Ils sont plus de 15.000 chasseurs tunisiens (près de 20.000, entre pros et amateurs, selon les estimations de la Fédération nationale des associations de chasseurs et des activités associées, Fnacas) à avoir renoué avec leur passion, à l’occasion de l’ouverture imminente de la saison de la chasse. Décryptage.
Fusil et gibecière en bandoulière, vêtus de leur tenue spécifique, ils prennent, chaque jour ou presque, position sur leurs terrains de prédilection, en l’occurrence la campagne, les forêts et les régions montagneuses. Là où, par expérience, le moindre tir fait mouche et rapporte du gibier. «C’est que ces zones où on a pris l’habitude de manœuvrer sont connues pour leur richesse en espèces animales», explique Hattab Bougamha, vieux chasseur de renom que ses 82 printemps ne semblent pas avoir affaibli. «La chasse, dit-il, est pour moi un loisir transformé, au fil des années, en passion, au point que je n’ai jamais arrêté de prendre part aux expéditions avec les compagnons de chasse, mais aussi en compagnie de mon fils à qui j’ai transmis la passion».
C’est surtout, a-t-on constaté, dans les régions fertiles du nord, du nord-ouest et du centre-ouest que se rassemble le plus grand nombre de chasseurs venus des autres régions du pays. Joignant souvent l’utile à l’agréable, ils organisent des méchouis-parties lors de la pause, avant de remettre le fusil sur le dos et reprendre le boulot, à la recherche d’une proie à abattre. «Nous vivons en communauté, une vraie famille», assure Bougamha qui tient à préciser que «contrairement à ce que pensent certains, ce ne sont pas seulement les riches qui s’adonnent à ce loisir. Les citoyens de tous bords partagent la même passion et se rendent aux mêmes endroits que nous, les chasseurs avertis».
Alerte au braconnage !
La loi instituée depuis belle lurette par les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur n’autorise la chasse que l’après-midi pour certaines espèces, et toute la journée le week-end et les jours fériés pour d’autres. C’est-à-dire que la chasse est strictement interdite du soir jusqu’à l’aube. Or, justement, dès que la nuit tombe, c’est l’aubaine pour les braconniers qui font irruption. Ces chasseurs nocturnes anarchiques et non reconnus par la loi sont si envahissants qu’ils tirent sur tout ce qui bouge, particulièrement sur les espèces en phase de reproduction ou en voie d’extinction. «Ces démolisseurs de la faune nuisent énormément à notre secteur», s’alarme le chasseur Borhane Boujemâa, qui s’étonne de la persistance de ce phénomène. «Dieu sait, s’écrie-t-il, combien nous avons souffert pour obtenir le permis de chasse, et voilà que des hors-la-loi viennent nous concurrencer déloyalement et violer également la loi qui interdit la chasse dans les lacs, les îlots et les superficies frappées par des épidémies, dont le virus H5N1. En un mot, ils portent préjudice à un secteur pourtant soumis à des règles de sécurité strictes et adaptées aux enjeux de la biodiversité dictés par l’impératif de sauvegarde des écosystèmes».
Ce sont surtout les espèces de pigeons, lièvres et cailles menacées de disparition qui sont les plus touchées par ces «expéditions punitives nocturnes». Mais, pourquoi ce mal perdure ? «Nous en sommes conscients», réplique le président de la Fnacas, Ahmed Chekki, qui fait état d’une régression de ce phénomène «due à la conjugaison des efforts entre notre fédération et les départements concernés, à savoir les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur, avec l’étroite collaboration des commissariats régionaux à la forêt». Outre les fréquentes journées d’information et les campagnes de sensibilisation organisées à l’intention des chasseurs, la Fnacas préconise le renforcement du corps des gardes forestiers pour couper l’herbe sous le pied aux braconniers, ainsi que le durcissement des poursuites pénales contre les auteurs d’infractions de la chasse.
Un permis très difficile à obtenir
Aussi, ladite fédération mène-t-elle un autre combat non moins acharné. Il s’agit de l’épineuse question du permis de chasse. En ce sens qu’elle milite pour assouplir l’attribution des autorisations du port de fusil, toujours en stand-by, auprès des services concernés. Pour Chekki, «nous ne sommes évidemment pas pour l’octroi abusif de ce permis, mais il est temps de réviser, en vue de son actualisation, la loi aujourd’hui en vigueur et dont la promulgation remonte à 1969. Par contre, nous recommandons plus de fermeté dans le traitement des dossiers des candidats, notamment pour ce qui concerne les formalités relatives au bulletin N 3, au renouvellement des autorisations et à la saisie des fusils utilisés illégalement». Un chasseur, parlant sous couvert de l’anonymat, affirme qu’il attend, depuis neuf ans, d’obtenir son permis de chasse. «Et pourtant, gémit-il, mon dossier répond à toutes les conditions requises». Autres irrégularités révélées par notre enquête, et non des moindres : primo, une fois le permis de chasse en poche, surgit le problème de l’acquisition du fusil, vu le nombre réduit des points de vente légaux et la hausse continue des prix de cette arme, surtout celles de marques de renom. Cette situation fait la joie du circuit parallèle, même si ce dernier a été maintes fois ébranlé par des descentes policières suivies de saisies.
Secundo, la nouvelle loi interdisant la pratique traditionnelle de l’utilisation des chiens de chasse lors des expéditions ne semble pas être scrupuleusement respectée. Ainsi, des infractions ont-elles été enregistrées dans plusieurs régions où a été signalée la présence de chiens de différentes races (sloughi, yorkshire, pointeur anglais…). Et pourtant, l’OMS ne cesse de rappeler que les morsures et griffures canines sont responsables de la mort de près de 60.000 personnes par an dans le monde.
Des irrégularités à la pelle
Tertio, la chasse au sanglier, bien que bénéficiant de dérogations spéciales, n’est pas non plus à l’abri des irrégularités. En effet, ces dispositions sont souvent bafouées, ce qui engendre deux risques potentiels, à savoir ce qu’appelle l’OMS «la rage du sanglier» qui peut contaminer d’autres animaux et rendre sa viande impropre à la consommation. L’autre risque est lié aux accidents de chasse qui pourraient être fatals dès qu’un sanglier, ou même un marcassin, voit rouge. En France, à titre d’exemple, où les mesures de prévention et de vigilance sont pourtant des plus rigoureuses, on a recensé, l’année dernière, 97 accidents de ce genre, dont 6 mortels. Et dire qu’en Tunisie, la chasse au sanglier, qui a toujours la cote auprès de ses adeptes, demeure, selon la Fnacas, une source de création de postes d’emploi (temporaires mais généralement bien rémunérés) auprès des habitants et zones montagneuses. Dilemme !
Quand les anti-chasse se déchaînent
Si l’ouverture de la chasse est synonyme de joie pour ses adeptes, elle représente, en revanche, un… deuil, un malheur pour les anti-chasse, et ils sont légion tant en Tunisie qu’à l’étranger. Chez nous, en l’absence de statistiques disponibles, certains ne s’en cachent pas et ils le disent. «Moi, j’appelle ça la saison des tueries qui est là pour pulvériser notre faune tant naturelle que sauvage», dénonce le médecin Hsouna Gheribi.
Par contre, en Occident, ils sont actuellement, d’après l’OMS, plus de 30 millions d’opposants à la chasse à crier haut et fort leur indignation, via des centaines d’associations de défense des animaux. La manifestation d’hostilité est particulièrement plus grandissante et bruyante en Europe où on évoque le chiffre alarmant de 14.000 tonnes de plomb dispersées par les chasseurs. Dans l’Hexagone, on aurait recensé entre 25 et 38 millions d’animaux chassés chaque année.
Au milieu de cette ambiance, on peut avoir une pensée pour l’ancienne star du cinéma Brigitte Bardot qui, à la veille de son 90e anniversaire, s’est invitée à la grand-messe de ses partisans, en adressant récemment une énième pétition à la présidente de la Commission européenne pour exprimer son immense chagrin et rappeler la double urgence d’améliorer la protection des animaux, toutes races confondues, et de mettre fin aux massacres dont ils sont victimes.