Le gouvernorat de Kairouan compte un taux élevé d’analphabètes (33,8%) et on récense 161.450 analphabètes, dont 104.975 femmes et 56.478 hommes. Les délégations les plus touchées sont El Ala (43,3%) et Bouhajla (46,3%) où la catégorie d’âge des moins de 15 ans ayant quitté les bancs de l’école ne cesse d’augmenter.
La Presse — D’ailleurs, le taux de décrochage scolaire s’élève à 17% dans les écoles, 16% dans les collèges et 12% dans les lycées. Cela est dû notamment aux rapports conflictuels avec le corps enseignant et administratif, les troubles de l’apprentissage et de la concentration, l’incapacité des parents à assumer les charges scolaires, les troubles psychologiques et comportementaux, la distinction entre riches et pauvres, le divorce des parents, la mentalité rétrograde, le manque d’infrastructure de base et la dispersion des habitations en milieu rural.
Aïcha Jaballah, 22 ans, originaire du village de Sayada (délégation d’El Ala), nous parle de sa tristesse de n’avoir pu continuer ses études secondaires, puisqu’elle a abandonné le collège à 16 ans, car ses parents n’ont pu lui assurer les frais scolaires : «Et depuis, c’est la galère ! Tantôt, je m’occupe des chèvres, tantôt je fais le ménage et je vais chercher l’eau, tantôt, j’aide ma mère à laver le linge et à préparer le repas…Et quand il m’arrive de rencontrer des jeunes filles de mon âge qui ont eu la chance de terminer leurs études et qui assument pleinement leur rôle dans la société, une grande tristesse m’envahit, car ma vie me semble incontrôlable».
Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus à Imadat Troz (délégation d’El Ala) qui compte 5.000 habitants et qui comprend une école primaire, des terres agricoles et forestières, des parcours protégés et plusieurs douars entourés de cactus, d’oliviers et d’amandiers. En outre, on constate la présence de plaines et de zones montagneuses, des sources dissimulées au milieu des rochers, une ancienne huilerie abandonnée et un vieux hammam sous forme de grotte qui dégage une vapeur conseillée pour ceux qui souffrent de rhumatisme. Ce qui frappe, c’est que certains villageois ne sont pas tellement attachés à leur contrée, puisque dans certaines agglomérations, telles que Haddada, Oueslatia et Dhwaouda, nous avons vu beaucoup de vieux logements vides et abandonnés.
D’ailleurs, les villageois nous ont fait savoir que certains habitants originaires d’El Ala sont allés depuis longtemps vivre ailleurs à la recherche d’un emploi stable.
Là, les femmes passent leur temps à travailler la terre, à s’occuper des animaux, à chercher le bois et l’eau.
Beaucoup de jeunes filles que nous avons rencontrées à la source à El Saâdlia nous ont dit que leur point de rencontre et leur contact avec le monde, c’est cette source, c’est ici qu’elles viennent puiser l’eau, laver le linge et aussi discuter de leur différents problèmes.
Mahbouba Rebhi, 19 ans, nous parle de ses regrets de n’avoir pas pu continuer ses études : «Comme nous habitons à 4 km de l’école et que nous ne disposons pas de moyens de transport, j’ai connu avec mes petites cousines les dangers des longs trajets, été comme hiver avec la présence de sangliers, de chiens errants et de délinquants. Cela sans oublier l’absentéisme des enseignants. C’est pourquoi, mon père m’a obligée à quitter l’école à un âge précoce…». Elle se tait puis poursuit sur un ton optimiste : «Mon espoir, c’est de pouvoir intégrer dans les plus brefs délais un centre d’apprentissage pour adultes afin de combattre les ténèbres de l’ignorance pour une meilleure conquête de la dignité humaine… En fait, j’ai besoin d’agir, de me dépenser, de réaliser. Il me faut un but à atteindre et des difficultés à vaincre…».
Comme elle avait l’air fragile dans son manteau vert-pomme… Nous lui trouvâmes un visage attachant. Un marchand ambulant à dos d’âne, est venu proposer des produits dont raffolent les femmes : du tissu, du souak, du khol, du henné, du thé et du loubben, on a pu assister à de longues scènes de marchandage.
Une heure plus tard, les filles quittent les lieux pour rejoindre leurs domiciles, le cou et le dos ankylosés sous le poids de leurs jarres pleines d’eau».
L’école de la deuxième chance connaît une grande affluence…
Comme le gouvernorat de Kairouan compte un taux élevé d’analphabètes malgré la gratuité de l’enseignement public et la loi obligeant les parents à scolariser leurs enfants jusqu’à l’âge de 16 ans, de nombreux programmes d’analphabétisation, d’éducation non formelle et d’enseignement pour adultes, ont vu le jour depuis plusieurs années, étant permis à des centaines d’apprenants âgés entre 15 et 65 ans d’apprendre à lire, à écrire et d’aider leurs enfants en cours d’apprentissage.
Par ailleurs, le 15 janvier 2024, l’école de la deuxième chance a ouvert ses portes à Kairouan dans un centre moderne et bien équipé offrant des espaces «Maâk» et «Intaleq» d’accueil, d’encadrement psychologique, d’orientation éducationnelle ou professionnelle, d’écoute et d’accompagnement, et ce, au profit de jeunes en décrochage scolaire âgés entre 14 et 18 ans.
Créée dans le cadre de la coopération tuniso-britannique et en partenariat avec le fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), cette école est soumise à la tutelle de l’Agence tunisienne de la formation professionnelle relevant du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle. M. Kamel Mejbri, directeur de l’Ecole de la 2e chance, nous précise que cet important projet dont le coût s’est élevé à 2 milliards 200.000D, va permettre aux bénéficiaires soit de retourner à l’école, soit de lancer leur propre projet, soit de s’inscrire dans un Centre de formation professionnelle pour avoir des compétences dans les différentes disciplines souhaitées: «Depuis le 15 janvier 2024 et jusqu’à aujourd’hui, nous avons encadré 90 jeunes grâce à nos 5 formateurs, à un psychologue, à une animatrice de la vie sociale et à un sociologue. Tous ont suivi des formations leur permettant d’accompagner les bénéficiaires. Quant à la durée du cursus au sein de ce dispositif qui prend en charge les décrocheurs via des programmes d’accompagnement individualisé, elle varie de 1 à 9 mois. Et puis chaque jeune à un programme spécifique, cela sans oublier la programmation de visites d’initiation à la vie professionnelle dans des entreprises privées afin de l’aider à construire son projet de vie», explique-t-il et d’ajouter: «Pour ceux qui désirent réintégrer l’école ou le collège, nous avons des séances de rattrapage et de consolidation des acquis grâce à des cours accélérés au sein des ateliers par cinq professeurs de différentes matières (anglais, français, mathématiques, informatique et technique…). Mon espoir c’est de pouvoir créer au sein de notre vaste école un internat pour les jeunes qui viennent des différentes délégations, ce qui leur éviterait les déplacements coûteux. Par ailleurs, il serait souhaitable de mettre à notre disposition un mini-bus qui nous permettrait d’organiser des visites de terrain à nos jeunes».
Youssef Dhifi, 16 ans, ayant abandonné ses études à cause de problèmes familiaux, nous parle de sa satisfaction d’avoir intégré l’école de la 2e chance.
«Grâce au programme d’accompagnement spécifique dont j’ai bénéficié, j’ai retrouvé mes repères dans la société. En fait j’ai trouvé très intéressant ce projet à encadrement auquel je me suis inscrit sur l’application www.atfp.tn/d2ch. En outre, j’ai été encadré avec beaucoup de compréhension et j’ai l’espoir que ma vie va changer maintenant et que je ne connaîtrai plus des moments de désespoir. Adieu donc le découragement des jours monotones où ne s’annonce aucune joie, adieu le stress et l’enneui…».