Le modèle économique dominant, basé sur l’extraction de ressources vierges (92,8% des matériaux consommés) et la consommation de masse, montre ses limites avec la baisse de la circularité (de 9,1% en 2018 à 7,2% en 2023, in Circle Economy, 2024), les inégalités croissantes et les crises polymorphes. Malgré ces défaillances, le paradigme néo-libéral persiste, dénonçant la fragilité des approches alternatives en termes d’adoption et de mise en œuvre (Corvellec, 2022).
Pourtant, depuis les années 80, ce paradigme économique dominant fait l’objet de nombreuses critiques. Le concept d’écosophie (Næss,1989 ; Guattari, 1989) ou écologie profonde/multiple (Guattari, 1989; Stengers, 1997, 2007), offre une approche transdisciplinaire des relations complexes entre les sphères environnementales, sociales et mentales. Il remet en cause les visions dualistes nature/culture ainsi que les discours moralisateurs sur le développement durable qui opposent individus et environnement (Antoniolio, 2015, p. 42). En explicitant À travers une vision intégrée, l’écosophie dépasse ces clivages permettant de sortir de cette impasse et présentant une réflexion sur les conditions de vie « nouvelles ».
Parallèlement, une pléthore d’outils théoriques et conceptuels se profile au sein d’une bifurcation paradigmatique cherchant à réorienter la pensée (et la pratique) économique vers la « richesse collective » et l’avancement social. Cette évolution prometteuse suscite un intérêt significatif pour appréhender les interactions multi-niveaux qui conditionnent le développement des entreprises au sein des écosystèmes entrepreneuriaux locaux/régionaux. De surcroit, elle incite à une réinvention des méthodes et pratiques de gestion destinées aux décideurs et parties prenantes.
Dans ce sens, les travaux émergents en comptabilité environnementale ou comptabilité des ressources naturelles commencent à s’inspirer d’une vision écosystémique complexe. En effet, les deux dernières décennies ont été marquées par une demande croissante et rapide d’informations non financières sur les activités de RSE et/ou ESG. Les organismes normalisateurs suivent cette tendance. En juin 2023, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a publié ses deux premières normes IFRS sur la divulgation de la durabilité, l’IFRS S1 portant sur les exigences générales pour la divulgation d’informations financières liées à la durabilité et l’IFRS S2 sur les informations liées au climat. Au cours des dernières années, les classements ESG ont acquis une importance considérable dans l’allocation des ressources sur les marchés financiers, exerçant ainsi une pression significative sur les entreprises pour qu’elles se conforment à ces critères. Ces classements ne sont plus des instruments de mesure, mais des leviers de transformation. Une proportion notable des fonds d’investissement se réfère à l’un des principaux classements ESG pour orienter une part importante de l’épargne mondiale. Bien que ces classements majeurs semblent adopter des critères divergents, ils demeurent au cœur de la transition apparente des marchés financiers et des entreprises vers la durabilité.
Néanmoins, se posent les questions de la véritable représentativité de ces classements par rapport à leur objet d’évaluation ainsi que de la véracité des performances sociales et environnementales des entreprises figurant en tête de ces classements. En outre, il est nécessaire de prendre en compte l’influence potentielle du discours, du lobbying, de l’intégrité, des pratiques et de la prise en considération des « nouvelles conditions de vie » pour pouvoir tracer un chemin différent du modèle du néolibéralisme destructeur.
Afin de contribuer à cet impératif de transition, les précédentes éditions de la conférence internationale du LIGUE (LIC, LIGUE International Conference) se sont penchées sur les transformations profondes et sur l’intégration des transitions inclusives, circulaires et technologiques. Nous invitons donc les différents acteurs économiques et la communauté des chercheurs en sciences de gestion et en économie lors de LIC’24, édition anniversaire des 25 ans du laboratoire, à poursuivre cette réflexion en explorant les possibilités de perspectives alternatives et en rupture avec le paradigme néo libéral dominant.
Dans sa 8ème édition, la LIC’24 espère donner la voie aux recherches, dans un contexte tunisien, africain et international, qui s’inscrivent dans la poursuite des réflexions sur les thématiques et les questions suivantes (liste non exhaustive) :
1- Transition organisationnelle dans un pluralisme des écologies ?
Quelles structures de gouvernance efficaces et éthiques favorisent le développement économique et technologique durable et inclusif (Gumusay et al., 2022) ? Quels modèles économiques répondent mieux aux exigences de durabilité, d’inclusivité et de circularité (Jesus et Jugend, 2023) ? Quelles transformations sont-elles nécessaires dans les organisations pour intégrer de nouveaux défis tels que l’agilité, l’intelligence collective, le sens du travail et la démocratisation (Besson et al.,2011) ? De quelles manières un modèle inclusif et circulaire peut-il servir de moteur pour l’innovation sociale (Beji-Becheur et al., 2021) ?
2- Transition efficiente et rapide grâce à l’IA ?
Comment la technologie et les modèles d’affaires en évolution rapide soulèvent-ils des questions éthiques complexes, telles que l’utilisation de l’IA (Tremblay et al., 2023) et la prise de décisions algorithmiques automatisées ? Comment la numérisation et l’IA peuvent-elles être rendues accessibles sans discrimination ou exclusion basée sur le genre, l’ethnie ou la race (UNESCO, 2020), l’âge, la région, la santé, etc. ? Quelles sont les conditions de maîtrise de la performance et quel impact la numérisation a-t-elle dans des situations complexes ou de crise ? Comment la notion d’écosystème d’affaires émerge pour décrire les interactions complexes entre acteurs complémentaires (entreprises, start-ups, clients) au sein de plateformes numériques (Shen et al., 2024) ? L’IA est-elle un levier ou frein au développement inclusif de la fintech? (Ashta & Herrmann, 2021)?
3– Transition du marché et donc d’un marketing centré sur la valeur vie ?
Comment coordonner entre les acteurs, les ressources, les informations, les processus et les services interdépendants mais indépendants de l’écosystème, afin de (co)créer et de s’approprier la valeur des actifs de l’entreprise basés sur le marché (Hewett et al., 2022) ? Comment les organisations perpétuent-elles et amplifient-elles les inégalités sociales et économiques, et quelles en sont les implications pour les stratégies commerciales et marketing (Benschop, 2021) ? Quels changements pour une approche marketing davantage axée sur l’environnement et la technologie (Jung & Kim, 2023) ? Quelle position du marketing face aux discours d’anti-consommation (Dekhili, 2021) ? Est-ce que les consommateurs peuvent faire face aux bigtechs ? (Mhalla, 2024)
4-Transition de l’entreprendre : entre ecosophie et ecosystème ?
Il s’agit de questionner les « évidences entrepreneuriales » et les hypothèses fondatrices qui structurent le champ de l’entrepreneuriat (Dey et al., 2023). Comment les nouveaux modèles d’entreprise intègrent-ils des pratiques inclusives et circulaires (Bocken et al., 2016)? Comment une économie circulaire peut-elle être réalisée par des entrepreneurs qui optimisent l’utilisation des déchets et minimisent l’empreinte environnementale ? Quelles opportunités les entrepreneurs peuvent-ils créer pour renforcer l’inclusivité en intégrant des populations exclues (Stead & Stead, 2020) ?
5- Transition du récit comptable au récit de développement durable: quels comptes pour le reporting, la divulgation et la durabilité
En quoi les normes émergentes telles que le GRI (Global Reporting Initiative) et le SASB (Sustainability Accounting Standards Board) impactent-elles les approches des organisations en matière de reporting et de divulgation de durabilité (Pizzi et al., 2023) ? Quels sont les défis rencontrés par les organisations dans la mise en œuvre de pratiques de reporting de développement durable, et comment traitent-elles des problèmes de légitimité (Juusola & Srouji, 2023 ; Mohamed Buallay et al., 2023) ? De quelle manière les fonctions d’audit interne et externe contribuent-elles à garantir la fiabilité des informations relatives au développement durable au sein des organisations (Amoako et al., 2023 ; Asante-Appiah & Lambert, 2023) ?
6- Transition dans les financements : valeur de l’information sur la durabilité
Quels rôles peuvent jouer les organismes de normalisation pour harmoniser les normes de reporting sur le développement durable (Ali et al., 2023). En quoi est-il important d’intégrer les considérations ESG (Environnement, Social et Gouvernance) dans les programmes d’enseignement de la comptabilité, et comment cela influence-t-il le développement professionnel (Simmons et al., 2023) ? Comment les analyses ESG peuvent-elles être utilisées comme outils pour l’audit éthique des systèmes d’intelligence artificielle, et quelles sont les implications pour les pratiques commerciales durables (Minkkinen et al., 2024) ?
La Presse avec communiqué