Accueil Culture «Kim Yip Tong », réalisatrice de « Pie Dan Lo» à La Presse : «C’est l’histoire d’un pays qui se soulève pour l’écologie et la mer»

«Kim Yip Tong », réalisatrice de « Pie Dan Lo» à La Presse : «C’est l’histoire d’un pays qui se soulève pour l’écologie et la mer»

Propos recueillis par Haithem HAOUEL, envoyé spécial au festival de Clermont-Ferrand     

Seule participation mauricienne à la 47e édition du festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, la jeune réalisatrice Kim Yip Tong bouleverse par la portée de son sujet, sublimement esquissé dans son court métrage titré «Pie Dan Lo» ou «Black Tide» en langue anglaise. A l’aune d’une époque chamboulée par les catastrophes environnementales, la réalisatrice fait voyager son public dans sa terre d’origine, l’île Maurice.

La Presse— A travers son film, elle raconte une tragédie, qui, cinq ans auparavant, a marqué à jamais la conscience collective des habitants de son île. Un trauma qui, de nos jours, persiste et se mue dans un silence douloureux vécu en collectivité.  Le récif de l’île Maurice, mondialement connu pour sa biodiversité unique, est frappé de plein fouet par un paquebot de pétrole, qui échoue et déverse sa matière dévastatrice sur une bonne partie des côtes de l’île. Véritable catastrophe naturelle, qui a fait écho en pleine pandémie, elle a chamboulé à jamais les vies des péninsulaires sur place. Contre l’oubli et dans le but de rendre hommage à son peuple plus que jamais solidaire face à une tragédie de cette ampleur, «Kim Yip Tong» tenait à faire revivre les faits dans un film d’animation, construit en témoignages audio et en dessins et peintures. Rencontre au sommet !

Quelle est la genèse de cette réalisation filmique courte mais distinguée, sélectionnée dans la catégorie «Kids» et «Regards d’Afrique» au festival de Clermont-Ferrand de 2025 ?

Je suis plasticienne de base, influencée par des films expérimentaux visionnés dans des planétariums ou des résidences artistiques. Je me suis déjà essayée à la réalisation en sortant un petit film en 2018. Cette fois–ci, «Black Tide» est concrètement mon premier film produit. C’est un court métrage documentaire d’animation qui évoque la marée noire qui a ravagé l’île Maurice en 2020. Il est retenu dans la sélection «enfants» des plus de 9 ans et dans «Regards d’Afrique» à Clermont-Ferrand.

Qu’est-ce qui vous a urgemment poussée à raconter cette tragédie de la marée noire dans un film court ? 

C’est l’histoire d’un pétrolier japonais qui s’est écrasé sur le récif de l’île Maurice et qui est resté sur place pendant deux semaines avant de commencer à couler et a déversé toute sa matière polluante. Face à l’inaction des autorités, ce sont les habitants qui se sont soudés afin de faire face à la catastrophe. C’est un élan de solidarité sans précédent qui a eu lieu. Ils se sont servis de leur propre bateau, et en usant de moyens et d’anecdotes efficaces pour contenir ce pétrole déversé. Pour moi, c’est ainsi que naissent les mythes. Ça puait la mort, il y a eu évacuation des écoles et de lieux, des familles ont perdu leur travail, et le tout vécu en pleine pandémie mondiale. Les habitants ont été solidaires plus que jamais, et cette tragédie a été le début de manifestations et de contestations uniques. C’est l’histoire d’un pays qui se soulève pour l’écologie et la mer. Cette histoire m’a profondément imprégnée et m’a poussée à la raconter dans «Pie Dan Lo».

Une société de dépollution grecque est intervenue bien plus tard pour nettoyer le désastre pétrolier. Cette même société a une fondation qui commissionne les films qui traitent de désastres écologiques spécialement provoqués par le pétrole. J’ai eu un petit budget pour le réaliser.    

Peut-on en savoir plus sur le processus de création ? 

Cette histoire a détruit des vies, des familles, a bousillé la santé d’individus, et une biodiversité entière. Mon travail a consisté à recueillir les propos et témoignages des habitants, en créole ou en français. A partir de témoignages, j’ai dessiné et peint les faits. Une manière de faire appel à ma discipline première et initiale, qui est de peindre. Ça a fait un film documentaire par la puissance des témoignages, génériques, métaphoriques et symboliques et par ses images. Pendant un mois et 3 semaines, j’ai retranscrit et écouté les audios recueillies et créé la bande-son. Ensuite, je me suis focalisée sur l’animation et la levée de fonds. Le film est produit par «Gao Shan Animation Studio Maurice»/ «Gao Shan Pictures» et «We Film». Tous les décors sont peints à la main. L’animation, la rotoscopie et la colorisation sont réalisées par Amandine Boyer, Pénélope Camus, Gloria Vivien, Uma Burrenchobay et moi–même.     

Comment avez-vous vécu la catastrophe ? 

Le bateau est arrivé le 12 juillet 2020. Il est resté 12 jours avant de commencer à couler. Je suis allée toute seule sur place. Il y avait déjà une centaine de personnes déjà présentes. La citoyenneté et la solidarité créées autour m’avaient marquée. J’ai ressenti l’entraide et pris quelques images, mais j’avais plus envie de vivre l’instant présent et de m’imprégner de tout ce que je vivais et vivaient les Mauriciens autour, et de ne pas tout vivre derrière un écran. C’est un film qui a vu le jour, avec beaucoup de ressentis, de sentiments. Je l’ai vécu de l’intérieur sans beaucoup d’images ou de vidéos prises. Ce dont je reste fière c’est la réception du public à l’île Maurice. Bouleversant à souhait, il a suscité énormément d’émotions. Nous l’avons projeté devant plus de 700 personnes pas loin de l’endroit où a échoué le paquebot. C’est un travail de mémoire qui a été fait.

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