Accueil Economie Samir Ksibi, président de l’association tunisienne des technologies digital à La Presse: « Coordonner les efforts pour maximiser le potentiel du e-commerce »

Samir Ksibi, président de l’association tunisienne des technologies digital à La Presse: « Coordonner les efforts pour maximiser le potentiel du e-commerce »

L’e-commerce en Tunisie progresse grâce à la digitalisation et à l’intégration des technologies numériques. Cependant, ce secteur fait face à de nombreux défis. Plus de détails avec Samir Ksibi président de l’association Tunisienne des technologies digital et « Owner » d’une entreprise e-commerce depuis 2018. Interview.

Comment voyez-vous le secteur de l’e-commerce tunisien ? Et dans quel sens évolue-t-il ?

Souvent, on associe le terme « e-commerce » à la vente de produits et d’articles à distance. Mais le concept va bien au-delà et englobe également tous les services proposés en ligne, tels que la vente d’abonnements et les services numériques comme les applications mobiles, la billetterie, les cours en ligne… L’e-commerce touche plusieurs secteurs et métiers, notamment la publicité en ligne, qui joue un rôle central dans la promotion des produits et services.

Aussi la logistique, avec les moyens de livraison indispensables au bon fonctionnement de ce modèle économique et la sécurité informatique, surtout tout ce qui concerne la protection des données personnelles. L’e-commerce touche, par ailleurs, les institutions étatiques qui sont en train de digitaliser leurs services. Ces services, souvent associés à un paiement en ligne, peuvent être considérés comme faisant partie des activités de l’e-commerce.

Pour ce qui est des e-commerçants, ils peuvent être aussi bien des start-up opérant dans le digital et proposant leurs services en ligne, des artisans souhaitant développer leur activité grâce à la proximité client qu’offre Internet, ou encore des commerçants et restaurateurs trouvant dans l’e-commerce un moyen de booster leur activité.

Dans ce contexte, il convient également d’évoquer la publicité en ligne réalisée via les réseaux sociaux. Il est essentiel de réfléchir aux règles d’éthique et aux pratiques adoptées par une minorité d’influenceurs, qui utilisent parfois tous les moyens possibles pour se créer une audience, souvent dans le seul but de la monétiser auprès des commerçants.

Un autre sujet important, et qui reste aujourd’hui tabou, celui de la logistique. L’abandon du secteur par un acteur crucial comme « La Poste Tunisienne » a ouvert la porte à de nouveaux acteurs privés. Certes, cela a permis de créer de l’emploi, notamment grâce aux nombreux livreurs embauchés, mais cela s’est souvent fait au détriment de la stabilité financière de ces entreprises. En effet, on dénombre une dizaine d’entreprises ayant fait faillite dans ce secteur.

Comment le consommateur perçoit-il les e-commerçants ?

Le consommateur exprime un manque de confiance total, souvent alimenté par des expériences très décevantes, telles que la réception d’articles non conformes à la commande ou l’absence d’un service après-vente (SAV).

Bien qu’il voie une opportunité dans l’achat en ligne, qui facilite grandement l’acquisition d’articles ou de services, il reste méfiant. Cette méfiance pousse le consommateur à privilégier le paiement à la livraison ou le paiement d’un service directement auprès du prestataire, ce qui lui permet de s’assurer que la commande est bien livrée ou que le service sera effectivement rendu. Cependant, à force de recevoir des commandes non conformes, de plus en plus de consommateurs exigent de vérifier le contenu du colis avant même de procéder au paiement. Ces pratiques pénalisent l’activité de la vente à distance (VAD) et génèrent des charges supplémentaires pour les entreprises du secteur. Elles entraînent des problèmes tels que la gestion de colis ouverts, perdus, détériorés, voire volés.

Dans le cadre de la vente de services, les problématiques diffèrent. Elles concernent principalement les moyens de paiement proposés. De nombreux consommateurs hésitent à adopter ces services en ligne, sachant qu’ils auront des difficultés à se faire rembourser en cas de prestation non assurée ou non conforme à leurs attentes. Cette situation alimente une grande méfiance à l’égard des transactions en ligne pour les services.

Du côté des e-commerçants, comment ces derniers perçoivent-ils leurs rapports avec leurs clients et quelles difficultés rencontrent-ils ?

Les e-commerçants perçoivent souvent les clients comme étant non sérieux et peu engagés, ce qui les oblige à fournir de nombreux efforts pour vérifier le sérieux des commandes, notamment dans le cadre de la vente à distance. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on sait que la majorité des consommateurs préfèrent le mode de paiement à la livraison. Il faut noter que le commerçant supporte les frais de livraison des colis qui ne sont pas récupérés. A cela s’ajoute le manque à gagner qu’enregistre un e-commerçant lorsque les colis restent chez le livreur pendant plusieurs jours avant même d’être retournés à l’expéditeur.

Un autre défi majeur pour les e-commerçants est la logistique et leur dépendance aux sociétés de livraison à domicile, notamment parce que ces dernières gèrent souvent les paiements en espèces. Cette année, on compte au moins trois (ou peut-être plus) sociétés de livraison ayant fermé leurs portes du jour au lendemain, laissant les e-commerçants sans leurs recettes, entraînant ainsi des pertes financières significatives.

A cela s’ajoute la dégradation de la qualité du service des sociétés de livraison, qui complique davantage la tâche des e-commerçants. Toute cette situation ne vient pas de nulle part : elle est liée au retard accumulé par la Tunisie ces dernières années et à l’absence d’acteurs principaux. On note notamment le paiement électronique, un élément clé pour propulser l’activité du e-commerce. Les banques doivent redoubler d’efforts pour expliquer les garanties que ce mode de paiement offre à leurs clients et faciliter la prise en charge des réclamations, notamment en ce qui concerne les « chargebacks »*.

Un autre point crucial est l’efficacité concurrentielle d’un acteur principal comme « La Poste Tunisienne », qui a historiquement joué un rôle central dans la livraison des colis postaux. Sa défaillance actuelle laisse un vide important, mettant en difficulté les e-commerçants. Enfin, l’infrastructure urbaine dégradée, avec un manque d’identification claire des adresses, complique la logistique et pénalise directement les livraisons à domicile. Une meilleure organisation des adresses urbaines faciliterait grandement le fonctionnement de l’ensemble du secteur.

L’e-commerce peut-il représenter une solution durable pour surmonter les difficultés économiques du pays ?

Oui, l’e-commerce pourrait représenter une solution durable pour surmonter les difficultés économiques auxquelles la Tunisie fait face, mais cela nécessite des réformes et des efforts coordonnés pour maximiser son potentiel. En facilitant l’accès des petites entreprises et des artisans à un marché plus large, l’e-commerce peut aider les entreprises à générer des revenus supplémentaires et se développer localement. Avec une meilleure adoption des paiements électroniques, l’e-commerce peut encourager l’inclusion financière. En collaborant avec les banques et en instaurant des garanties pour les consommateurs et les commerçants, le pays pourrait accroître la confiance dans les transactions en ligne. Cela pourrait également permettre aux populations marginalisées ou éloignées d’accéder à des produits et services qui leur étaient inaccessibles. L’e-commerce offre la possibilité aux entreprises tunisiennes d’atteindre des marchés internationaux. En soutenant les exportations à travers des plateformes numériques, les produits locaux (artisanat, textile, agroalimentaire) pourraient trouver de nouveaux débouchés, augmentant ainsi les rentrées de devises étrangères.

*(Ndlr : Les « chargebacks », ou rétro facturations, permettent à un client de contester une transaction effectuée avec sa carte bancaire, souvent en cas de produit non reçu ou de transaction frauduleuse. Une procédure bien structurée de « chargeback » renforce la confiance dans les paiements électroniques.) 

Lire l’intégralité de l’article dans notre version papier du 18 décembre 2024

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