peuvent plus l’ignorer dorénavant en Tunisie. Quant aux entreprises tunisiennes exportatrices, elles doivent en tenir compte lorsqu’elles décident de soumissionner à des marchés publics financés par des bailleurs de fonds internationaux dans des pays étrangers.
Enfin, on peut conclure que la campagne de «consommer tunisien» est bienvenue et la démarche visant à faire préférer les «Produits Made in Tunisia» au consommateur local est légitime et naturelle aux deux sens économique et patriotique, et dans cette affaire, tout le monde est gagnant : l’entreprise prospère et investit, le consommateur a toutes les garanties de satisfaction — garantie même en cas d’insatisfaction, l’Etat engrange plus de recettes fiscales et parafiscales, l’économie nationale croît plus vite en créant plus d’emplois et de plus en plus de richesses, dont elle peut exporter le surplus sans difficulté et sans risque.