Juste après le décès de Mohamed Enasser Bey, le 10 juillet 1922, son cousin Mohamed Lahbib avait bénéficié de l’allégeance des membres de la cour, des vizirs, des oulémas, des dignitaires de Tunisie ainsi que les commandants de l’armée, en tant que 16e bey de la dynastie husseinite. Présent lors de la cérémonie d’intronisation, Lucien Saint, résident général, avait prêté le serment d’allégeance au nouveau bey tout en le décorant de l’insigne d’honneur français 1ère catégorie.
D’après l’historien analyste Mohamed Salah Mzali, l’intronisation de Mohamed Lahbib Pacha bey, le 10 juillet 1922, était entachée d’irrégularité concernant le respect de la règle successorale au trône beylical. Avant de mentionner ce cas, faisons un rappel de la règle de la succession au trône adoptée par la famille husseïnite.
Il y a lieu de souligner que c’est Houssine Ben Ali, qui avait décrété en 1710 un décret-loi concernant la règle successorale au trône, validé par les grands dignitaires et notables de Tunis à cette époque. Ce décret stipule que la succession beylicale est assurée par la descendance des beys (soulala) (fils, frères et petits-fils) en tenant compte du critère de l’âge : le plus âgé des princes parmi les frères, fils et cousins bénéficie de la priorité d’occuper le trône.
Par le passé, cette règle a été bafouée à maintes reprises : les intronisations de Ali Pacha 1er (1735), de Hammouda Pacha (1782), de Othman Pacha (1814) et puis de Mahmoud Pacha (décembre 1814) ont été entachées d’énigmes, d’irrégularité, de complaisance et de sang. Et ce n’est qu’en 1815 et afin d’éviter d’éventuels drames pouvant secouer la famille husseïnite que la mère des deux princes Houssine et Mustapha, les fils de Mahmoud Bey, les obligea à prêter serment sur le Coran (livre saint) afin de veiller dans le futur sur le respect absolu de la règle successorale tel que décrété par Houssine Ben Ali quel que soit le degré de parenté du successeur avec le bey régnant.
Respect de la loi successorale
Depuis cette date, les princes héritiers se rangent à droite du bey régnant du plus âgé au moins âgé… Ainsi, le bey régnant aura toujours son successeur immédiat (Walii el ahd) appelé communément bey de camp (bey lamhal). En cas de décès de ce dernier, le plus âgé des princes prendrait sa place. Depuis cette date aussi, les naissances des princes héritiers font l’objet d’enregistrement de la part d’un huissier qui décline à la cour beylicale un bulletin de naissance dûment signé mentionnant le jour, le mois et l’année de naissance de chaque prince. De cette façon, la succession au trône ne fera plus l’objet du moindre doute, ni de la moindre ambiguïté.
L’équivoque concernant l’intronisation de Mohamed Lahbib
Cela revenait à l’époque du mouchir Mohamed Essadek Pacha Bey qui avait adopté son neveu Mohamed Lahbib, orphelin de mère et de père depuis l’âge de 3 ans.
En effet, le père de ce neveu était Mohamed El Mamoun, le frère cadet de Mohamed Essadek qui s’était rapproché de son neveu orphelin qu’il avait adopté. Il l’avait considéré comme son propre fils, lui accordant souvent des privilèges, le préférant et le distinguant de ses autres neveux. Il l’avait bien éduqué et veillé à sa bonne formation. Par la suite, cette distinction s’était illustrée par la voie de la bonne alliance, car il l’avait marié à la sœur de Mustapha Ben Ismaïl, son grand vizir et la personne la plus dévouée.
Mort suspecte de Mohamed El Maâmoun
Là, Mohamed Salah Mzali avait voulu faire un rapprochement entre cette considération excessive vouée par Med Essadek en faveur de son neveu Med Lahbib et le décès pour le moins énigmatique de Mohamed El Maâmoun, le père biologique de ce neveu.
En effet, d’après les faits vraisemblables et l’enquête réalisée par l’historien Mzali, Mohamed Essadek bey suspectait son frère Med El Maâmoun de préparer un plan d’insurrection à son encontre!
La thèse de l’assassinat en décembre 1861 de Med Maâmoun par le biais d’un café empoisonné, servi à la victime sur ordre du bey Med Essadek, n’était pas du tout à écarter.
Seulement après ce forfait, ce dernier (Med Essadek) a été convaincu de l’innocence de son frère. Ses doutes n’avaient aucun fondement. Mohamed El Maâmoun ne l’avait finalement pas trahi.
Usurpation
Afin de parvenir à ses fins, et accorder des privilèges au neveu préféré, le bey Mohamed Essadek fut obligé de camoufler la date de naissance de Mohamed Lahbib qui succède environ d’un mois à celle du prince Ismaïl, le fils de Ali Bey.
L’enquête menée par l’historien Mzali prouve qu’il y a eu confusion de dates : d’après les archives des états civils des princes husseïnites et en ce qui concerne leurs bulletins de naissance, le nom d’Ismaïl précède celui de Mohamed Lahbib, tous les extraits de naissance des princes héritiers mentionnent clairement la date de naissance avec la précision du jour, du mois et de l’année à l’exception de celui de Mohamed Lahbib où figurait l’année uniquement : 1858, ce qui consolide évidemment la thèse de l’usurpation.
De l’avis de l’historien Mzali, Mohamed Essadek bey avait bien réussi sa magouille en maquillant les événements et en classant le prince Mohamed Lahbib avant Ismaïl, lors des cérémonies officielles et lors des diverses fêtes de la cour.
D’ailleurs, cette usurpation a atteint son comble lors de la désignation du prince Med Lahbib en tant que bey de camp de Mohamed Ennasser Pacha Bey.
Pour clôturer son enquête, Med Salah Mzali émet la réserve suivante quant à la période du règne légal de ce bey : en effet, d’après l’état civil en possession du cheikh Mohamed El Kaâbi, l’administrateur-gouverneur auprès de la cour beylicale, après le décès de Mohamed Ennasser bey, l’intronisation revenait de droit au prince Ismaïl. Ce dernier décéda le 10 janvier 1928, date qui aurait dû correspondre à la date du début du règne légal de Mohamed Lahbib.
La fin du régime du sultanat ottoman
Le début du règne de Med Lahbib Pacha bey coïncidait avec le déclenchement de la révolution turque menée par Mustapha Kamel Ataturk et la fin du régime ottoman en 1922, puis celle du califat islamique en 1924.
Toute relation liant la régence de Tunisie avec la Turquie ex-ottoman s’était effondrée par voie de conséquence.
Ce qui restait comme trace de l’ère ottmane, c’étaient uniquement quelques jargons ou pseudo-phrases turques lancées au bey dès son entrée dans la salle du trône lors des cérémonies officielles ou des textes parachevés en langue turque prononcés par les prédicateurs religieux dans les mosquées hanafites.
Réorganisation d’ordre politique et administratif
Parmi les réorganisations administratives mises en place lors du règne de Mohamed Lahbib Pacha bey, on peut citer la création du grand conseil élu, présidé par le résident général en remplacement du conseil consultatif (conseil de la choura) créé auparavant. D’autres conseils régionaux ont été créés dans les cinq régions du pays, suite à un décret beylical daté du 13 juillet 1922.
Le règne de ce bey s’était aussi illustré par la création en mars 1924 de deux chambres tunisiennes dont les membres sont élus, il s’agissait de la chambre agricole et de la chambre commerciale.
Mohamed Lahbib Pacha bey a régné du 10 juillet 1922 au 11 février 1929. De l’avis de l’historien Hamadi Sehli qui a veillé à la présentation de l’œuvre «Histoire de Tunisie» de Hassen Hosni Abdelwaheb, ce bey ne jouissait pas d’une bonne considération auprès des citoyens tunisiens.
On lui reprochait d’être trop gentil et d’être soumis aux directives du résident général et de donner son aval aux différentes décisions des autorités coloniales. C’était lui qui avait signé le décret concernant la possibilité de l’octroi de la nationalité française aux citoyens tunisiens (sur proposition du résident général)
Le règne de Mohamed Lahbib Pacha Bey a été relativement court, car il décéda dans sa résidence de Carthage-Dermech le 11 février 1929.
Sources :
– «L’histoire de Tunisie» de Hassen Hosni Abdelwaheb
– «L’héritage du trône chez les Husseïnites» de Mohamed Salah Mzali