Accueil Economie Slim Abdeljelil, juriste en droit des affaires et ancien directeur du département de fiscalité et de droit des affaires à La Presse : « La nouvelle loi du chèque limite les risques et améliore la traçabilité des transactions »

Slim Abdeljelil, juriste en droit des affaires et ancien directeur du département de fiscalité et de droit des affaires à La Presse : « La nouvelle loi du chèque limite les risques et améliore la traçabilité des transactions »

Aujourd’hui, face à l’amplification du phénomène des chèques sans provision, la nouvelle loi est nécessaire pour répondre aux défis actuels du secteur bancaire. Cette révision s’est imposée, car l’usage du chèque en Tunisie s’est largement écarté de sa vocation initiale de moyen de paiement pour devenir un moyen de garantie. Slim Abdeljelil, juriste en droit des affaires et ancien directeur de département de fiscalité et de droit des affaires, nous parle des changements introduits par la nouvelle loi, les conséquences prévues… Entretien.

Quels sont les changements introduits par la nouvelle loi sur les chèques en Tunisie ?

Il ne s’agit pas simplement d’une réforme de l’institution du chèque, mais d’une véritable refonte en profondeur de son cadre juridique. Cette révision s’est imposée comme une nécessité, car l’usage du chèque en Tunisie s’est largement écarté de sa vocation initiale de moyen de paiement pour devenir un moyen de garantie, semblable à une caution ou une hypothèque.

Ce détournement de fonction, combiné à l’incrimination stricte pour absence de provision, a conduit à une situation où une part importante de la population carcérale se compose de personnes qui n’ont pas pu honorer leurs chèques. L’ancien cadre juridique du chèque, jugé excessif et disproportionné, prévoyait jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une amende correspondant à 40 % du montant du chèque, avec un cumul des peines pour les récidivistes.

Cette approche répressive ne servait ni les intérêts des créanciers, qui peinent souvent à recouvrer leurs créances, ni ceux des débiteurs, souvent incapables de régulariser leur situation en raison de leur incarcération, de leur statut de fugitif, ou de leur exil forcé à l’étranger.

Les réformes majeures apportées par la nouvelle réglementation, au-delà des précisions concernant les conditions d’octroi des chèques, concernent l’introduction de nouveaux rôles et responsabilités pour les banques et les bénéficiaires des chèques. Le banquier, désormais, qui délivre un chéquier, est tenu de s’assurer de la solvabilité de son client, jouant ainsi un rôle de garant. En parallèle, un bénéficiaire qui accepte un chèque sans provision, même partielle, pourra désormais être sanctionné, ce qui vise à responsabiliser toutes les parties prenantes et à réduire les abus.

La nouvelle loi vise à recentrer l’usage du chèque comme instrument de paiement tout en assouplissant les sanctions excessives, contribuant ainsi à améliorer la sécurité juridique et à éviter les situations de non-recouvrement.

Quels effets de sanctions peuvent-elles avoir sur les comportements des acteurs économiques ?

La nouvelle réglementation introduit, en effet, une distinction importante, selon le montant des chèques sans provision. Désormais, les chèques d’un montant inférieur à 5.000 dinars émis sans provision et non régularisés ne sont plus passibles de sanctions pénales, marquant un allègement significatif pour les petits montants. En revanche, les chèques sans provision d’un montant supérieur à 5.000 dinars, s’ils ne sont pas régularisés, exposent leur émetteur à une peine d’emprisonnement de deux ans ainsi qu’à une amende équivalant à 20 % du montant du chèque.

Cette distinction vise à recentrer le chèque sur sa fonction originelle de moyen de paiement, en dissuadant son utilisation abusive comme garantie. Ce changement impose ainsi un nouveau paradigme dans les pratiques commerciales et financières, auquel les acteurs économiques émetteurs, banques et bénéficiaires devront s’adapter en modifiant leurs usages. Par exemple, les « chèques de garantie » ne pourront plus être utilisés pour garantir un paiement futur, sous peine de non-régularisation et de sanctions potentielles pour les montants élevés. Cette refonte devrait inciter à un usage plus prudent et conforme du chèque, tout en protégeant davantage les transactions financières en réduisant les risques d’impayés au sein du système bancaire.

Comment ce changement pourrait-il affecter la confiance dans le système financier tunisien ?

Comme je l’ai mentionné, l’institution du chèque a été détournée de sa fonction première de moyen de paiement pour devenir un outil de garantie, ce qui a mené à un usage excessif et parfois abusif. Pour donner un exemple, au cours du premier trimestre de 2024 seulement, 6,12 millions de chèques ont été émis, d’après les chiffres de la Banque centrale de Tunisie. Ce volume témoigne de l’ampleur du recours au chèque, souvent pour des usages qui s’éloignent de sa fonction de base. La nouvelle loi, au contraire, renforcera la fiabilité du chèque en tant que moyen de paiement en apportant des garanties solides aux bénéficiaires pour le règlement de leurs créances.

À partir de son entrée en vigueur le 2 février 2025, il sera possible de vérifier en temps réel la disponibilité des fonds et de bloquer la provision pour assurer le règlement. Ce système crée un cadre de transparence et de sécurité qui permettra au chèque de retrouver sa place parmi les moyens de paiement, aux côtés des instruments classiques et des nouvelles solutions FinTech, qui sont de plus en plus perçues comme des alternatives rapides, traçables et fiables. Cette nouvelle loi devrait redonner confiance dans l’utilisation du chèque, renforçant ainsi la liquidité du système financier tunisien tout en limitant les risques pour les bénéficiaires et en améliorant la traçabilité des transactions.

Comment cette nouvelle réglementation peut-elle encourager une transition digitale ?

La nouvelle réglementation intègre une dimension technique novatrice pour accompagner la digitalisation. La transaction des chèques passera désormais par une plateforme numérique unifiée, une initiative menée par la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui assurera la supervision, la gestion et le développement continu de cette infrastructure. Cette plateforme, qui est en cours de création, centralisera et sécurisera toutes les transactions par chèque.

Toutes les banques en Tunisie seront tenues de se connecter à cette plateforme via un mécanisme d’interconnexion, exigeant qu’elles adaptent leurs systèmes d’information pour garantir une intégration fluide. Par ailleurs, une plateforme nationale dédiée à la gestion des chèques offrira aux clients un accès gratuit pour suivre l’état de leurs chèques émis, vérifier les montants bloqués et consulter la disponibilité de provisions pour les chèques qu’ils reçoivent. Le chèque lui-même va aussi évoluer : il devra contenir des informations de vérification électronique, un code QR, ainsi que des éléments de sécurité renforcés pour garantir le secret bancaire et sécuriser les transactions. En parallèle, les banques devront encourager activement leurs clients à adopter d’autres modes de règlement, comme les paiements par carte, le chèque électronique ou le virement bancaire, contribuant ainsi à la transition vers des solutions plus digitales et sécurisées. La nouvelle réglementation non seulement modernise le traitement des chèques, mais aussi stimule un changement de comportement vers des paiements électroniques, alignés avec les efforts de digitalisation du pays.

Quelles sont les conséquences prévues de cette réforme ?

Avec les nouvelles obligations pénales imposées aux banques, celles-ci devront adapter leurs processus opérationnels en matière de gestion des chèques. Désormais, chaque banque devra évaluer la solvabilité des demandeurs de chéquiers en tenant compte de leurs engagements et de leur capacité à honorer les paiements par chèque sur une période donnée. Cette évaluation permettra de fixer un plafond global et une durée de validité pour chaque chéquier en fonction de la situation financière du client. Les banques s’exposent également à des risques financiers accrus : en cas de non-respect des nouvelles exigences, elles peuvent se voir infliger une amende de 40 % de la valeur du chèque si elles ont émis des chèques sans annulation malgré l’absence de provision, ou lorsqu’elles ont accordé des facilités de caisse permettant la couverture de chèques sans provision annulée. Ces mesures visent à renforcer la vigilance des banques dans la gestion des chèques impayés.

Pouvez-vous nous donner des exemples de situations similaires ?

L’institution du chèque, en effet, remonte à une époque très ancienne. Par exemple, sous les Califes abbassides, on a introduit une forme de paiement par Sakk, une sorte d’ancêtre du chèque moderne, pour réduire les risques liés aux transferts de fonds collectés par les agents de l’administration fiscale. Cette pratique visait à sécuriser les transactions en évitant le transport physique de l’argent. Aujourd’hui, pourtant, le chèque tend à être délaissé au profit de solutions fintech plus innovantes, comme les paiements mobiles ou les virements instantanés. On voit cela particulièrement dans des pays industrialisés, où le paiement numérique a presque entièrement remplacé les chèques. Ce passage vers le numérique a permis de fluidifier les transactions économiques, d’accélérer les paiements et de réduire les coûts administratifs pour les entreprises. Pour la Tunisie, cela pourrait représenter une piste intéressante.

A côté de la nouvelle version du chèque, l’usage des technologies fintech pourrait non seulement moderniser les transactions, mais aussi stimuler l’économie numérique en facilitant l’accès aux services financiers, surtout dans les zones reculées. Cela pourrait être une leçon : une transition vers des solutions de paiement innovantes pourrait contribuer à dynamiser l’économie tunisienne tout en garantissant une meilleure sécurité des transactions.

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