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Sentiers d’Afrique | Pourquoi les francophones sont à la traîne des anglophones

 

Manque d’infrastructures, mauvaise culture d’entreprise et mauvaise gouvernance. Les pays francophones d’Afrique subsaharienne sont, depuis quelques années, à la traîne par rapport à leurs voisins anglophones. L’Afrique subsaharienne francophone est à la traîne de l’Afrique anglophone, même sans le poids de l’Afrique du Sud. Alors que de Dakar à Kinshasa en passant par Yaoundé, tout semble inciter les gens à rêver d’émigration, la vie rayonne d’Accra à Nairobi en passant par Lagos, avec des projets florissants et des affaires à portée de souris ou de téléphone.

Pour mesurer cette fracture économique, il est nécessaire d’éliminer les deux maux qui marquent la fracture continentale : la corruption et les conflits ethniques. A l’exception du Zimbabwe, où les folies économiques du gouvernement de Mugabe ont déclenché un taux d’inflation de près de 25%, l’examen des chiffres globaux fait apparaître des résultats surprenants. Les pays francophones ne représentent que 19% du PIB moyen de l’Afrique subsaharienne, tandis que les pays anglophones en représentent 47% (à l’exclusion de l’Afrique du Sud). Les pays appartenant à l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), principalement francophones, ont connu une croissance moyenne de 3,4% par an au cours des dix dernières années, tandis que ceux de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), principalement anglophones, ont enregistré un taux de croissance de 5,4%.

Les pays anglophones sont également mieux classés par le rapport «Doing Business» de la Banque mondiale, qui mesure la qualité de l’environnement des affaires. Dans ces pays, il est beaucoup plus facile de créer une entreprise, de dédouaner les importations et d’obtenir le paiement des débiteurs. Les appels téléphoniques au Bénin, par exemple, coûtent quatre cents fois plus cher qu’au Ghana. En matière de développement humain, sept des dix pays les plus mal classés (sur 187) par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sont des Etats d’Afrique francophone, et trois d’entre eux —le Burundi, le Niger et la RDC— occupent les trois dernières places.

Un handicap irrémédiable ?

Le développement et le non-développement dépendent de nombreux facteurs. Selon Jean-Michel Severino, directeur d’Investisseur et Partenaire pour le Développement (I&P), dédié aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) en Afrique, et ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), le conflit est le fléau de l’Afrique francophone. «Au cours de la décennie 2000-2010, deux des principaux pays, la RDC [République démocratique du Congo] et la Côte d’Ivoire, ont connu des bouleversements qui ont affecté le développement de l’ensemble de la zone francophone. Ces pays avaient connu une croissance comparable à celle de leurs voisins anglophones après l’indépendance». Monnaie commune des pays francophones d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, le franc CFA a aussi, semble-t-il, été un fardeau, bien qu’il soit plus protégé de l’inflation que les monnaies qui ne sont pas alignées sur l’euro. «Le franc CFA a été fort au cours de la décennie précitée», explique l’ancien directeur exécutif de l’AFD,  «et on peut imaginer que les pays à monnaie flottante se sont mieux adaptés que ceux qui utilisent la monnaie commune. Si elle n’est pas favorable aux exportations, ce n’est pas la force du CFA qui est en cause, mais plutôt la déconnexion du développement d’un système monétaire en dehors de sa conjoncture africaine. Il faudra que les dirigeants africains réfléchissent aux mécanismes à mettre en place plutôt que d’arrêter complètement l’union monétaire régionale ou de couper les liens entre l’euro et le franc CFA». Dans son dernier argument, Jean-Michel Severino souligne que les infrastructures sont déficientes dans la plupart des pays francophones. «Je suis frappé de voir que les politiques sont assez conservatrices en termes de taux dans le domaine de l’énergie, de l’eau et des transports. Cela a généré un déficit d’infrastructures phénoménal dans le cas du Cameroun et du Sénégal et a eu un impact important sur le développement». Thierry Tanoh, vice-président de la Société financière internationale (SFI), membre du groupe de la Banque mondiale, revient lui aussi sur la question des infrastructures et de la taille du marché, qu’il considère comme les deux principales faiblesses du bloc CFA.

Un système opaque

Dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest où les revenus générés par les ressources naturelles sont omniprésents, l’argent ne passe pas par les citoyens, mais est directement acheminé vers le gouvernement par les compagnies minières et pétrolières. Ce processus offre de nombreuses possibilités de réorienter les revenus dans un système très opaque. Il ne cherche pas à impliquer les personnes qui ne paient pas d’impôts, faute de revenus, et qui sont donc peu soucieuses de la bonne utilisation des fonds publics».

Les pays les plus dynamiques d’Afrique se trouvent dans les zones côtières. L’argent corrompu n’est donc pas aussi facile à trouver dans certains pays anglophones, ce qui pourrait expliquer non seulement des niveaux de conflit moins élevés, mais aussi un contrôle gouvernemental efficace, tous deux une nécessité macroéconomique. Il y a, de surcroît, plus de pays francophones enclavés en Afrique que de pays anglophones, et que le commerce se fait à un coût plus élevé en raison d’insuffisances flagrantes au niveau des infrastructures. Le port de Lomé ne fonctionne pas comme il le devrait et les pays partenaires enclavés en font les frais. Les pays les plus dynamiques d’Afrique se trouvent dans les zones côtières. En résumant ces analyses, il n’est pas surprenant que les causes du ralentissement du bloc francophone soient connues depuis longtemps, et que leurs remèdes aient été tambourinés par les agences multilatérales afin d’accélérer le développement du continent. De toute évidence, le franc CFA pose problème. S’il sert à cimenter une culture francophone, il est évident, comme dans le cas de l’euro, qu’une monnaie sans vision commune ni gouvernance peut être un handicap, surtout lorsque cette monnaie est contrôlée depuis Paris. L’exemple de la vaste et populeuse région anglophone d’Afrique de l’Est montre que les investissements et les richesses se déplacent vers les zones où il y a le plus de consommateurs. Pour l’Afrique de l’Ouest, il s’agit de dépasser la simple suppression des frontières pour aller vers une intégration des politiques budgétaires. Mais il s’agit là d’une tâche héroïque, car même l’Europe a du mal à gérer ce type d’intégration. Néanmoins, dans un discours prononcé à Genève, le commissaire européen, Michel Barnier, a cherché à donner à l’Afrique son point de vue de spécialiste et a appelé le continent à organiser et à regrouper ses marchés en marchés communs.Il n’est pas étonnant que la recherche de la bonne gouvernance ainsi que la lutte contre la corruption restent des priorités absolues. Si l’Afrique francophone veut éviter que ses matières premières ne se transforment en malédiction politico-économique, la propriété des revenus doit être publique et contrôlée par les citoyens.

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