Les mineurs tunisiens non accompagnés rencontrent de nombreuses difficultés tout au long de leur parcours migratoire, qui deviennent plus graves et profondes une fois arrivés dans leur destination, en raison de leur jeune âge, de l’absence de guidance et d’encadrement, ainsi que de l’insuffisance de la prise en charge dans les établissements qui les accueillent dans les pays européens.
Des histoires multiples et variées, malgré des points communs, ont été collectées par la chercheuse en anthropologie sociale, Meriam Tebini, concernant un groupe de mineurs tunisiens non accompagnés originaires de Sfax, Sousse et Kairouan, tous des garçons et résidant dans une ville d’une des régions françaises proches de la frontière allemande, âgés de 15 à 17 ans.
Sur la base de ces récits, Meriam Tebini a réalisé une étude intitulée “Les adolescents en exil : le parcours des mineurs tunisiens non accompagnés en France”, présentée samedi dernier lors d’un séminaire organisé par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux dans la capitale, à l’occasion de la Journée mondiale des migrants. Elle a analysé le parcours migratoire de cette tranche de la population sur la base d’un questionnaire multidimensionnel.
L’agence Tap rapporte que l’étude aborde plusieurs problématiques concernant les mineurs tunisiens non accompagnés, notamment le parcours migratoire vers l’Europe et au sein de celle-ci, ainsi que la manière de gérer l’adolescence et ses turbulences en exil, en plus des stratégies utilisées pour prendre en charge ces mineurs dans les institutions de protection.
Tebini a indiqué à ce sujet que les services d’aide sociale à l’enfance en France ont pris en charge 19.370 mineurs non accompagnés en 2023, soulignant que ce chiffre a connu une tendance à la hausse au cours des dix dernières années.
Elle a précisé qu’en 2022, les mineurs tunisiens non accompagnés représentaient 10,68% du total des mineurs non accompagnés, la majorité étant des garçons (93,2%) et 75% d’entre eux étant âgés de plus de 16 ans.
Elle a estimé que l’accompagnement et l’intégration des mineurs non accompagnés sont des enjeux relevant d’une série de problématiques et de défis politiques et sociaux contradictoires.
Selon le questionnaire utilisé pour cette étude, la majorité des répondants justifient leur départ par des raisons économiques et la volonté d’améliorer leurs conditions de vie et d’aider les autres par la suite, en plus du désir de fuir la violence et le harcèlement au sein de leur milieu familial.
Les réponses des mineurs montrent que de nombreuses familles, en particulier les mères, soutiennent et encouragent leurs enfants à migrer, en fournissant les financements nécessaires, parfois en recourant à des emprunts ou en vendant des bijoux en or.
L’étude a également révélé comment les risques du voyage migratoire influencent l’image que les mineurs non accompagnés ont d’eux-mêmes et du monde, et comment les accidents survenus pendant ce voyage (violence, danger de noyade) provoquent des troubles psychologiques qui ne sont pas toujours pris en charge, et peuvent s’aggraver dans un environnement malsain, notamment en raison de la stigmatisation sociale et des préjugés à l’égard des migrants d’origine africaine, et en particulier maghrébine. “Ils sont perçus comme menteurs, trompeurs et manipulateurs”, selon les témoignages des mineurs interrogés.
Tebini a également souligné que l’arrivée des mineurs non accompagnés en Europe, notamment en France, ne marque pas la fin des défis. Les attentes initiales se heurtent souvent à la réalité du marginalisation, de la discrimination et du rejet, obligeant à voyager à travers l’Europe à la recherche d’endroits offrant de meilleures conditions de vie et des institutions plus adaptées.
Les efforts d’intégration dans ces institutions sont souvent marqués par un manque de confiance et des démarches coercitives pour prouver leur droit à l’aide.
Elle a affirmé : “Ce processus rend l’isolement et les difficultés à obtenir une reconnaissance encore plus compliqués, au sein d’une société qui les juge sur leurs apparences et la couleur de leur peau.”
Après leur arrivée dans leur destination, les mineurs font face à des difficultés plus complexes que celles rencontrées lors de la préparation de leur projet migratoire ou de leur passage, notamment des obstacles administratifs, la précarité matérielle, la solitude émotionnelle, l’adaptation culturelle et sociale, ainsi que le passage à l’âge adulte.
Dans un autre volet de l’étude, la chercheuse en anthropologie s’est intéressée à l’impact psychologique de cette expérience sur les adolescents. En effet, le franchissement des frontières active une “dynamique de l’identité”, les adolescents naviguant entre diverses représentations de leur identité, partagés entre leur fuite et leur tentative d’intégration dans un nouvel environnement, déchirés entre les attentes sociales et la volonté de reconstruire une nouvelle vie.
“Dans les institutions de protection qu’ils fréquentent, les mineurs tunisiens non accompagnés sont confrontés à des obstacles qu’ils n’ont pas l’habitude de rencontrer et pour lesquels ils ne sont pas préparés. Pour obtenir des permis de séjour lorsqu’ils atteignent la majorité, ils sont contraints de suivre les directives des institutions. Les obstacles auxquels ils sont confrontés comprennent de nouvelles formes de pouvoir, des restrictions institutionnelles et administratives.”
La participation à des activités sociales, éducatives ou de formation professionnelle fait partie du contrat d’intégration, mais ces activités ne sont pas toujours adoptées avec enthousiasme après avoir vécu des traumatismes et s’être habitués à un certain mode de vie, a précisé Tebini, ajoutant que les mineurs tunisiens, tant au sein des institutions de soutien qu’en dehors, développent des stratégies d’adaptation aux systèmes en place et à une société qui peut leur être hostile ou qu’ils cherchent à dépasser.